lundi 1 juin 2015

Anarcho-fascisme



L'affaire pourrait sembler anecdotique et ne pas mériter réflexion. Je pense tout le contraire. Samedi soir, à Namur, Bernard-Henri Lévy a reçu à la figure une tarte à la crème, lancée par Noël Godin, qui se présente comme un "anarcho-humoriste". Son geste avait pour but de venger le dessinateur Siné, que le philosophe a accusé d'antisémitisme. Ce n'est pas la première fois que cet acte se produit : BHL en a été la victime une dizaine de fois, depuis une trentaine d'années !

Notre première réaction, c'est d'en rire : la tarte à la crème est le numéro préféré du clown, on ne voit pas de mal à ça, il n'y a pas mort d'homme. "C'est pour rire", comme on dit, pour se dédouaner. La rigolade fait passer bien des choses. Et puis, seconde réaction, on en vient à penser que ce Bernard-Henri Lévy l'a bien cherché, sinon mérité, à force de s'exposer dans les médias, de donner son avis sur tout, de fréquenter et de conseiller les puissants de ce monde.

Je ne partage pas du tout ce point de vue, qui en réalité m'effraie. D'abord, tarte à la crème ou pas, une agression est une agression. Quel que soit son motif, la scène est violente, renforcée par le harcèlement, l'obsession de Godin. Une fois, pourquoi pas, mais contrairement à la formule, il n'y a pas de comique de répétition. En tout cas pas celui-là. Nous ne sommes plus, à l'évidence, dans le registre de l'humour, ni même du burlesque, mais dans l'humiliation, l'acharnement. L'objectif est de ridiculiser, de rabaisser, de dégrader. Dans ce rire-là, il n'y a ni joie, ni bonhommie, souvent présentes dans la franche rigolade : non, je sens le mépris, la haine.

Mais mon inquiétude est encore plus profonde : Noël Godin, par son geste d'entarteur (sic), rejette et empêche tout débat. BHL est certainement un personnage contestable : alors, utilisons les mots et les arguments pour le contester. La réaction qu'il suscite renvoie au ressentiment : quand on est beau, riche, célèbre et intelligent (quoiqu'on pense de ses idées et de ses engagements), on provoque la rancoeur, la jalousie et des réactions irrationnelles. La pire des facilités et des bassesses, c'est de chercher à mettre les rieurs de son côté. J'admets la provocation, l'irrévérence et l'ironie, je ne suis pas le dernier à les pratiquer. Mais dans l'affaire Godin/BHL, nous avons affaire à autre chose, nous entrons dans une dimension toute différente. Oui, c'est terrible à dire : le rire aussi peut être fasciste.

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