mercredi 10 juin 2015

Réagir en Français et en républicain



La société française, depuis une vingtaine d'années, subit un changement dont les racines sont encore plus anciennes : elle s'américanise, adopte dans beaucoup de domaines la mentalité puritaine, moralisatrice, donneuse de leçons. Depuis que la religion catholique a reflué, nous nous laissons influencer par une vertu étriquée, une repentance constante. Nous manquons de curés, nous allons les chercher en Afrique : du coup, les faux curés prospèrent, les bonnes soeurs laïcs tiennent le haut du pavé. Les psychologues se font les auxiliaires de cette tendance générale, où chacun est sommé de rendre compte de ses comportements individuels, de confesser publiquement ses prétendues fautes.

Les médias télévisés, spécialement les chaînes d'information continue, se font les censeurs et les procureurs de ces nouvelles moeurs d'outre-atlantique. Ils mettent en scène ce que doivent être le bien et le mal. L'opinion est caressée dans le sens du poil, flattée dans son narcissisme, au nom de la pureté, de l'intransigeance et de l'exemplarité : les grands de ce monde, en revanche, sont montrés du doigt, soupçonnés de mauvaises intentions (il faut bien trouver un diable quelque part). Le sexe et l'argent sont les obsessions des inquisiteurs contemporains. Les hommes publics sont mis sous surveillance. Le tribunal de la pensée correcte et de l'attitude appropriée siège sans discontinuer, prononce fréquemment ses sentences sans appel, exige des mea culpa à répétition, des séances de contrition.

Pourquoi ce long préambule avant d'en arriver à l'affaire Valls et son voyage à Berlin ? Parce que ceci explique totalement cela ! Il y a encore 30 ou 40 ans, il ne serait venu à l'idée de personne de lancer une polémique aussi stupide, parce qu'alors le contexte culturel de notre pays la rendait tout simplement inconcevable. Il aurait paru normal, évident, indiscutable qu'un homme politique du plus haut rang se rendre en avion, même pour un bref délai, à une invitation officielle, dans un cadre parfaitement légal et pour une question d'intérêt public.

Que cette visite, portant sur l'organisation d'une manifestation sportive d'envergure internationale, soit agrémentée par la participation à un match, là encore tout cela aurait semblé autrefois complètement légitime (c'est le contraire qui aurait paru étrange ...) et n'aurait suscité aucun commentaire. Que les enfants du Premier ministre soient du voyage, on n'y aurait même pas fait attention ... ou alors on se serait félicité d'une telle attention. Reportez-vous aux coupures de presse, à l'actualité télévisée d'il y a 30 ou 40 ans : vous n'y trouverez aucune affaire de ce genre. Les hommes politiques en ce temps-là étaient-ils donc plus vertueux ? Absolument pas ! Mais l'opinion, la société, les mentalités étaient moins américanisées.

Et puis, il y a un air de plus en plus fréquent, celui d' "aux frais du contribuable". Etrange chanson : ce n'est plus désormais le citoyen qui est la référence, comme il se devrait en République, mais c'est le contribuable. Jamais de ma vie je ne me vois, je ne me pense, je n'agis en contribuable ! Il faut avoir un drôle d'état d'esprit pour juger des choses sous cet angle-là. Et la moitié des Français qui ne paient pas d'impôts, sont-ils alors exclus, doivent-ils se taire puisqu'ils ne sont pas contribuables ? Si l'usage des impôts doit être décidé dans son menu détail, en fonction aux humeurs personnelles des uns et des autres, ce n'est même plus la peine de lever l'impôt ! Derrière cette référence aux "frais du contribuable" se cachent en réalité une haine de la République, une contestation du prélèvement fiscal, un rejet de la démocratie et de la classe politique. Ah il a bonne mine, il a l'air frais, le contribuable de la chanson ! La droite serait avisée de ne pas faire chorus avec la meute ; elle aussi est menacée par ce populisme radical.

