mercredi 17 février 2016

Ministre et serviteur



Le remaniement ministériel de la semaine passée nous donne l'occasion de poser une question à laquelle on ne pense pas, tant la réponse parait évidente, alors qu'elle ne l'est pas : qu'est-ce qu'un ministre de la République ? Ce n'est pas un élu, ni un chef politique. Ce n'est pas non plus un administrateur, un gestionnaire, un intendant. C'est quoi ? Le mot le plus juste pour le qualifier est celui de serviteur. Bien sûr, le terme peut sembler dévalorisant : quelle différence entre serviteur et domestique ? Il peut paraître à l'inverse excessif, parce que liturgique.

Un ministre est un serviteur parce qu'il n'est pas candidat à son poste, il ne choisit pas sa charge : on vient le chercher, on lui propose, il accepte ou pas. Même abnégation lorsqu'un ministre cesse de l'être : ce n'est pas lui qui en décide, il n'a pas à en discuter mais à s'exécuter. La vertu essentielle du serviteur, c'est l'obéissance. On n'est pas obligé de devenir ministre, mais lorsque le choix a été fait, on est obligé de suivre le gouvernement, le Premier ministre et le président de la République.

Pourquoi redire de telles évidences ? Parce que ce ne sont plus des évidences ! Il est devenu fréquent, dans une société où tout le monde se plaint et se sent la victime de quelque chose, que des ex-ministres, de gauche ou de droite, se plaignent du sort qui leur est fait au moment de leur départ, comme pour nous rappeler que eux aussi souffrent de ce qui leur arrive. Depuis quelques jours, et encore ce matin sur le site de L'Obs, Fleur Pellerin est l'illustration parfaite de cette dérive dans la perception et la pratique de la fonction ministérielle.

A-t-elle ou non pleuré et failli s'évanouir lorsqu'elle a appris qu'elle ne faisait plus partie du gouvernement ? Elle dit que non, d'autres disent que oui. Nous ne saurons jamais la vérité, mais l'image est bien là : sangloter, s'émouvoir parce qu'on s'en va et qu'on voulait rester. Non, le serviteur n'en fait pas à sa tête, selon ses désirs ou ses humeurs.

Dans L'Obs, Fleur Pellerin dit avoir été "choquée" par la façon dont elle a été remerciée, bien fidèle en ce sens à la grande majorité de nos concitoyens qui, lorsqu'ils ne souffrent pas, sont choqués. Il aurait peut-être fallu qu'on lui demande son avis ? Qu'on la prévienne avant ? Qu'on fasse un cas particulier à sa petite personne ? Peu importe d'ailleurs : aujourd'hui, n'importe qui se sent dans son bon droit en se disant choqué. C'est le privilège actuel accordé à ce sentiment médiocre. Si j'étais vicieux, je pourrais rétorquer que j'ai été choqué qu'elle ait été choquée ... Mais arrêtons-là le jeu devenu habituel de la victimisation.

Au moment de la passation de pouvoir, Fleur Pellerin a poursuivi dans le registre compassionnel, en évoquant son enfance malheureuse. Je vais vous choquer, mais je me fous complètement de l'enfance et même de la vie d'un ministre, heureuse ou malheureuse. Un serviteur fait abstraction de son existence privée, ne l'évoque pas dans l'exercice de ses fonctions, même à l'ultime fin. Il s'efface devant l'intérêt général, ses missions de service public.

La seule chose qui m'intéresse quand part un ministre, c'est de connaître son bilan, y compris critique. Mais Pellerin s'est-elle déjà publiquement demandée ce qu'elle avait fait de bien et de moins bien, ce qu'elle avait réussi et ce qu'elle avait raté ? Si on ne veut plus d'elle, ce n'est peut-être pas sans raisons, non ? Quand on est ministre, il faut savoir mettre une croix sur sa vanité et sa susceptibilité.

