jeudi 25 février 2016

200 000 rumeurs



Une pétition en ligne contre la réforme du droit du travail fait des petits, quelques centaines de milliers de signatures en quelques jours. Hier, à la radio, j'entendais le chiffre de 200 000, ce matin 500 000, dans deux jours, un million peut-être : quelle importance, quand on déteste, on ne compte pas ! La gauche de la gauche (curieuse redondance, que je ne confonds pas avec l'extrême gauche, qui a mon estime et mon respect) ne gouverne pas, alors elle pétitionne, à tour de bras. Prenez n'importe quel sujet, vous obtiendrez très vite des tas de signatures. Quand on est faible, on se croit fort avec ça.

Le phénomène ne peut qu'aller en s'amplifiant, puisque c'est une forme de delirium. Le texte contesté n'a été lu par pratiquement personne, sa version actuelle n'est qu'une base de travail, le Parlement en discutera et forcément l'amendera. Cette pétition n'est pas un combat, c'est une occasion : s'en prendre au gouvernement socialiste, lancer un dernier missile en sa direction. La boulimie de signatures, l'excitation médiatique, tout ça me fait penser, il y a 11 ans, à l'affreux et faux débat sur le Traité constitutionnel européen et, dans une moindre mesure, l'énervement autour du TAFTA, le traité commercial transatlantique.

Dans tous les cas, un texte mal connu, peu lu, déformé à souhait devient une source d'inépuisables fantasmes. La gauche de la gauche y déverse toute sa rancœur envers la social-démocratie. En 2005, c'était terrible : on dépeçait le traité européen, on disséquait ses lambeaux et on lui faisait dire ce qu'il ne disait pas. C'est tout le problème : dans l'affrontement entre la parole et l'écrit, c'est la parole qui a le dessus, parce que le langage est le lieu de tous les fantasmes, où les mots s'envolent très vite. L'écriture, comme moi en ce moment, reste : elle est beaucoup plus stable, rationnelle, réfléchie (même si elle défend un point de vue qui peut bien sûr être contesté).

Le TCE a nourri à l'époque une multitude de rumeurs, de mensonges qui rendaient le débat impossible, paranoïaque. Je me souviens que ses adversaires, les "nonistes" (sic), prétendait qu'il était anti-laïque, parce que le mot de "laïcité" n'apparaissait nulle part dans le texte. Cas parfait de délire : le mot n'y est pas, donc l'idée est absente ! Le fantasme, c'est quand les mots l'emportent sur les idées et les réalités. Du coup, on ne réfléchit plus sur un projet et ses grandes lignes (qu'on peut approuver ou contester), mais on se focalise sur des détails isolés, qui sont faux ou insensés. C'est le trouble de l'obsessionnel-type.

Revenons au projet de réforme du Code du travail. Une rumeur parmi des dizaines affirme, vrai de vrai, que la journée de travail pourra être portée à 12 heures. Ces socialistes sont des esclavagistes ! Dans l'esprit moyen, il est déjà bien de bosser 6 ou 7 heures maximum, mais le double, quelle scandale ! Vous voyez : rien qu'avec un tel mensonge, on en ramasse à la pelle, des signatures pour la fameuse pétition.

Permettez une confidence, que je crois avoir déjà faite sur ce blog : 12 heures par jour à travailler, c'est ce que j'ai fait de 1986 à 1993, dans le gardiennage, où les vacations étaient de cette amplitude horaire, assortie de nombreux repos compensateurs, ce qui revenait à travailler environ trois jours dans la semaine. Tout ça pour vous dire que le maximum horaire journalier de 12 heures est inscrit depuis longtemps dans le Code du travail, réservé à des activités très spécifiques, comme celle que j'ai effectuée pendant sept ans. Et puisque nous sommes en train de compter (comme tous ceux qui renoncent à réfléchir), je vous dirais que le nombre global de mes heures de travail effectif est beaucoup plus élevé depuis que je suis devenu enseignant (dans l'un et l'autre cas, je ne m'en plains pas, j'ai fait un choix).

Pourquoi tous ces détails personnels ? Parce que le délire paranoïaque (un complot socialiste se trame, visant à détruire le droit du travail) ne peut être combattu qu'en retournant les détails dont il prétend se nourrir. Bien sûr, à choisir, je préfèrerais un débat rationnel et honnête sur la philosophie générale du texte. Mais, en politique, on ne choisit ni ses adversaires, ni le champ de bataille. Je me mets à leur niveau, même quand il est très bas, et j'essaie quand même de l'élever un peu.

