jeudi 18 juin 2015

Ce que vous ne savez pas sur la philo



L'épreuve de philosophie, qui est la première du baccalauréat, a fait beaucoup parler d'elle hier dans les médias. Mais les préjugés demeurent, dont trois qu'on entend souvent : c'est une matière difficile, l'évaluation est aléatoire, la philo ne sert à rien. Je veux y répondre, sans souci de corporatisme : je n'ai pas toujours été prof ; ce sont les circonstances qui m'ont conduit à ce métier ; si cette discipline disparaissait, je ferais autre chose. Ce n'est donc pas à une défense de la philosophie que je souhaite me livrer (je comprends parfaitement qu'on puisse ne pas l'aimer ou qu'on veuille la supprimer), mais à trois mises au point d'ordre professionnel.

1- La philosophie est difficile. Non, pas plus qu'aucune autre discipline scolaire, pas plus que n'importe quel travail. Il suffit de suivre, d'apprendre, de s'entraîner. L'année prépare aux exercices du baccalauréat. Il n'est pas plus compliqué pour un élève de rédiger une dissertation que pour un menuisier de travailler une pièce de bois ou pour un pâtissier de réussir un gâteau. C'est une question de méthode, de curiosité, d'à propos. Il y a des règles précises à suivre, tout-à-fait à la portée d'un élève sérieux, volontaire et un peu enthousiaste. Je dirais même que la philosophie, s'intéressant à l'humain, à la vie, aux sujets existentiels, est plus facilement abordable que des disciplines purement abstraites, telles que les mathématiques. Les parents me demandent parfois si leurs enfants ont la maturité suffisante pour philosopher : je leur réponds que oui, et je souris intérieurement (en termes de maturité, les jeunes peuvent souvent en remontrer aux adultes ...).

2- L'évaluation est aléatoire. Non, les résultats obtenus au bac confirment en général ceux de l'année. Il y a rarement de grosses surprises. La correction des copies n'est pas vague ou subjective (ce serait inacceptable !) ; c'est au contraire un travail de précision, qui répond à plusieurs critères, par exemple : la question a-t-elle été comprise ? Les réponses sont-elles nombreuses et variées ? Les idées sont-elles suffisamment argumentées ? La pensée est-elle organisée à travers un plan repérable et cohérent ? Y a-t-il une introduction et une conclusion dignes de ce nom ? Les exemples utilisés sont-ils judicieux ? Les références philosophiques sont-elles pertinentes et maîtrisées ? Je pourrais ainsi continuer la liste des caractéristiques objectives qui permettent d'évaluer une copie de philosophie.

A quoi il faut ajouter que cette évaluation n'est pas seulement personnelle : les enseignants se retrouvent lors de deux réunions, où ils font le point sur leur travail, évoquent les difficultés rencontrées, lisent les devoirs litigieux, trouvent un commun accord. Au tout début des corrections, nous évaluons des copies-tests, prises au hasard, et nous comparons nos notes, pour trouver un terrain d'entente quant au niveau d'exigence. Durant toute la période de correction, nous pouvons consulter par ordinateur les moyennes générales de nos collègues, pour vérifier si nous ne sommes pas trop sévères ou à l'inverse trop indulgents. Le système est très bien fait, la marge d'erreur d'appréciation est minime.

3- La philosophie est inutile. Si c'était le cas, il faudrait tout de suite arrêter cette filière, ne plus recruter d'enseignants et licencier ceux en exercice ! Car la République n'est pas chargée de payer des gens à enseigner des choses qui ne servent à rien ! Alors, à quoi sert la philo ? C'est ce que je commence à expliquer à mes élèves dès la première heure de l'année scolaire, pour qu'ils sachent pourquoi ils sont ici, devant moi, et à quoi ils vont travailler.

La vérité, c'est qu'on ne fait pas de la philo pour faire de la philo, pour la beauté de la matière (à part les profs de philo et quelques passionnés, personne ne s'intéresse à la philo, et c'est bien normal). La philo au lycée, en terminale, a une fonction et une finalité professionnelles : elle prépare aux études supérieures et aux métiers auxquelles elles conduisent, c'est-à-dire, en général, des postes à responsabilité. Quand on veut devenir avocat, médecin, journaliste, enseignant, infirmière, cadre d'entreprise ou autres, il est utile de s'ouvrir au monde, de s'interroger sur lui, de faire preuve d'esprit critique, de construire une argumentation personnelle, de mener à bien une recherche d'idées, etc.

La philosophie n'est pas à elle-même sa propre fin : elle n'est utile que si elle sert à autre chose, c'est-à-dire à développer un certain nombre de capacités intellectuelles qu'il sera ensuite nécessaire de réinvestir dans la vie professionnelle. C'est aussi pourquoi mon rapport aux élèves n'est pas celui de Socrate avec ses disciples (rien à voir !) : je ne suis pas philosophe, je suis professeur de philosophie. Les élèves le comprennent et l'année se passe bien, nonobstant les aléas propres à n'importe quel métier.

