jeudi 11 février 2016
La vie en état d'urgence
Ca y est, c'est fait, depuis hier soir : la révision constitutionnelle a été adoptée, non sans difficulté, par la majorité requise, qui a vu gauche et droite se mêler ... ou s'opposer. Hollande l'a voulue, il l'a eue. L'idée, quelques jours après les attentats du 13 novembre, avait suscité au Congrès les applaudissements unanimes de toute la représentation nationale. Le président de la République ne pouvait que mener à son terme ce sur quoi il s'était solennellement engagé.
Le reste, discussions, négociations, rectifications, ce n'est que de la politique, c'est-à-dire pas grand-chose, mais quand même quelque chose : le Parti socialiste est profondément divisé sur un projet qui aurait pourtant pu et dû rassembler. Sur la politique économique et sociale, on comprend qu'il y ait chez les socialistes des différences, mais pas quand l'intérêt général de la nation est en jeu, que notre pays a souffert sur son sol de massacres et que nous sommes en situation de guerre, même si les termes du débat auraient mérité d'être un peu plus nuancés (voir le billet d'hier). Une ministre populaire à gauche, Christiane Taubira, a quitté volontairement le gouvernement. Ce n'est pas encore visible, mais l'événement aura des conséquences, assez vite, sur la vie du Parti socialiste.
A terme, le grand vainqueur, c'est François Hollande, qui a réagi à la hauteur de la tragédie, qui a promis et qui a tenu, qui a rassemblé au prix de diviser son propre camp. C'est ce qu'on appelle un homme d'Etat, je crois. Mais, en démocratie, qui n'est pas une autocratie, un homme politique ne gagne jamais seul : à travers Hollande, c'est l'opinion qui a gagné, parce qu'elle comprend l'état d'urgence, en dépit de ses désagréments, parce qu'elle adhère à la déchéance de nationalité, même si elle en voit les limites. Il n'y a, dans cette affaire, que la classe politique qui se soit divisée, à l'intérieur de chaque parti de gouvernement. En fait, nous n'avons pas assisté à un simple débat parlementaire, mais à un phénomène de société, déjà ancien, qui se caractérise par quelques traits marquants :
L'opinion veut du droit, encore du droit, toujours plus de droit. C'est, avec la psychologie, la discipline de prédilection. Que les Français approuvent une solution juridique, au plus haut niveau, celui d'une révision de la Constitution, afin de répondre à la tragédie de novembre, c'est dans l'air du temps. Plus rien n'est sacré, personne ne songerait à se tourner vers la religion, mais le droit, la loi restent de fortes croyances. Ce qui est aussi dans la logique d'une République, où force demeure à la loi.
L'opinion, depuis quelques décennies, n'est pas obsédée par la faim comme autrefois, mais par l'insécurité, sous toutes ses formes. La mort qui frappe n'importe qui en plein Paris, c'est l'insécurité absolue. Au soir du 13 novembre, chacun se sentait une victime potentielle, et les amis s'empressaient de faire savoir à leurs amis, par internet, qu'ils étaient en sécurité, sains et saufs. C'est sûrement délirant, l'humanité en a vécu d'autres, de pires, sans s'émouvoir à ce point, mais c'est ainsi : l'opinion française a été traumatisée par les barbares et leurs tueries.
François Hollande a compris que la réponse devait être d'envergure et qu'il devait la placer au niveau le plus élevé : celui de la Loi fondamentale, de notre Constitution. Philosophiquement, politiquement, on peut toujours en discuter, critiquer, mais sous le feu des terroristes et dans un état de crainte totale, l'opinion ne discute pas, elle veut l'état d'urgence dans le marbre de la Constitution, parce qu'elle saisit qu'il y a urgence, que l'exception devient la règle, la normalité.
Toute une psychologie collective, bien antérieure aux attentats, a préparé à l'acceptation de cette révision constitutionnelle. Regardez la télé, écoutez la radio, lisez la presse, participez aux conversations : nous vivons tous, depuis quelques années, en état d'urgence, ou en état d'alerte, comme on dit aussi. Tout est urgent, tout devient préoccupant. Nous ne sommes vraiment pas dans une société de la patience et de l'insouciance ! Nous vivons en permanence dans un état anxiogène. Dans un tel contexte, l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution ne peut passer que comme lettre à la poste auprès de l'opinion, renvoyant au néant les réserves juridiques pourtant parfaitement légitimes.