Nous aurons hélas l'occasion de revenir sur les autres et nombreux mensonges, erreurs, fantasmes et délires que le projet de loi sur le droit de travail est en train d'alimenter. Valls, El Khomri et Macron ont bien fait de se montrer unis, à l'image, pour faire symboliquement barrage à la marée montante, pour afficher leur détermination à défendre ce projet : la raison ne doit pas céder devant le fantasme, la volonté doit demeurer inflexible face au délire. Si le symbole peut y aider, tant mieux.

Un dernier point, le plus drôle : les anti-El Khomri se sont trouvés un héros, un porte-drapeau, qui leur certifie que la réforme en discussion est véritablement ultra-libérale. Il s'agit de Jacques Attali, l'idiot utile du moment, selon la tradition léniniste. La gauche de la gauche adore aller chercher quelqu'un qui n'est pas de ses rangs pour la représenter, selon un raisonnement débile : nous avons nécessairement raison, puisque quelqu'un qui n'est pas d'accord avec nous est d'accord avec nous. Car Attali, c'est un social-libéral pur jus.

J'attends avec délectation le jour où la gauche de la gauche sera fan d'Alain Minc, parce que, sur un sujet, il parlera comme elle ! L'analogie avec 2005 est à nouveau frappante : c'était alors Laurent Fabius qu'on avait ressorti de derrière les fagots, Lolo, celui qui a converti le Parti socialiste à la culture d'entreprise, en devenant le Premier ministre de la politique de rigueur en 1984, dont l'ami politique, Pierre Bérégovoy, à son tour à Matignon après Cresson, a pratiqué la politique bien peu gauche de gauche du Franc fort.

Mais qu'importe le flacon, Fabius hier, Attali aujourd'hui, Minc demain, pourvu qu'on ait l'ivresse, celle de l'antisocialisme. C'est passé en 2005, l'Europe a été durablement affectée par l'échec du oui au référendum. Cette fois, la gauche de la gauche réussira-t-elle à casser les reins du gouvernement, en multipliant les signatures contre lui ? Rien n'est moins sûr. Le Parti socialiste trouvera-t-il en lui les ressources pour contre-attaquer, passer à l'offensive ? Je le souhaite, mais je n'en suis pas certain non plus.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

le souci, c'est la définition du licenciement économique. Il faut quelque de plus précis; et admettre la compétence exclusive du judiciaire dans le cas de licenciement économique, et le laisser fixer les indemnités ( car les prud'hommes, c'est bel et bien du judiciaire ) Voilà de quoi rassurer. Inutile de se recroqueviller sur des caprices !

E a dit…

S'il y a matière à délire en l'occurrence comme en d'autres, ne serait-il pas judicieux de se demander, quand "on" est certain du bien fondé des réformes en cours, si la méthode, toujours la même, venant du gouvernement qui communique là où il ferait peut-être mieux de se taire, est celle qui convient ?
Pour ce qui me concerne, ma boîte reçoit sans cesse des demandes de pétitions de tous acabits en provenance d'officines socialistes à qualifier de gauche de la gauche ou de "rebelles" mais jamais, au grand jamais rien de la sorte pour soutenir la social-démocratie chère au blogueur de service.
Quant à revenir sur le référendum de 2005, j'ai voté "non" à l'époque et je pense toujours que c'était "le bon choix" pour paraphraser l'ancien président auvergnat quand je constate le b... européen actuel.

Emmanuel Mousset a dit…

Vous confirmez ce que j'écris : la social-démocratie ne succombe pas à la pétitionnite aigüe, et elle a bien raison.

