dimanche 21 juin 2015

Au nom de la race



Il est difficile de dire pourquoi on est comme on est. Pourquoi, par exemple, ne suis-je pas raciste, pourquoi n'ai-je jamais éprouvé l'ombre d'une hostilité à l'égard d'un quelconque peuple ? Je ne l'ai pas vraiment choisi, ce n'est pas le résultat d'une réflexion initiale. Pas mal de gens, pourtant, sont racistes, souvent un peu, rien qu'un peu, c'est-à-dire forcément beaucoup trop, quand on ne devrait pas l'être du tout, absolument pas, selon moi.

Prenez ce jeune américain qui a tué ces noirs à Charleston. Qu'est-ce qui lui a pris ? Pourquoi lui ? Il y a une chaîne, une solidarité même lointaine dans les paroles et les actes racistes. Pourquoi, en Corse, des parents hurlent-ils à la mort des arabes, parce qu'on fait chanter leurs enfants dans cette langue ? Le racisme m'a toujours fait peur, je l'ai toujours vécu, quel que soit son degré, même atténué, retenu, hypocrite, comme un mélange de haine, de folie et de mort.

Pourquoi donc ce mal ne m'atteint-il pas ? Je ne suis pas moralement meilleur que n'importe qui, je n'ai pas reçu une meilleure éducation. Cela ne s'explique pas. La première fois que j'ai rencontré directement des étrangers, en nombre important, j'avais 13 ans, je visitais Paris où je n'avais jamais mis les pieds, venant du Berry profond où l'on ne croisait quasiment jamais d'africains, de chinois ou d'arabes : dans le métro, j'ai vu, étonné, plein de noirs (c'était en 1973-1974). Je n'ai ressenti aucune crainte, aucun rejet, seulement de la surprise, et une petite part de fascination : c'était donc ça, la grande ville, un endroit où le monde entier peut se retrouver !

L'enfant que j'étais ignorait la méfiance, l'inquiétude. Pour moi, jusqu'à aujourd'hui, la présence dans notre société de beaucoup d'immigrés n'a jamais créé de gêne ou de problème. Jamais je ne me sens menacé dans mon identité, jamais je ne perçois l'immigration comme une invasion (réaction de défense qui me parait complètement irrationnelle, absurde). Mais je suis bien obligé d'admettre que plein de gens ne réagissent comme moi.

Je suis stupéfait, éberlué de lire qu'aux prochaines élections régionales, un parti raciste arriverait en tête des intentions de vote dans ma région, le grand Nord. Je suis outré qu'un ancien président de la République ironise sur l'intention de l'Europe à vouloir répartir les migrants dans les pays européens qui le peuvent. C'est tout à l'honneur de notre Europe, tant décriée, de tenter cet effort, au moment où chaque pays se replie sur lui-même et renvoie sur ses voisins la responsabilité de l'accueil.

A ce propos, je veux rendre hommage à un homme politique, qui n'est pas de mon bord, mais qui a tenu les seuls propos que je juge politique et responsable dans l'affaire des migrants de Méditerranée : Jean-Pierre Raffarin, qui a proposé que les familles puissent s'installer dans nos campagnes désertées. L'idée fera sourire certains ou grimacer d'autres : je la trouve très bien, digne, réaliste, républicaine. Qui la soutient ? J'aimerais que la gauche au pouvoir reprenne cette proposition.

Mon antiracisme, je le dois aussi, dans un second temps, à l'école publique, à mes professeurs d'histoire, qui nous montraient, à travers leurs cours et des films, toutes les tragédies provoquées par le racisme à travers les siècles et particulièrement celui qui était encore à l'époque le nôtre, le XXème siècle : après le génocide du peuple juif, impossible pour moi d'être raciste, même rien qu'un peu. Aucune légitimité ne se rattachait à ce sentiment, aucune excuse ne pouvait le laisser passer. Il devenait inconcevable de réagir ou de raisonner au nom de la race.