Le plus révélateur de cette révision constitutionnelle a été le moins commenté (parce que sans polémique possible) : l'état d'urgence ne vise pas qu'à se protéger des terroristes, mais aussi des catastrophes naturelles. Voyez comment a été traitée dans les médias (et donc dans les têtes) la tempête de ce week-end : nous n'étions pas loin de la fin du monde, des vagues submersibles (le nouveau mot à la mode) allaient s'abattre sur nos côtes, préfigurant une sorte de tsunami, des vents forcément violents étaient programmés pour dévaster le territoire, arracher les toits de nos maisons, renverser nos automobiles et menacer de tuer les nôtres, sans kalachnikov, mais c'était tout comme. Il ne manquait plus que le vieux Noé et son Arche, si la Bible faisait encore partie de nos lectures. A quand une application sur le net, pour rassurer nos proches, pour les prévenir que nous sommes sécurisés, confinés, hors de tout danger pendant la tempête ? La vie de nos contemporains, c'est la vie en état d'urgence.
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5 commentaires:
Oui enfin bon, la loin est encore bien loin d'être votée. Il faut la ratification du congrès et c'est pas gagné.
C'est gagné, j'en mets ma main au feu.
De Gaulle a protégé la France et les Français autant qu'il a pu, lui avait un projet, les Français ont été heureux 50 ans grâce à lui. Désormais le malheur va s'abattre sur la France tous les jours un peu plus ceux qui font semblant d'avoir des illusions comme toi tiendront un peu plus longtemps dans leur "bulle" mais elle éclatera elle aussi. Le "bonheur" de la classe moyenne est comme une bulle économique, il est largement surfait et repose sur le travail de populations réduites à l'esclavage pour nous fournir en denrées de consommation.
Certains disent "va parler du bonheur gaullien aux femmes qui ont vécu cette époque."
Mes deux grands mère n'ont pas souffert du gaullisme, bien au contraire, par contre ma mère a beaucoup souffert de la "libération des mœurs", mais elle n'en a pas conscience, comme toi,
La "libération des mœurs" n'est qu'une stratégie du grand capital pour augmenter l'individualisme et accroître la frustration des masses, qui ne visent pas le vrai ennemi, leur patron et non leur mari.
Quand on songe que 10% de la population détient 86% des richesses. C'est pire que "Germinal" le différentiel de richesses entre riches et classe moyenne
Les pauvres n'en parlons pas, ils sont 50% de la population mondiale et ne possèdent rien.
Enfin la "classe moyenne" est un phénomène récent, qui ne s'est pleinement épanoui que durant les trente glorieuses, et qui va tendre à disparaître.
Avec le narcissisme et l'individualisme contemporains les couples en général se défont quand l'un gagne mieux sa vie que l'autre, ou que l'autre se fragilise. Tu ne comprends donc pas que c'est la crise de l'éducation donc le déclin de l'autorité qui nous mène à la guerre civile. Avez-vous vu le film "la loi du marché" je vous le recommande ; Les "meurtrier" ou prédateurs ont leur conscience pour eux car la société les encourage ce sont les pauvres les victimes qui sont criminalisés. On peut interpréter l'action des djihadistes comme une réaction de défense des victimes, au moins ils meurent avec un certain panache et en meurtriers, non en victimes.
Les communistes de Marx se réclamaient de l'idéal égalitaire, ils ont perdu et commis beaucoup de crimes, alors que le libéralisme mondialisé est beaucoup plus proche de la vie et du monde animal avec ses prédateurs et ses proies. Ça fonctionne
L'auteur de ce blog Emmanuel Mousset ne cesse de nous répéter que ce gouvernement veut faire notre bonheur malgré nous, faux le gouvernement est impuissant devant l'évolution des mœurs et l'auteur de ce blog le sait bien. En réalité nous vivons dans un théâtre de l'horreur, qui finit par endommager nos cerveaux. Horreur à laquelle nous finissons par réagir par l'état d'urgence. Car en réalité, à son extrême, l'homme moyen réagit à tout par la panique, même au moindre déréglement climatique. Parce que notre société est comme le Titanic, elle a déjà commencé à couler, les plus intuitifs, ou sensibles le sentent, comme certains animaux sentent les tremblements de terre à l'avance. La réaction des riches de s'enrichir toujours plus surtout au détriment de la classe moyenne, prise en étau entre riches et pauvres, est aussi une réaction de défense devant la peur panique. Une réaction outrancière et odieuse qui rappelle la réaction des gens riches lorsque le Titanic coula.
