mardi 30 juin 2015

La seconde mort de Fernandel



Il ne m'est pas facile de vous parler de Charles Pasqua. La disparition d'un homme oblige à l'éloge. Or, quand on est de gauche, Pasqua était l'adversaire absolu, l'incarnation parfaite de l'homme de droite. Certes, avec le temps, l'âge, les responsabilités gouvernementales, le personnage s'était arrondi, assoupli, bonifié, au regard de la gauche. Il est devenu un peu plus fréquentable, tout en restant un homme de droite qu'on aime à combattre, dont les propos et les propositions font réagir. Bien sûr, il y aura toujours, à mes yeux en tout cas, une distance infinie entre la droite et l'extrême droite, les républicains et les fascistes, Pasqua et Le Pen, qui fait que je peux estimer le premier sur certains points, alors que je rejette totalement le second.

Même après ces préventions, l'image du Pasqua d'origine, celui des années 70, demeure, pour la gauche, négatif. Il y avait autour de lui une odeur de soufre et de pastis, qui est longtemps restée. C'est d'ailleurs pourquoi les hommages de ce côté-là, hier soir et aujourd'hui, ont été limités, retenus, prudemment officiels. Charles Pasqua était pour la gauche, au début, ce que Georges Marchais était pour la droite : une sorte de diable. Ils se ressemblaient un peu l'un et l'autre : visage marqué, traits creusés, regards furibards, sens de la répartie, ton gouailleur. Pasqua faisait d'autant plus peur qu'il était un homme de l'ombre, une éminence grise, un conseiller occulte, de ceux qui tirent les ficelles dans la coulisse. Quand il apparaitra dans la lumière des ministères, l'inquiétude se dissipera un peu.

Charles Pasqua était d'autant plus rejeté par la gauche qu'il était un homme de droite ne ressemblant pas à un homme de droite. Au moins, avec Giscard le grand bourgeois et Chirac le technocrate aux dents longues, les choses étaient claires et rassurantes. Avec le représentant de commerce de chez Ricard, qui avait des allures d'homme du peuple, c'était plus embêtant, même si, pour l'intellectuel de gauche, le profil demeurait répulsif.

Autre gêne, classique : Pasqua faisant d'autant plus peur qu'il faisait rire. D'instinct et d'expérience, nous savons qu'il faut se méfier des comiques en politique, qui ne le sont jamais autant qu'ils ne le laissent paraitre. Il y avait, au physique comme au moral, du Fernandel chez Pasqua, ce qui est assez original. Dans la classe politique, ils ne sont pas nombreux avé l'accent, Jean-Claude Godin (dans un tout autre genre) et lui.

Trois lettres, un peu oubliées aujourd'hui, qualifiaient et condamnaient Charles Pasqua, dans l'esprit de la gauche : SAC. Quand on les avait prononcées, on avait tout dit. Le Service d'Action Civique, c'était les coups tordus, les sales affaires, la violence organisée, tout cela réel ou fantasmé. En ces années 70, Pasqua était le SAC, et le SAC était Pasqua. Après, ce n'était guère mieux : un homme d'ordre et d'autorité, forcément premier flic de France une fois au pouvoir, un anticommuniste, un anti-européen. Tous les thèmes les plus traditionnels de la droite se retrouvaient sur son nom.

J'aurais pu moi aussi, au jour de sa disparition, en rester à un silence de prudence, ne pas rappeler ce que chacun sait. Mais une première raison me pousse à parler de Charles Pasqua, en positif, si l'on veut : il est le témoin, l'un des derniers acteurs d'une période politique révolue, d'une génération qui disparaissait, celle qui est entrée en politique après guerre, qui a participé à la Résistance, qui a affronté la mort, qui a connu les guerres coloniales, qui a fait ses classes dans les années 50 et 60. Aujourd'hui, il n'y a plus guère de tempérament à la Pasqua parmi nos politiques, et je crois que c'est dommage. Charles Pasqua était d'une époque où le langage était vif, dru, brutal, et pas aseptisé, formaté, médiatisé comme maintenant.