Manuel Valls doit rejeter toute critique, ne rembourser aucun centime, ne surtout pas s'excuser de quoi que ce soit, assumer au contraire ce qu'il a fait, dénoncer et attaquer tous ceux qui le dénoncent et l'attaquent, se montrer exemplaire, c'est-à-dire réagir en Français et en républicain, contre les puritains américains, démagogues, arrogants et hypocrites.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

c'est François Hollande, lui même, qui a encouragé ce type d'attitude en parlant régulièrement durant sa campagne d'exemplarité, d’intégrité, d'une attention particulière sur le train de vie des élus....
lui même c'est comporté de façon ridicule en voulant prendre le train d'une ligne régulière pour ses déplacements. il fallait être " normal " et à l'opposé du comportement Sarkosiste dit "bling bling".

Voilà le résultat ! alors maintenant même si je partage votre indignation et votre dégout pour ce type de scandale , je pense que ce gouvernement récolte ce qu'il a semé, c'est bien fait, je m'en réjoui. fallait pas prendre les citoyens pour des cons

Emmanuel Mousset a dit…

Le tout premier responsable, c'est Jacques Chirac, il y a 20 ans, quand il a demandé à la voiture présidentielle de s'arrêter au feu rouge. Symboliquement, c'était une atteinte à la fonction, un mauvais exemple donné à l'opinion, qui a préparé la suite, jusqu'à l'affaire d'aujourd'hui.

Erwan Blesbois a dit…

Enfin il est vrai que le cynisme a des accointances avec la philosophie, puisque c'était même une école de philosophie antique, alors que l'hypocrisie en a aucune ; et que Nietzsche quelque part a fait l'éloge du cynisme, qui nous apprend beaucoup plus sur la nature humaine que la fausse vertu de l'hypocrite. Mais puisque les petit-bourgeois n'ont aucune qualités positives, ils ont fait de l'hypocrisie leur vertu.

Emmanuel Mousset a dit…

Il faut distinguer le cynisme politique, qui est un calcul, une manipulation, et le cynisme philosophique, qui consiste à montrer la nature humaine telle qu'elle est. Pour moi, l'hypocrisie n'est pas tant liée à la politique qu'à la morale. C'est pourquoi je déteste celle-ci. Je me moque par exemple assez souvent de la fausse politesse de mes élèves, leur obsession à dire "bonjour", auquel je réponds par un silence ou un grognement démonstratif ! Ils sont au début surpris, mais j'ai à charge de les éduquer, même à rebours de ce qui se fait.

Anonyme a dit…

1 - La moitié des Français ne paieraient pas d'impôt ?
Première nouvelle déconcertante venant de quelqu'un que jusqu'à présent je considérais comme sérieux...
Tous les consommateurs paient la TVA.
La TVA ne serait plus un impôt ?
2 - Vous voyez René Coty ou Charles de Gaulle agir comme vient de le faire Monsieur Valls ?Moi, pas...
Un tel comportement, dans le droit fil de celui du prédécesseur à l'Elysée de son locataire actuel, lui collera à la peau comme le pansement du capitaine Haddock. Monsieur Valls est grillé pour les futures présidentielles...
Être élu au poste suprême, et servir la France, ce ne sera jamais, les Français le sentent viscéralement, se servir.
Vous tentez de défendre l'indéfendable... Vous auriez pu faire profession d'avocat... des causes perdues d'avance mais auparavant faîtes le pèlerinage à Saint Rita, ce n'est pas très loin !

Emmanuel Mousset a dit…

1- La TVA est une taxe, comme son nom l'indique. Elle est qualifiée par certains d'"impôt" par abus de langage, à des fins souvent partisanes ou polémiques.

2- Sur le fameux voyage, votre réaction confirme ma position : vous n'argumentez pas, vous prêchez, vous moralisez, vous admonestez. Votre lapsus sur une sainte catholique est révélateur de votre état d'esprit, sous le ton de la rigolade. C'est une façon de voir, qui est aujourd'hui hélas majoritaire dans notre société. Ce n'est pas ma façon de voir.

