samedi 20 février 2016

La nuit d'Umberto Eco




Mon rêve, ce serait de pouvoir lire un bouquin passionnant toute une nuit. Je n'y arrive jamais : au bout de trente minutes, je m'endors. Quelle misère ! Il y a une seule exception à ce stade de ma vie : en février 1983, dans une chambre d'hôtel à Angers, j'ai lu jusqu'au petit matin "Le Nom de la rose", d'Umberto Eco, qui venait de sortir (édition de poche en vignette). L'écrivain est entré hier dans une autre nuit.

Ce roman m'a plu, parce qu'il est à l'image de son auteur : d'aucun genre particulier, de tous les genres, encyclopédique. C'est un polar, une somme théologique, un récit d'aventures, un conte fantastique, une comédie, un scénario de film ... Umberto Eco, comme Michel Tournier, c'est un écrivain philosophe : c'est pourquoi je me sers de ces deux références dans certains de mes cours. L'histoire du "Nom de la rose" tourne autour d'un manuscrit attribué à Aristote, prenant la défense du rire, que la religion ne saurait accepter. De quoi penser, non ?

Ce que j'aime beaucoup chez Umberto Eco, c'est qu'il fait sortir la réflexion savante de son cadre universitaire, pour la diffuser dans la culture populaire, à laquelle l'écrivain s'intéressait de près (il a étudié la mythologie contemporaine des super-héros, par exemple). Nous devons aussi à Eco un regard critique sur l'univers actuel des médias. Il se désolait de l'abrutissement généralisé provoqué par les "réseaux sociaux". Dans le roman qui, après "Le Nom de la rose", a ma préférence, "Le Cimetière de Prague", Umberto Eco met en scène, au XIXe siècle, les théories du complot et l'ésotérisme qui va avec.

L'écrivain et penseur, à travers son œuvre, pose la question : qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ? Sa réponse est celle d'un artiste : il y a des mots, des signes, du langage, de la littérature, il faut évoluer au milieu de tout ça, confronter, vérifier, créer. En quoi croyait Umberto Eco ? En la lecture, rien qu'en la lecture. Il ne délivre aucun message, ne défend aucune idée ou valeur, il nous recommande simplement (mais ce n'est pas si simple !) de lire, de prendre un livre et d'en tourner les pages (geste qu'on voit de mieux en moins, autour de nous, dans les lieux publics). "Le Nom de la rose" se déroule en grande partie dans une bibliothèque, et son héros principal, c'est le livre. Faites le redoutable test : prenez un bouquin, d'Eco ou d'un autre, commencez à le lire en vous couchant, essayez de tenir jusqu'à l'aube : si oui, vous aurez vaincu le sommeil, vous serez devenu le maître du monde !

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