Pasqua est l'homme qui nous dit aussi, à travers son action, et bien malgré lui, que la politique ne sera jamais une activité d'enfants de chœur, qu'elle contient inévitablement une part de violence, de cynisme, ce que notre société devenue puritaine, psychologisante et moralisatrice, refuse de voir, qu'elle refoule avec peine. Pasqua est celui qui nous rappelle que la politique, c'est mettre les mains dans le cambouis, quand il faut combattre les tueurs de l'OAS ou les terroristes d'extrême gauche. Si on veut garder les mains blanches, il faut être pianiste, prêtre ou universitaire, pas homme politique. En ce sens-là, Charles Pasqua était un homme vrai, comme il n'en existe plus guère.

Le deuxième regard positif que je porte sur lui, c'est la fidélité à ses convictions, attitude rare en politique, qui n'est souvent qu'un tournoiement opportuniste, un jeu de toupies. Pasqua a construit le RPR, mais quand il a vu que son parti tournait le dos à ses idées fondatrices, sur l'Europe, il l'a quitté, il a ressuscité le défunt RPF, pour ranimer une flamme gaulliste qui avait disparu. C'est son grand combat, en compagnie de Philippe Séguin, contre le traité de Maastricht.

De ce point de vue, le parcours de Charles Pasqua est analogue à celui, à gauche, de Jean-Pierre Chevènement, lui aussi fondateur d'un parti, le PS d'Epinay, qu'il a quitté quand celui-ci a commencé à devenir social-démocrate pro-européen. J'ai de l'estime pour ces hommes de convictions, qui auraient pu l'un et l'autre rester au chaud dans leur organisation respective, au lieu de se lancer dans l'aventure incertaine d'une nouvelle et petite formation. Mais leurs convictions ont prévalu.

Dernier clin d'œil, à la Pasqua : j'ai dit que cet homme me faisait penser à Fernandel. Hier soir, sur la chaîne D8, repassait "Le Petit Monde de Don Camillo", célèbre film de Julien Duvivier, où le curé joué par Fernandel combat le communiste Peppone, tout en fraternisant avec lui. Il en va sûrement ainsi, pour l'éternité, entre Charles Pasqua et la gauche.

J'ai appris aussi, hier, aux informations, que ce terrible monsieur Pasqua était un grand croyant, que ce diable d'homme était un fidèle de Dieu. C'est la part secrète qu'il emporte avec lui, peut-être la meilleure. Sa véritable part d'ombre est sans doute dans cette lumière. Nos hommes publics ne sont pas forcément ce qu'on croit et ce qu'on voit, mais bien supérieurs, comme sûrement chacun d'entre nous.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous avez oublié qu' il se ressourçait souvent dans ses origines corses , lui Ministre de l'intérieur pouvant parler dans sa langue régionale avec les grands policiers ce qui renforçait le mystère de ce personnage actif et clairvoyant ...
ADIEU MONSIEUR CHARLES ..
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Anonyme a dit…

Licencié en droit , commercial ; il finira numéro 2 dans la célébré entreprise d'apéritif ... Et cette expérience du privé , la marque d'un père policier furent des motivations pour assurer des responsabilités publiques d'un grand niveau et avec détermination comme contre le commando sur l'aéroport de MARSEILLE ......
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Anonyme a dit…

Contemporains en France ont pu se croiser trois Charles : le grand, le moyen et le petit.
Le grand disparut en premier un soir cornant novembre.
Le moyen vient de s'en aller, en juin fleurant l'été.
Nous reste le petit...
Et c'est plaisir de pouvoir encore pour quelque temps l'écouter...
C'est lui que je regretterai : "Elle va mourir la mama..."
Et ses messages autrement humanistes que ceux du moyen.

Emmanuel Mousset a dit…

Un joli commentaire ...