La philosophie ne doit pas non plus être isolée de l'ensemble des autres disciplines, qui, elles aussi, entraînent l'élève à développer ses capacités, intellectuelles, sensibles et physiques. Mais elle le fait à sa façon, bien spécifique. Elle figure en fin de cursus parce qu'elle prolonge et complète en quelque sorte les autres matières : le devoir de philosophie exige de maîtriser correctement la langue, de mobiliser certaines connaissances apprises dans les matières littéraires ou scientifiques, mais aussi en éducation physique et sportive, puisque le corps fait partie de ses sujets de réflexion.

Bon, je parle, je parle, mais j'ai 130 copies à corriger, du bac littéraire : j'ai jusqu'au 3 juillet et ça commence aujourd'hui. Bon courage aux élèves pour la suite des épreuves.

16 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Je suis sûr que tu fais partie des profs "trop sévères" dans la notation.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, je ne prends pas de risques, j'essaie d'être juste, je sais que l'avenir du candidat est en jeu.

Erwan Blesbois a dit…

Pourquoi ne suis-je qu'un onaniste intellectuel ?

Pourquoi t'appelle-t-on comme ça ?
Il s'agit pourtant généralement de réflexions inutiles qui restent presque tout le temps sans réponse, ce qui laisse un certain sentiment de frustration.
Alors que la masturbation (sous entendu physique) n'est-elle pas sensée avoir pour but l'orgasme, c'est à dire l'accomplissement d'une chose au paroxysme du plaisir ?
Je trouve cet acte bien étrangement et illogiquement nommé.

Hum, disons que le terme est utilisé parce qu'il correspond souvent à des gens qui aiment se faire plaisir TOUS SEULS à des réflexions et des raisonnement alambiqués.
La masturbation intellectuelle ne produit de plaisir qu'à celui qui la pratique, et ne féconde rien.
Au contraire de l'acte d'amour charnel, qui en plus de construire un plaisir à deux, permet de procréer.
C'est donc essentiellement du fait de la capacité d'auto satisfaction qu'on appelle ça comme ça.

En même temps, il se peut qu'une défaut ait plus de raisons propres qu'une qualité. Contrairement à la croyance populaire, il ne suffit pas qu'un plaisir soit partagé pour être utile.

Emmanuel Mousset a dit…

L'expression commune de "masturbation intellectuelle", outre son aspect polémique, est surtout impropre. En accord avec Socrate et Platon, je pense que toute véritable pensée est féconde, et non pas stérile. D'autre part, la masturbation vise le seul plaisir, alors que la pensée est tout de même un effort, un travail. La fameuse expression signale plus la vulgarité de celui qui la prononce que sa véracité.

Quant à toi, "onaniste intellectuel", je ne sais pas, mais je ne crois pas : l'onaniste est honteux et ne confesse pas publiquement son petit vice.


Anonyme a dit…

Mais quelles circonstance ? "Tout concours est un concours de circonstances" dites-vous souvent ? Ce concours de circonstances avait-il nom Chédin ? Racontez-nous en plus sur cette période de votre vie, dont vous faites un mystère.

Emmanuel Mousset a dit…

Il n'y a pas de mystère, il n'y a que des gens curieux. Vous avez cité le nom qui répond à votre question.

Anonyme a dit…

Ne pensez-vous pas que vous auriez parfaitement pu réussir, même sans cet homme dont vous faites une sorte d'idole rédemptrice ? Vous étiez selon mes sources, un bon étudiant, bien noté. il n'y avait aucune raison que vous ne réussissiez pas.

Emmanuel Mousset a dit…

Méfiez-vous de vos sources.

Anonyme a dit…

Selon mes sources à moi, vous étiez quasiment un SDF en voie de clochardisation. Vous viviez dans un appartement miteux, régulièrement saccagé par vos voisins d'origine musulmane vraisemblablement. Chédin vous a alors attrapé par le col, comme un chiot qui se noie, et sauvé la vie. Ce mythe là est-il vrai ?

Emmanuel Mousset a dit…

Ce mythe-là n'est pas vrai, il est raciste.

Anonyme a dit…

Excusez-moi, selon mes sources votre appartement avait été saccagé, quant à l'origine de ce saccage, je n'en sais rien.

Emmanuel Mousset a dit…

Vous devez confondre avec Jean-Paul Sartre, dont l'appartement, rue Bonaparte à Paris, a été saccagé par un attentat de l'OAS, en 1960 (évoqué dans mon billet du 12 juin dernier, origine sans doute de votre confusion). J'ai toujours eu des adversaires, mais pas au point d'en vouloir à ma vie ou à mes biens.

Anonyme a dit…

A anonyme de 11:53 : l'appartement en question a peut-être fait l'objet d'un banal cambriolage.

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis très touché de l'attention que vous portez, les uns et les autres, à un prétendu dommage qui aurait frappé mon appartement il y a 25 ans, mais ne croyez-vous pas qu'il y a plus important à dire ?

Anonyme a dit…

23 ans M. Mousset, 23 ans, les faits dont parlent mes sources remontent à 23 ans, et vous le savez très bien.

Emmanuel Mousset a dit…

Je n'ai aucune mémoire, je suis obligé de tout noter, j'ai déjà oublié ce que j'ai fait il y a 23 jours. Alors, 23 ans ...