vendredi 12 février 2016

Le meilleur des gouvernements



Le philosophe allemand Leibniz, au XVIIe siècle, pensait que nous vivions dans "le meilleur des mondes possibles". Au siècle suivant, Voltaire s'est beaucoup moqué de cette théorie, notamment dans son roman philosophique, "Candide". Mais Voltaire est plus écrivain que philosophe, et il pratiquait par principe l'ironie. Le grand Leibniz ne prétendait pas que notre monde était parfait : de fait, ce n'est pas le cas. Il n'affirmait pas non plus que le monde était bon : tant de mauvaises choses existent ! Le coup de génie de Leibniz, qu'on partage ou pas, c'est de montrer que le monde tel qu'il est actuellement est le meilleur possible, une fois qu'on a conceptuellement épuisé toutes les autres hypothèses. Quelque chose de possible, c'est quelque chose de réalisable. Vous pouvez concevoir un monde parfait, bon, excellent, idéal sans qu'il soit nécessairement possible, réalisable. Leibniz pense donc qu'il est inutile de réfléchir à ce qui est bien ou parfait, mais à ce qui est possiblement meilleur.

J'espère que ce petit cours de philosophie ne vous a pas rebutés, mais il était nécessaire que j'en passe par là pour répondre à la question politique de la journée : que faut-il penser du nouveau gouvernement ? Il n'est pas parfait, c'est évident. On peut toujours discuté s'il est bon ou mauvais, selon les opinions de chacun. Mais il y a quelque chose d'objectivement vrai : c'est le meilleur des gouvernements possibles. Selon Leibniz, Dieu a organisé le monde en vue des finalités qui sont les siennes, et qui sont impénétrables, d'après les Saintes Ecritures. Selon moi, Hollande a organisé son gouvernement en vue de la prochaine élection présidentielle, de la meilleure façon possible qui soit.

Il lui fallait rassembler, c'est la condition indispensable pour une possible victoire. Le chef de l'Etat est donc allé chercher du côté de ses deux partenaires politiques possibles, les radicaux de gauche et les écologistes, parmi eux ceux qui sont au grade et à l'échelon les plus élevés, pour en faire des ministres, Jean-Michel Baylet et Emmanuelle Cosse, respectivement patron du PRG et patronne d'EELV. C'est aussi simple que ça, la politique, mais pas facile à réaliser. C'est pourquoi Leibniz nous invite à ne pas penser à ce qui est bien ou parfait, mais à ce qui est possible.

Nous avons tous tendance, contrairement à Leibniz, à vouloir le bien et la perfection, surtout en politique. Qu'on ne s'étonne pas ensuite d'être déçu ! La perfection, c'est la projection de nos désirs. Le possible, c'est ce que la réalité, par nos efforts, peut donner. J'aurais aimé, dans ce nouveau gouvernement, qu'Emmanuel Macron gagne du galon, voit s'étendre son ministère, parce que c'est mon chouchou. J'aurais surtout aimé que Martine Aubry, Bertrand Delanoë et Nicolas Hulot fassent leur entrée, parce que ce sont des figures connues et des personnalités de grande qualité. Cosse, Placé et Pompili sont gentils, mais c'est du menu fretin, ceci dit sans aucun mépris : les batailles ne se gagnent pas qu'avec de géniaux généraux ; il faut aussi des lieutenants dévoués.

Le problème avec les fortes personnalités, c'est qu'elles n'ont pas besoin des autres, de leur reconnaissance : elles existent par elles-mêmes, elles peuvent s'offrir le luxe suprême, la rare élégance de refuser ce qui ne se refuse pas, un poste au gouvernement, la gloire ministérielle. Cosse, Placé et Pompili, en revanche, piaffaient d'impatience, bien conscients qu'ils ne sont rien ou pas grand chose en dehors du pouvoir, à peine reconnus dans la rue. Ce en quoi d'ailleurs ils se font pas mal d'illusion : dans 14 mois, ils retomberont dans l'oubli. Combien de ministres passés dont on ne se souvient plus du nom ni de l'action ? Mais faire de la politique, c'est d'abord se faire des illusions.

