jeudi 12 mars 2015

Le droit à l'abstention



François de Rugy, co-président du groupe EELV à l'Assemblée nationale, a déposé un projet de loi pour rendre le vote obligatoire, sous peine d'amende. L'intention est louable (réduire l'abstention), la mesure est idiote, l'effet est contre-productif. Le parlementaire écologiste s'appuie sur le précédent du vote blanc, aujourd'hui reconnu et comptabilisé. Mais l'exemple est fâcheux : j'ai toujours été hostile à cette reconnaissance du vote blanc, contraire à l'esprit et à la lettre de la démocratie.

Le métier de citoyen comme de politique consiste à faire des choix, parmi des candidatures multiples, où toutes les sensibilités sont représentées, parfois jusqu'aux plus extrêmes ou aux plus folkloriques. Le vote blanc est anti-citoyen et antirépublicain : il institue le refus de choisir, il légitime l'ignorance, l'hypocrisie et la lâcheté. Dans l'avenir, il serait bon d'abroger cette possibilité, qui n'est qu'une facilité, une concession démagogique à l'air du temps et à ses revendications insensées.

Rendre le vote obligation est encore plus contestable, plus grave, du point de vue des principes républicains. Voter doit demeurer un droit, au sens juridique du terme, c'est-à-dire un moyen qu'on utilise ou qu'on n'utilise pas, selon son choix. En faire une obligation administrative viderait le vote de son sens politique : une libre décision du citoyen. La liberté, c'est le fondement de la République : forcer quelqu'un à voter, sous la menace d'une sanction financière, c'est un blasphème, un sacrilège, une hérésie, contre quoi tous les républicains authentiques doivent protester.

Certes, l'abstention est un tort, car si tous les citoyens restaient chez eux au lieu d'aller aux urnes, la République s'effondrerait, faute d'électeurs, en l'absence d'expression du suffrage universel. Outre le fait que cette hypothèse extrême n'est qu'une vue de l'esprit, il faut se demander si le tort de ne pas aller voter n'a pas ses raisons. On ne peut pas imputer l'abstention à la paresse, à la négligence ou à l'indifférence. Autrefois, les gens votaient ; il faut s'interroger pourquoi ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Au lieu de punir les récalcitrants, mieux voudrait susciter chez eux le désir, l'envie et l'intérêt d'aller voter. Au lieu de culpabiliser l'électorat, la classe politique ferait mieux de se remettre en question. N'y a-t-il pas aussi une part de sa responsabilité dans la montée massive de l'abstention ? J'en reste à l'idée que cette abstention généralisée, qu'on redoute à juste titre pour les élections départementales, n'est pas une réaction irrationnelle, mais qu'elle a un sens, une logique, que les hommes politiques devraient comprendre au lieu de la blâmer, à laquelle ils devraient apporter une réponse au lieu d'une sanction. Ce n'est pas le malade qu'il faut critiquer, c'est la maladie qu'il faut combattre. De fait, la politique traverse une grave crise, qui exige de trouver un remède, pas un châtiment.

Je suis bien d'accord que voter n'est pas uniquement un droit, mais aussi un devoir. Mais c'est un devoir moral, pas une obligation légale. Pour ma part, je suis toujours allé voter, sans jamais hésiter, et m'abstenir est pour moi une décision inconcevable. C'est parce que je suis motivé, que j'y trouve du plaisir et de l'utilité. Si on me forçait la main, je n'aimerais pas du tout, et ce serait au contraire une bonne raison pour moi de rester à la maison. Un vote obligé perd de sa valeur, altère la sincérité du suffrage universel. A la limite, mieux vaut une franche abstention qu'un vote contraint et donc dénaturé. Les citoyens ne sont pas des enfants, qu'on conduit au bureau de vote avec une carotte ou un bâton.

Si on veut dégoûter définitivement les Français de la politique, instaurons le vote obligatoire ! Les uns se moqueront d'avoir à verser une petite amende et ne seront pas plus incités à se rendre aux urnes. Les milieux populaires, plus frappés que d'autres par le phénomène de l'abstention, se sentiront encore plus discriminés. La solution sera donc pire que le mal et ne règlera rien du tout.

Les partisans du vote obligatoire citent l'exemple de la Belgique. Ce sont de singuliers républicains, qui vont chercher dans un royaume ce qu'ils ne trouvent pas dans la République française ! Et pour cause : jamais la patrie des Droits de l'homme, jamais le pays de la grande Révolution n'a voulu rendre le vote obligatoire. Avant de faire des propositions, il faudrait peut-être se pencher sur notre histoire : si nos grands ancêtres ont laissé le vote libre et la possibilité de s'abstenir, c'est qu'ils avaient leurs raisons, qui sont celles que j'ai tenté d'exposer dans ce billet, et qui renvoient à l'attitude vraiment démocratique. J'ai discuté avec des amis belges : les pénalités envers les réfractaires au vote sont rarement appliquées ; ce ne sont pas elles qui augmentent le taux de participation. Il en est en réalité du vote obligatoire comme de la peine de mort : ça fait peur, ça donne bonne conscience mais ça ne dissuade absolument pas les premiers concernés.