Philippe a dit…

Pourquoi a-t-on besoin de réformer la loi concernant le code du travail ?
Peut être que l'on ne peut plus rien faire d'autre ?
Explications :
Les dirigeants des États de l'UE se sont privés, par traités ratifiés par nos députés nationaux, de toute possibilité d'aider leurs industries nationales.
La concurrence doit être libre et non faussée, donc on ne peut pas favoriser par des subventions ou par des prêts à 0 % de la Banque de France des entreprises françaises. Si on le faisait la Cour de justice de l'Union européenne à la demande de concurrents étrangers infligerait de lourds dommages et intérêts.
Ne pouvant comme à l'époque de de Gaulle et Pompidou avoir une action sur l'économie réelle on s'occupe du chômage.
On allège les charges et obligations patronales puisque l'on ne peut pas les aider à embaucher en ayant des clients et/ou en les associant à de grands projets initiés par l’État.
Actuellement comme on a besoin d'argent pour nos guerres néo-colonialistes on racle les fonds tiroirs et …. cerise sur ce gâchis … on ne sait pas faire face aux conséquences de ces guerres sur notre territoire attentats et … Calais et ces nombreux clones que l'on dissémine en croyant les cacher !

Erwan Blesbois a dit…

"je vous dirais que le nombre global de mes heures de travail effectif est beaucoup plus élevé depuis que je suis devenu enseignant". Est-ce qu'au bout de 23 ans d'enseignements on prépare toujours ses cours ? 18 heures de cours par semaine + admettons 18 heures de préparations et de corrections par semaine, c'est un maximum. Cela fait 36 heures. Alors qu'à l'époque tu faisais 40 heures de gardiennage + environ 15 heures de cours à la Sorbonne (je ne me souviens absolument pas du nombre d'heures de cours que nous avions à l'époque) + le boulot demandé par les profs de Fac, et surtout celui pour devenir prof de philosophie, soit au moins 70 heures par semaine. Je ne vois pas comment à l'heure actuelle en ayant un statut de professeur de philosophie, tu te fais chier à travailler plus de 70 heures, tu dois être le dernier prof en France à faire ça, c'est du masochisme. Mais tu as toujours été maso. Tu ne rends pas service à notre profession, avec le salaire de misère que l'on a gelé depuis au moins 8 ans, et le manque de considération de la société et des parents d'élèves de plus en plus hystériques, il faut en faire le moins possible, c'est ma philosophie.
Sinon, quel esprit, Phillipe, quel esprit ! Vous enfoncez notre ami Mousset dans les affres de la médiocrité servile.

Erwan Blesbois a dit…

Aujourd'hui je me suis méchamment frité au boulot, j'ai d'abord été convoqué par la directrice pour un conflit (frittage de gueule) avec une collègue devant les élèves, ensuite j'ai traité un collègue de psychorigide en pleine réunion de professeurs, il y a eu des oh et des ah d'indignation, enfin j'ai dit à toute l'équipe de lire René Girard "Le bouc émissaire". Le collègue que j'ai traité de psycho rigide a quitté la salle de prof rouge de rage, sous entendant que si il restait une minute de plus il allait me claquer la gueule. Voilà où en est l'éducation nationale aujourd'hui mon pauvre Emmanuel, mais cela me fait un bien fou, enfin je m'exprime
Enfin j'ai fait mon théâtre hystérique habituel, en disant que c'était moi le bouc émissaire de l'équipe, que c'était un besoin dans toute société humaine de rechercher un bouc émissaire, surtout dans des moments de tension très fortes, comme c'est le cas à l'EREA où je travaille, je me suis posé en victime de la fameuse rivalité mimétique chère à René Girard. Enfin le chef de service est venu me voir pour essayer d'apaiser les choses, me disant qu'autrefois les grands conflits permettaient une régulation, les éléments dégénérés de la société étant envoyé à la guerre. Je ne pouvais m'empêcher de me dire que sa pensée avait quelque chose de nauséabond et fasciste.
Je ne suis pas particulièrement fier de cet épisode, je n'en tire aucune fierté, j'en ai même un peu honte. Mais c'est un passage obligé pour ma "renaissance". Je me choisis des ennemis comme dit Nietzsche, et j'utilise comme en aïkido, la force de l'adversaire contre lui-même, et en même temps je m'approprie sa propre force pour sortir de ma dépression récurrente.

Erwan Blesbois a dit…

Ma stratégie est d'utiliser la force de l'adversaire, ou plutôt son agressivité et sa volonté de nuire. Ma technique techniques vise non pas à vaincre l'adversaire, mais à réduire sa tentative d'agression à néant. Mon état d'esprit peut être considéré comme la concrétisation du concept de légitime défense : une réaction proportionnée et immédiate à une agression, or mes collègues me prennent pour un faible sur qui on peut "cogner" en toute impunité, je veux leur prouver le contraire. Mon collègue que j'ai traité de psychorigide avait commencé les hostilités, et était en même temps dans son bon droit d'un point de vue strictement légal, me faisant un reproche institutionnalisé devant l'équipe pour une peccadille, or je lui ai avoué ma difficulté à gérer un groupe classe très difficile, et qu'il ferait mieux de me donner des conseils plutôt que de m'enfoncer ; or il n'a rien voulu entendre et continuer de m'enfoncer, c'est alors que j'ai réagi. En fait, dans mon esprit, il n'y a pas de combat, puisque celui-ci se termine au moment même où il commence.