Ce nouveau gouvernement opère aussi une rupture, qui n'a pas été assez soulignée depuis hier. On a beaucoup reproché à François Hollande son art de la synthèse, consistant à accorder artificiellement ce qui ne va pas ensemble. Ses prédécesseurs de gauche pratiquaient déjà ainsi : un gouvernement devait à peu près refléter les tendances au sein du Parti socialiste, l'aile gauche devait être forcément représentée. L'opinion n'y voyait pas grand-chose, mais l'appareil du Parti y comptait scrupuleusement ses petits. Hollande en a fini avec cette calculette : l'aile gauche, c'est une première, n'est pas représentée. Aucun membre important du gouvernement n'est repérable, identifié sous cette sensibilité.

C'est une évolution considérable, annoncée depuis déjà quelque temps : François Hollande a parfaitement conscience que plus rien de fondamental ne se joue au sein du Parti socialiste, à part la distribution ordinaire des places, mais ce n'est pas cette routine qui décide d'une victoire électorale. L'opinion n'en fait plus qu'à sa tête, se fait son idée en dehors des mots d'ordre, des programmes ou des consignes des partis politiques. Un strapontin pour tel sous-courant, ça fait plaisir au bénéficiaire, ça rassure ses copains qui se croient pris en considération, mais ça apporte quoi au gouvernement, à la gauche, à la France ?

J'ai commencé ce billet par de la philosophie politique, je le termine par de la philosophie morale. Emmanuelle Cosse entre au gouvernement alors qu'elle est chef d'un parti qui est sorti du gouvernement, qui ne souhaitait pas y entrer et qui s'est présenté aux dernières élections en critiquant le gouvernement. Emmanuelle Cosse a fait un choix strictement personnel, alors que la politique est une activité collective. Emmanuelle Cosse dit aujourd'hui le contraire de ce qu'elle disait il y a peu de temps. Emmanuelle Cosse n'est ni une sainte, ni un sage, ni une héroïne : c'est seulement un être humain, elle prend le pouvoir qu'on lui tend, comme l'oiseau vient immanquablement manger les miettes de pain dans votre main. Heureusement que la politique et la morale n'ont rien à voir ...

6 commentaires:

Matthieu a dit…

Au moins on ne peut plus vous soupçonner de connivence à cause du prénom ! ;-)

Emmanuel Mousset a dit…

Vous parlez d'Emmanuelle Cosse ou d'Emmanuel Macron ?

Erwan Blesbois a dit…

Le meilleur des mondes possibles n'est que le meilleur des mondes organisés par les mâles dominants qui sont milliardaires ou qui font de la politique. Bien que Zemmour dise que ceux qui font maintenant de la politique sont des sous-hommes, des hommes dévirilisés, donc de plus en plus des femmes, car ils n'ont plus aucune puissance et possibilité d'action sur le monde et la société, à la différence des milliardaires, tant vantés par Macron, qui eux sont encore des hommes virils et dominateurs. La politique à un haut niveau reste à mon avis quand même un milieu de prédateurs. La question est, Emmanuel, es-tu un réel mâle dominant, condition de possibilité de ton hypothétique réussite en politique ?

Emmanuel Mousset a dit…

Erwan, je réponds bien volontiers à ta question : non, je ne suis pas un "réel mâle dominant". Je ne suis pas non plus un milliardaire. Mais je "fais" de la politique, bien que je n'aime pas l'expression (beaucoup de gens que je connais, qui sont en politique, me disent qu'ils ne "font" pas de politique).

E a dit…

Se présenter aux élections et mener campagne, c'est présenter ce qu'on ferait au cas échéant... Soutenir les uns et attaquer les autres et même coller les affiches, est-ce "faire" de la politique ou s'illusionner d'en "faire" ? Si M Mousset pense qu'il "fait" de la politique, ça n'engage que lui et ses illusions. Il "fait" plus sûrement du commentaire politique. Et ce n'est déjà pas si mal. Il présente ses idées politiques, ses désirs d'action politique, il vante et soutient certains politiciens et il combat les idées comme les actions d'autres dont il ne partage pas les points de vue... Mais soutenir les uns et essayer de dézinguer les autres, est-ce "faire" de la politique ? Celles et ceux qui "font" de la politique, ce sont les élus et les élues qui sont dans l'action.

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis d'accord avec vous.