Et pourtant, autour de moi, quelques petits camarades ricanaient ou demeuraient indifférents. Alors, comment expliquer des attitudes aussi éloignées ? Je ne sais toujours pas. Mais, en ce qui me concerne, c'est sans doute parce qu'un enfant, un jour de l'année 1973, au milieu d'une rame de métro parisien bondée de noirs, n'a ressenti en lui aucune peur, aucune étrangeté, aucune menace, a juste été un peu intrigué et, au bout du compte, intéressé.

15 commentaires:

C a dit…

Des émigrés dans les hameaux désertés, c'est "Regain", ce serait beau et utile. Ce serait la continuation des post-soixante-huitards rejoignant les "bleds". Je suis favorable à cela mais ça ne pourrait pas être une obligation sinon on ne serait pas bien loin du goulag du nord-est sibérien.

Emmanuel Mousset a dit…

Ne craignez rien : le goulag en Auvergne, c'est comme un oranger sur le sol irlandais, "on ne le verra jamais".

Erwan Blesbois a dit…

Après les église transformées en mosquée, voici les campagnes transformées en ghettos. Il ne s'agit pas de racisme, mais d'autre chose comme : aurait-on dit de DUGUESCLIN qu'il était raciste contre les Anglais ? De Charles Martel qu'il était raciste contre les Arabes. Il ne s'agit pas d'une petite immigration, il s'agit d'une immigration massive, d'un changement de population, pourquoi les gens accepteraient-ils ça, au nom de quelles valeurs ? Il ne s'agit pas d'être contre le cosmopolitisme, le métissage, j'y suis favorable et je l'ai mis en pratique dans ma vie sentimentale, mais je n'entrerai pas ici dans les détails. Il s'agit pour les "de souche", de rester le modèle dominant, celui qui fixe les valeurs d'accueil, il en a toujours été ainsi dans tous les systèmes, et je comprends les "de souche", même si quand ils sont trop renfermés sur eux-mêmes cela devient pathologique, et dont le paradigme est ces Américains racistes du sud, avec tout leur folklore raciste dont le Ku Klux Klan, est l'extrémité dans laquelle ne pas tomber.
Attention de ne pas faire systématiquement des "de souche", des tordus et des dégénérés, tout droit sortis d'un film de Tarentino. L'antiracisme outrancier peut-être aussi une expression de la haine de soi. Quand à cette idée d'accueillir les immigrés dans les campagnes, laissons quand même ceux qui vivent dans les campagnes, car elles ne sont pas si désertes que ça, s'exprimer sur la question. Toutes les questions portant sur l'immigration devraient être désormais soumises à référendum, car il en va de notre identité ; acceptons nous de changer d'identité, de mœurs, assez rapidement, les réponses seront peut-être surprenantes, tout dépende de comment on présente ces idées.
La montée du FN s'explique par le fait que beaucoup de gens ont l'impression qu'on ne leur demande pas leur avis, que tout cela est imposé par les technocrates de Bruxelles, donc l'idée véhiculée par ce parti extrémiste qu'est le FN de ranger l'idée européenne et l'immigration dans le même sac.
Il faudrait au contraire systématiquement consulter les Français (quelle que soit leur origine) sur toute question concernant l'immigration, afin de ne pas attiser les fantasmes, en république c'est peuple qui doit être souverain, pas les technocrates, sinon on appelle ça oligarchie.
De toute façon encore une idée saugrenue et provocante, il faut arrêter de jouer à attiser les peurs.

