mercredi 3 février 2016
Nous n'irons plus aux putes
Notre rapport à la prostitution a complètement changé en un siècle de temps, et d'une manière paradoxale. Je suis allé voir, il y a quelques semaines, une très belle exposition au musée d'Orsay, à Paris : "Splendeurs et misères, images de la prostitution, 1850-1910", close le 17 janvier. Vous pouvez vous reporter au numéro hors-série du magazine BeauxArts, qui lui est consacré (en vignette).
C'est assez incroyable : au XIXème siècle, où les forces conservatrices et cléricales étaient beaucoup plus puissantes qu'aujourd'hui, la prostitution était admise, contrôlée et organisée par la société, les pouvoirs publics, sans que personne n'y trouve matière à scandale. Les forces progressistes, à l'époque les républicains, fréquentaient les maisons closes autant que les membres de la bourgeoisie et de l'aristocratie. On était alors très loin de la représentation actuelle du pauvre type en mal de sexe et de tendresse, moitié malade, moitié paumé. Les artistes, peintres et écrivains, faisaient de la putain une source d'inspiration, qui a donné des chefs d'œuvre. Inimaginable aujourd'hui ! Et pourtant, ne vivons-nous pas sous le régime de la libération des mœurs, où la prostitution ne devrait pas nous choquer plus que ça ?
Le clou de l'expo, c'était le "siège de volupté" d'Edouard VII : ce fauteuil d'un genre particulier permettait au futur roi d'Angleterre d'être confortablement allongé pendant que deux femmes le chevauchaient. Un truc dingue ! Si cette mentalité avait perduré jusqu'à nos jours, DSK serait devenu sans problème président de la République, sa sexualité "un peu rude", comme il l'a qualifiée devant le tribunal de Lille, faisant pâle figure devant les appétits des grands d'il y a 150 ans.
Cet après-midi, notre Assemblée nationale examine un texte de loi sur ce sujet, la prostitution. Il y a dedans du bon et du moins bon : faire de la prostituée une victime et non plus une délinquante, abolir le délit de racolage passif, oui, c'est bien. Mais la vraie nouveauté est une aberration : pénaliser les clients ! (une mauvaise idée dans l'air du temps) C'est une mesure incohérente : soit on interdit complètement la prostitution, soit on la tolère. La philosophie du projet de loi semble hésiter entre les deux, et se contredit. Les prostituées sont des victimes : et pourquoi pas aussi les clients ? Victimes de quoi ? D'un terrible tyran, leur bite. Plaisanterie à part, je crois qu'il y a de la misère des deux côtés, prestataire et clientèle. Surtout, je reproche à cette pénalisation de l'usager sa totale inefficacité : la nature humaine étant ce qu'elle est, il y aura toujours ce genre de rencontres vénales et charnelles, dans le coin d'un bois, une camionnette de fortune ou une chambre de bonne. Ne me demandez pas pour quelles raisons : je ne suis ni psychologue, ni consommateur.
Ne vous méprenez pas non plus sur l'intention de ce billet : la prostitution me fait horreur, comme elle fait sans doute horreur à ceux et celles qui la pratiquent, par nécessité, pour gagner leur vie, et qui s'en passeraient volontiers s'ils le pouvaient (je ne parle évidemment pas ici du libertinage, qui est un autre sujet). Je ne suis même pas sûr que les clients en tirent autant de plaisir qu'on pourrait le croire. Pour eux aussi, c'est une forme de malheur, même s'il y a pire dans la vie.
J'ai également horreur de cette expression contemporaine, les "travailleuses du sexe", comme si une bouche ou un vagin étaient des outils de travail. Dans un monde idéal, la prostitution n'existerait pas. Mais notre monde ne sera jamais idéal, même si on peut l'améliorer. La nature humaine, ses désirs, ses pulsions, ses fantasmes, sont immuables. Et puis, pour paraphraser Lionel Jospin et contrairement à ce que croit notre époque, la loi ne peut pas tout. Elle ne peut surtout pas régler nos dérèglements les plus intimes, qu'il faut regretter, tolérer, surveiller mais pas pénaliser. Ni la prostituée, ni son client ne sont des délinquants.
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2 commentaires:
Puritain : vous auriez du voiler cette dame .........
Bravo : vous osez aborder un sujet casse-gueule !
Sur la forme : c'est regrettable de parler de "putes" et autres dénominations péjoratives.
On (mes maîtres d'école primaire) m'a toujours dit que bien nommer, c'est déjà comprendre.
Alors, parlez de femmes (ou jeunes filles) vénales mais ni de putes ni de péripatéticiennes, ce que ces dames ne sont que très exceptionnellement.
Par contre, vénales, c'est certain, elles le sont.
Sur le fond : l'opprobre et le déshonneur ne peuvent concerner que les personnes du sexe tel qu'on le disait il n'y a pas si longtemps. Cela doit forcément échoir, parité passant par là avec égalité entre hommes et femmes, aussi à la gent masculine s'adonnant à ses pulsions intimes si ce n'est à ses besoins organiques.
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