Fleur Pellerin avance une explication : "Je n'ai pas assez flatté", contrairement au conseil que lui aurait donné François Hollande. Eh oui, serviteur rime parfois avec servitude. Plus question de dire ce qu'on pense ! Lorsqu'un maire visite dans sa commune une exposition d'ignobles croûtes qui se veulent de géniales peintures, que dit-il à leurs auteurs ? Bravo, félicitations, c'est très bien, j'aime énormément, vous recommencez quand ? C'est un métier, une vocation : valoriser les autres, y compris lorsqu'ils sont nuls à chier. A tous les étages de la politique, le processus est connu : flatter, courtiser. Il n'est pas non plus exclu qu'il y ait un peu de vertu dans cette activité singulière, que les moralistes qualifient abusivement d'hypocrite.

Fleur Pellerin veut bien douter des autres, mais elle ne doute pas d'elle-même : "Je ne peux pas imaginer une seconde de ne pas jouer un rôle dans le destin de ce pays", finit-elle son entretien à L'Obs. Prétentieuse jusqu'à être grotesque ! François Hollande n'a pas eu besoin d'une seule seconde pour imaginer que le gouvernement français pouvait très bien se dispenser de cette personne indispensable, lui laissant ainsi le loisir de "jouer un rôle dans le destin de ce pays". Nonobstant son bilan, Pellerin n'aura pas été, à l'heure des adieux, à la hauteur ni n'aura fait honneur à la fonction ministérielle. Serviteur, elle ne connaît visiblement pas. Et qu'elle ne soit pas la seule n'est pas une excuse.

4 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

C'est dommage, Fleur Pellerin était tout à fait conforme à l'idée que je me faisait de la ministre de la culture, sensible, curieuse souriante, pas une once de méchanceté en elle, toujours prête à rendre service, touchante. Vue son histoire personnelle, le gouvernement aurait dû en faire un modèle, et puis il faut de la continuité, de la fidélité, un peu de cœur. Mais au lieu de ça ce gouvernement cruel, qui a fait de la cruauté son leitmotiv, cruauté envers les humbles, (notamment cette satanée classe moyenne dénuée d'allure), la vire comme une malpropre, pour la remplacer par une sorte d'aristocrate nantie, habituée des ors du pouvoir. Tout cela ne m'étonne pas ; mais en 2017, le peuple prendra sa revanche sur ces traîtres qui se disent de gauche, par Mélenchon, par Le Pen, je ne sais ? Mais tout sauf la droite classique, les "républicains", ils sont encore pires que Valls-Macron. Mais à travers ce symbole : virer celle qui était la plus humble et la plus méritante du gouvernement, la "gauche" Valls-Macron envoie un message au patronat, "vous voyez nous n'aimons pas les pauvres, nous n'aimons que les riches, nous allons vous aider à construire le monde de l'hyper-classe que vous désirez tant, nous allons humilier les pauvres, faire disparaître la classe moyenne, et retourner dans une société de type XIXème siècle."

Emmanuel Mousset a dit…

Décidément, nous ne sommes d'accord sur rien !

Erwan Blesbois a dit…

Détrompe-toi, ta rigueur fait que tu peux tracer une voie, ce dont je suis incapable. Pour nous autres, un peu perdus, un peu paumés, tu arrives à constituer un discours cohérent, contre lequel on peut toujours s'amuser à s'opposer. Tout comme le maître dans une classe constitue une sorte de modèle, à travers lequel certains élèves turbulents construisent leur esprit de contestation. En tant que chêne, toujours fidèle au poste et finalement logique avec toi-même, fidèle à toi-même, tu es bien plus indispensable et fiable que moi, dont le blog n'est jamais lu par exemple. D'ailleurs ce commentaire que j'ai fait sur Fleur Pellerin, pour tout dire je ne le sens pas, j'avais pas l'inspiration ; quelquefois j'espère que je l'ai un peu plus quand même.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est vrai, sur l'internet, tu n'existes que par rapport à moi. Mais ne t'inquiète pas : beaucoup de gens sont comme ça, n'existent que par rapport aux autres. Ils n'en sont pas plus mauvais. Tu es le poisson-pilote qui vit sur le dos du requin, dans son sillage. Ce n'est pas déshonorant.