Erwan Blesbois a dit…

Je voulais juste rajouter le mot important d'amalgame, le FN joue sur les peurs et fait des AMALGAMES, notamment entre l'idée européenne et l'immigration. Ne donnons pas de cartouches au FN. Organisons plus souvent des référendums populaires, pour pas que les Français (de toute origine) ne se sentent floués dans leur souveraineté. Comme Houellebecq qui souhaite : « Je souhaite généraliser la démocratie directe en supprimant le Parlement. A mon avis, le président de la République doit être élu à vie mais instantanément révocable sur simple référendum d'initiative populaire » ; je sais on lui reproche d'être un démagogue, et que cet outil législatif, le référendum, est utilisé aujourd'hui le plus souvent pour opprimer les minorités, interdire l'intégration des immigrants, bloquer le progrès social et violenter l'unité nationale. Moi je dis : aux politiques d'être convaincants et d'assumer leurs choix bons ou mauvais par référendum, comme cela se faisait en Grèce antique ; qui là était une vraie démocratie, peut-être la seule qui ait jamais existé.
Les Français ne sont pas des sots, laissons les faire des choix, sinon on considère que le peuple ne sait pas faire de choix et doit seulement être éduqué. Dans cette option nous ne vivons pas en République mais en oligarchie des élites éclairées.

Emmanuel Mousset a dit…

Erwan, il y a deux choses que tu dois absolument faire entrer dans ta tête à propos du FN :

1- Personne ne lui donne de cartouches. C'est lui qui tire sur tout ce qui bouge.

2- On demande sans cesse leur avis aux gens, sur n'importe quoi. Ce n'est pas un défaut de parole qui explique le vote FN, mais le désir de foutre les étrangers à la porte.

Tant que tu n'auras pas compris ça, tu n'auras rien compris (ou rien voulu comprendre).

Erwan Blesbois a dit…

Pour l'instant non seulement on ne les fout pas à la porte, mais on les accueille à tour de bras à très gros flux continu, y-a-t-il un tel exemple dans l'Histoire, mises à part les grandes invasions barbares ? A moins que l'on ne supprime la notion de frontière, vers un Etat mondialisé, ce vers quoi on tend et que j'appelle de mes vœux d'ailleurs. Un seul citoyen du monde libre et égal en droits à tous les autres. Puisse cela arriver rapidement sans trop de violences. Le vote FN, ainsi que la vision de Zemmour sont considérablement rétrogrades, et ne correspondent pas à l'idée que je me fait de l'humanité comme mouvement vers l'avant porté par le désir de vie. Je n'aimerais pas être dans la peau de Marine Le Pen, elle s'est construite sa propre image et maintenant elle est prisonnière de cette image de quasi fasciste, de raciste et fasciste foncière si l'on est radical et militant dans un parti. L'a-t-elle choisie cette image ? Quand on voit son père on imagine toute la violence qu'elle a dû subir. Il faudrait "rééduquer" Marine Le Pen au sens de Pol Pot. Mais j'ai appris sur ce blog que la politique n'est pas la psychologie, et n'est pas là pour tenter de justifier ou de comprendre le comportement de ses acteurs.

Emmanuel Mousset a dit…

Décidément, Erwan, il y a encore deux choses que tu n'as pas comprises à propos du FN :

1- Le mensonge qui consiste à croire qu'on accueille en France les immigrés "à tour de bras à très gros flux continu". C'était vrai dans les années 60, voulu par le patronat. Depuis une trentaine d'années, c'est terminé.

2- Le Pen ne se construit aucune "image". Tu la vois telle qu'elle est, à poil, si j'ose dire. Et ce n'est pas très beau à voir.

Anonyme a dit…


J'ai travaillé pendant deux ans fin des années 60 comme médecin généraliste en Algérie en Gd Kabylie et comme on dit une partie de mon coeur y est restée.
Jy ai reçu un accueil chaleureux inattendu compte tenu du passé récent de ce lieu à l'époque.
En immersion totale, pas de français à la ronde, au contact des familles et des malades j'ai constaté qu'il y a des gens humanistes et de bonne volonté partout mais de sombres crétins voir plus aussi.
"La bas" et "ailleurs" c'est exactement comme chez nous tous les humains sont capables du meilleur et du pire.
Après ces évidences vécues et de retour en France j'ai constaté une amnésie extraordinaire.
Pour illustrer mes dires je vous prie de prendre connaissance des deux docs :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Torture_pendant_la_guerre_d%27Alg%C3%A9rie
et
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/154913-recit-des-massacres-de-masse-et-des-tortures-en-algerie.html

Maintenant une question pensez-vous que le FN est responsable du racisme français et ne pensez-vous pas que les partis actuels ont dans leur passé eux aussi des zonez d'ombre qu'ils ont tout fait pour cacher et çà continue.
Aucun recours des victimes n'a été possible puisqu'une amnistie des bourreaux a été décrétée en 1968 jamais remise en question depuis !