A Erwan, mon vieux copain de fac,
Elisabeth de Fontenay lors de ses cours manifestait son opposition aux IUFM. Elle était contre cette réforme et l'avait dit. "A l'avenir notre rôle ne sera plus de transmettre un savoir mais de faire de la garderie". Elle était furax et je m'en souviendrai toute ma vie. Beaucoup d'autres prof de philo pensaient d'ailleurs la même chose. Il y avait un débat de fond entre les partisans du tout pédagogisme comme l'abominable Philippe Mérieux qui étaient majoritaires et quelques uns comme de Fontenay qui était contre. Je n'invente rien. quel intérêt ? Partout où ils ont fait le tout pédagogisme ça a été une catastrophe. Voire ce qui s'est passé au Canada. Il y a quelques années je me suis rendu avec Long à une conférence à la Sorbonne d'un prof qui expliquaient les dégâts au Canada On en paie aujourd'hui les conséquences. Autrefois les profs enseignaient. Point. Les profs menaient les élèves au moins jusqu'au certificat d'étude et ils avaient un niveau parfait en français, largement au-dessus d'un étudiant de fac. C'est triste mais c'est ainsi. après ils allaient en apprentissage au lieu de glander comme maintenant dans les collèges et lycées. Et quelques-uns faisaient des études supérieures. On a fait de la démagogie à outrance avec la génération de 68 que tu dénonces en voulant "toute une classe d'âge avoir le bac". Ce n'était pas rendre service aux élèves. On le donne aujourd'hui le bac. C'était presque déjà comme ça en 1983 lorsque je l'ai passé en une fois. En cette période de chômage de masse on ne veut plus préparer des jeunes à des métiers manuels nouveaux. Il y a des boites qui cherchent des jeunes pour des nouveaux métiers dans le numérique ou autre et ils n'en trouvent pas. C'est un comble et catastrophique. ça crée un désespoir social qui ne peut finir qu'en guerre civile. Les pouvoirs successifs sont méprisés à un point incroyable. La mèche est là reste à savoir qui l'allumera. Grèce d'aujourd'hui : 27,4% de chômage dont 60% les moins de 24 ans. Le but c'est d'épuiser les peuples pour niveler tout par les bas. C'est une idéologie, cela s'appelle le mondialisme. La mondialisation c'est très bien. Mais l'idéologie du mondialisme c'est la disparition de toutes les traditions nationales ET régionales pour avoir une grande masse dont on assurera juste la survivance. Et de l'autre il y aura une hyper-classe qui vivra dans l'opulence et dirigera tout. Tout ça est en train de se mettre en place. En Grèce ils ont supprimer tous les médias d'Etat. Et comme il n'y a pas de médias privés ils n'ont plus d'infos. Normalement si la Constitution avait été respecter ils auraient dû passer par une loi devant le Parlement grec. Leur seul argument : ce soir on ferme tout car il n'y a plus d'argent. Résultat le parti communiste grec et quelques dissidents ont mis en place d'autres petits moyens et je viens d'apprendre que la police enlève tout ça. C'est fini la démocratie. Tu devrais lire Michel Clouscard. Je ne l'ai pas lu mais je suis sûr que ça t'intéresserait. Faudra avoir des relations amicales au niveau local pour la bouffe, le troc, des savoirs faire, l'énergie, etc... Je terminerai par cette phrase de Warren Buffet qui est retransmise par Pierre Hillard dans une conférence : de mémoire : "il y a une guerre de classe entre nous les riches et les pauvres. Eh bien nous les riches sommes en train de gagner cette guerre". Buffet est un des hommes les plus riches du monde et un "exemple" pour tous ceux qui veulent réussir dans la finance. Comme m'a dit un financier : "il a construit sa fortune sur le dos des contribuables américains". Cette personne n'aimait pas Warren Buffet je crois.
Bon, les commentaires de ce blog deviennent le lieu de rencontre des types que j'ai rencontrés au siècle dernier à la Sorbonne. Pourquoi pas. Marc est réac, c'est son droit. Erwan est déprimé, c'est un fait. Logique qu'ils se retrouvent. De mon côté, tout va bien. Précision : Clouscard, que j'ai lu au siècle dernier, est marxiste. Mais Marc le réac s'en moque : tout ce qui peut alimenter son ressentiment lui convient. Bises à tous les deux.
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