Erwan Blesbois a dit…

Je pense qu'il y a un lien entre le cynisme en politique et le cynisme philosophique. C'est vrai que c'est l'usage qui fait le sens des mots, mais... L'Humanité est régie par un ensemble de règles, le cynique dans les deux sens du terme (philosophique et politique), veut forcer la nature humaine, sans doute parce qu'au départ il s'en faisait une opinion trop haute : c'est un ange déchu. Le geste emblématique du cynisme politique, c'est Alexandre tranchant le nœud gordien, pour ne pas être mis face à son échec. De la même façon Staline mis face à l'échec de l'application du marxisme à la société humaine, est devenu un menteur et un manipulateur en plus de tout le reste. L'hypocrite petit-bourgeois qui reste dans l'ombre, a peut-être mieux compris la nature humaine que le cynique. La nature humaine est caractérisée par sa limitation et sa fragilité qui est extrême. L'homme d'action comme Valls est fatalement un cynique, qui doit feindre la repentance : "si c'était à refaire, je ne le referais plus" ; il doit faire preuve d'hypocrisie. Mais chasser le naturel, il revient au galop.

Anonyme a dit…

Ou je ne sais plus rien ou je sais encore quelque chose...
Il y a deux formes dans les contributions, les directes et les indirectes...
A quoi sert d'ergoter sur les mots, contribution veut dire participer en commun aux frais communs, non ?
Si la contribution n'est pas volontaire, c'est qu'elle est imposée (légalement en République) ?
La CSG ne serait donc pas un impôt ?
C'est un impôt puisque c'est imposé.
La TVA ne serait donc non plus un impôt ?
C'est un impôt puisque c'est imposé.
Toutes les taxes sont des impôts, que l'on le veuille ou non.
Quand à la morale, en quoi, les dirigeants en seraient-ils dispensés alors que nos juges en dispensent tant et tant dans leurs attendus concernant les menus trafics qui encombrent jour après jour nos tribunaux correctionnels ?
Morale d'en haut, morale d'en bas ?

Emmanuel Mousset a dit…

1- Ne vous surchauffez pas la tête, parlez comme tout le monde : quand quelqu'un s'achète un camembert, il ne se dit pas qu'il est en train de payer ses impôts !

2- La morale est une affaire strictement personnelle. Ni ceux d'en haut, ni ceux d'en bas ne doivent être soumis à une quelconque morale. C'est ce qu'on appelle la République.

Emmanuel Mousset a dit…

Erwan, d'accord avec toi sur l'hypocrisie, sentiment typiquement petit-bourgeois, donc sentiment de notre temps. Le cynique a plus d'allure, il est plus aristocrate. Quant à Valls, tu devines ma déception quand j'ai appris qu'il avait cédé au tribunal de l'opinion, c'est-à-dire à l'hypocrisie (ma définition de l'hypocrite : celui qui fait semblant).

Anonyme a dit…

"Les hommes politiques en ce temps-là étaient-ils donc plus vertueux ? Absolument pas !" dites-vous ?
Sous-entendu, les hommes politiques ne sont pas vertueux...
Et vous trouvez ça normal...
Le non-exemplaire est donc ainsi digne de représenter autrui, un autrui, forcément lui aussi non-exemplaire ?
Quelle jolie République que voilà, celle des coquins et des copains...
Que faîtes-vous de la conception qui dit que chaque élu se doit d'être exemplaire au moins lorsqu'il se trouve dans le contexte "public" ?
La vie privée ne concerne d'aucune façon la sphère publique sauf en cas de jugement judiciaire en bonne et due forme, toutes actions d'appel et de recours par ailleurs éteintes.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Dire que les hommes politiques d'autrefois n'étaient pas plus vertueux que ceux d'aujourd'hui ne signifient qu'ils ne l'étaient pas mais qu'ils l'étaient moins, parce que l'époque était alors moins puritaine, moins américaine, moins moralisatrice.

2- La "République des coquins et des copains", c'est le vieux slogan de l'extrême droite, antidémocratique et antiparlementaire. Faites attention à vos fréquentations (peut-être inconscientes).

3- Nous sommes d'accord sur l'essentiel : "la vie privée ne concerne d'aucune façon la vie publique", contrairement à ce qu'on pense aux Etats-Unis.