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, je pense que le FN est essentiellement responsable du racisme en France. Autrefois, le phénomène existait (il a toujours existé), mais il restait caché. Le FN a décomplexé et encouragé le racisme.

Erwan Blesbois a dit…

Peut-on être islamophobe, penser par exemple que l'Islam est la "religion la plus con", sans être raciste (croire en une hiérarchie en fonction de la "race"). si non, comment peux-tu admirer un auteur comme Houellebecq ?

Emmanuel Mousset a dit…

Apporter un jugement très négatif sur une religion n'a rien à voir avec le racisme. Quand Pascal dit, à propos de la foi catholique, "abêtissez-vous", nous y sommes, en plus positif et en plus élégant. Mais aucun rapport avec le racisme. A contrario, l'extrême droite n'est pas bête du tout ; elle est même diaboliquement intelligente. Ca ne diminue pas l'hostilité que j'éprouve pour elle.

Anonyme a dit…

Votre contact avec les jeunes vous rend très optimiste sur la réalité humaine qui ne se réduit pas à l'adolescence.
Mon contact avec l'intimité des adultes me rend beaucoup plus circonspect.
Mais bon à chacun sa déformation professionnelle, dans se cadre à chaqu'un sa vérité, la Vérité étant sans doute grise.
Le racisme se transmet aussi à l'intérieur des familles
Bref si on avait pu remonter aux responsables donneurs d'ordre et aux complices passifs ou actifs des techniques de rétablissement de l'ordre on aurait retrouvé Saint Charles et Saint François.

Erwan Blesbois a dit…

Quand tu dis "elle est diaboliquement intelligente", penses-tu à Marine Le Pen elle-même, ou au système qu'elle représente et qui l'englobe et la dépasse ?

Erwan Blesbois a dit…

A anonyme 14:28. Emmanuel Mousset est un être totalement libre de ses jugements, car il n'a pas eu de père, et sa famille n'a jamais eu aucune emprise sur lui. A l'instar de Sartre, il est totalement libre, de n'avoir jamais subi aucune autorité paternelle, ni aucune influence pernicieuse féminine. C'est donc un pur, qui voudrait que tous les hommes soient aussi vierges moralement que lui. Il est donc très apte à détecter les "salauds"(au sens sartrien), et ceux qui font preuve de mauvaise foi (la lâcheté devant l'action). Emmanuel Mousset ne croit qu'aux vertus de l'action, la psychologie n'existe pas chez lui, car elle constitue toujours une excuse pour ne pas accomplir son devoir et ne pas être discipliné.
Emmanuel Mousset est un héros sartrien, un peu désincarné, comme la littérature de Sartre, à la différence du héros célinien totalement un salaud, mais aussi totalement incarné, comme la littérature de Céline ... et de son héritier Houellebecq.
En ce qui me concerne, étant petit garçon puis jeune adolescent, quand je voyais des noirs dans la rue, je m'avançais un peu vers eux, et je leur faisais un grand sourire pour leur montrer que je les aimais ; parfois ils éclataient de rire devant mon attitude. Cette histoire est véridique. Je croyais aux idées, je croyais que le monde était pur comme le regard d'un enfant. J'attendais l'âge adulte pour que la vie me déverse son message éblouissant. Voilà pourquoi le rêve se transformant en cauchemar, du fait de la névrose familiale, je suis devenu avec le temps et les expériences, plutôt négatives que positives, plus célinien que sartrien.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Je pense au système. La personne, je ne la connais pas, je ne la juge pas.

2- Je laisse chacun libre de son propos, mais je ne commente pas les éléments de vie privée, y compris me concernant.