Emmanuel Mousset a dit…

Tes commentaires sont très personnels, d'ordre privé, je n'aime pas trop ça. Mais je publie quand même, parce qu'on peut en tirer une réflexion générale.

D. a dit…

En effet, si ça lui fait du bien, au lecteur, ça ne fait de toute façon pas mal...
Et puis la censure...
On voit où ça commence mais c'est plus flou pour savoir comment ça finit...
La censure sévissait-elle du temps de Diogène ?

Philippe a dit…

Erwan
Concernant : "Sinon, quel esprit, Phillipe, quel esprit ! Vous enfoncez notre ami Mousset dans les affres de la médiocrité servile."
concernant l'UE
Je n'ai aucun mérite actuellement ... il y a qq années j'ai essayé de me faire une opinion perso sur le fonctionnement interne de l'UE, sur ses liens avec l'OMC, sur les accords qu'elles ont passé ... en allant lire certains traités et docs internes à ses organismes ... en visionnant des vidéos de spécialistes et en allant à plusieurs conférences ... pour ou contre (même une réunion favorable à l'Europe actuelle de 2 jours).
Y compris sur les racines du système la Société du Mt Pélerin ... les accords de Bretton Woods ... apprendre qu'au final tout est ratifié avec régularité par les parlements nationaux dont les membres répètent sans honte dans leurs circonscriptions ... "c'est la faute à Bruxelles" alors que dans la plupart des "accords" il y a des clauses de sauvegarde ou des clauses sociales zappées non utilisées etc. etc. etc.
bref j'étais fou.
Perdre ses illusions, est-ce vraiment utile ? Croire que tout le monde est franc du collier, que tout le monde il est bon c'est concon mais tellement joyeux !
Concernant les commentaires perso
Attention à ne pas favoriser une levée de bouclier de l'ensemble des collègues ... ce qui conduirait possiblement à un isolement professionnel ... terrain idéal qui permettrait à un esprit pervers (il en a toujours) de monter sur la durée un processus de harcèlement professionnel.

Erwan Blesbois a dit…

Merci à Philippe pour son soutien, oui effectivement la perversion est mon pire ennemi, celui dont je dois me méfier le plus, je ne ferai aucune référence à ma famille, mais en matière de perversion narcissique j'ai été verni, lire mes blogs pour se faire une idée. La perversion écrase, opprime, on ne peut rien faire contre un esprit pervers, aucune possibilité de négociation, un esprit pervers est à l'affût de la moindre faille pour vous anéantir, c'est désolant effectivement que la société ne puisse rien faire contre ça, et même selon moi l'encourage, par le libéralisme économique notamment, qui stimule ce qu'il a de pire en l'homme. Le destin c'est le caractère humain, les pervers sentent les failles et s'engouffrent dedans, la perversion c'est selon moi le destin de la société occidentale, quelque chose qui se joue un peu derrière notre dos, la perversion à l'œuvre dans le calcul égoïste de la technique qui se joue à notre insu. On ne peut rien faire contre ça, c'est un destin, une fatalité. Moi je ne sais plus si il faut en rire ou en pleurer tellement la société moderne et absurde et perverse. Mais comme le dit Emmanuel Mousset ingénu en la matière : "je n'ai jamais compris le mal", notre ami Mousset n'a pas accès à cette dimension de l'espèce humaine, et c'est une lacune qui l'empêche d'accéder à beaucoup de vérités sur la société actuelle, il est insensible à la perversité, parce que les pervers n'ont pas d'emprise sur lui ; il n'a pas les failles qui pourraient permettre à un pervers de s'engouffrer dedans, donc il ne comprend pas la perversité et ne la voit même pas chez ceux qui sont pervers, comme DSK par exemple. Et notre ami Mousset par ailleurs n'est pas pervers pour un sou, il est ingénu dans son admiration pour les pervers.