François de Rugy, dans une misérable défense de son projet de loi, a eu cet argument consternant : "une petite amende, 35 ou 22 euros, comme quand on se gare mal". L'abstention électorale rapprochée du stationnement interdit, il fallait oser. Mais c'est révélateur de l'esprit du projet, bien dans l'air du temps : une conception purement juridique de la vie politique. L'abstentionniste n'est pas loin du petit délinquant. Et que fait-on des anarchistes, qui refusent en conscience de voter, parce que c'est contraire à leur idéologie que de participer au système électoral ? Le plus drôle dans cette histoire, c'est que la proposition de rendre le vote obligatoire provient d'un parti, EELV, dont les origines et l'idéologie sont soixante-huitardes, libérales-libertaires. Comme quoi l'air du temps, moralisateur, culpabilisant et procédurier, souffle aussi là où l'on ne s'y attendrait pas.

Pour me résumer : voter est un droit politique et un devoir moral, mais pas une obligation légale ou administrative assortie d'une amende. Le citoyen est libre de s'abstenir, c'est aux hommes politiques de le convaincre de participer.

17 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous êtes donc contre je jury d'assises ??
Soyez logique et républicain , pas borné et conservateur de la pire espèce ... Celle qui s'ignore et qui a largement contribué à la victoire du FN depuis des années et pour longtemps encore ...
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Anonyme a dit…

« Pour me résumer : voter est un droit politique et un devoir moral, mais pas une obligation légale ou administrative assortie d'une amende. Le citoyen est libre de s'abstenir, c'est aux hommes politiques de le convaincre de participer. »
en complétant :
Voter blanc est un droit et pour la République ce devrait être un devoir d'en tenir compte comme étant un vote recevable dans tous les calculs notamment pour celui des pourcentages d'éligibilité aux deuxièmes tours.
Voter blanc signifie souvent que l'on est pas satisfait par l'offre de candidats proposés aux suffrages par les partis politiques tous beaucoup trop oligarchiques.

Anonyme a dit…

On voit que certains partis sont au bord de l'éclatement : EEV , UMP peut être aussi communistes et front de gauche , en particulier sur le comment séduire l'électorat mais aussi comment faire des alliances , le PS est plus résistant mais semble rétrécir en nombre d'adhérents mais surtout dans les votes successifs ...
La bipolarisation de toutes les assemblées va voler en éclat et la gouvernance , à commencer par les présidences va être un vrai casse tête qui risque encore d'en rajouter au malaise entre élus et populations ...
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Anonyme a dit…

C'est volontairement que vous avez évité le vote des étrangers ..

Et aussi l'inscription sur les listes électorales ??

Deux piliers que nos élus pétochards actuels ont à nouveau oublié ...

Mais pas les vrais et purs militants ..........
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Anonyme a dit…

Votre billet , une petite bombe sur la forme et sur le fond aussi .. Mais c'est le cœur de la vie politique actuelle : va - t - on vers plus de réglementation et de rigidité ou faisons nous preuve d'imagination pour réconcilier les français avec la politique ... Plus d’associatifs sans doute et plus dans les instances de contrôles , de concertations et surtout de propositions , un peu comme le Conseil économique et social . donc plus de mini CESR ... Et vite ...
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Anonyme a dit…

Votre argumentation est assez contradictoire.
Au nom de la libre décision du citoyen vous êtes contre le vote obligatoire et donc pour le droit à l'abstention.
Mais vous êtes aussi contre le vote blanc. Pourquoi la libre décision du citoyen ne trouverait-elle pas à s'appliquer au vote blanc. La libre décision ne se divise pas.

Anonyme a dit…

Plutôt que rendre obligatoire le vote, facilitons le.

A part la transparence des urnes qu'elles différences avec une salle de vote des années 50 ?
on doit pouvoir voter comme on déclare ses impôts et c'est parfaitement possible.
Il est urgent de dématérialiser le vote. Je suis certain qu'on y gagnera 10 à 20% de votants.


Anonyme a dit…

"Voter est un droit et un devoir civique" et pourtant d'un taux d'abstention de 10% en 1980,on arrive à 52% pour les élections européennes en 2002.Quand aux présidentielles,on les connaît.Il y a des chiffres plus récents,certainement.Pour mémoire,après que les banlieues aient flambées en 2007,des associations de terrain ont fait passer le message aux jeunes qui ne s'impliquaient pas en politique de changement par le vote avec accompagnement des personnes concernées,jusque dans les mairies pour l'inscription sur les listes électorales..Peu ou pas de changement!C'est très certainement un problème de fond que les politiques se doivent d'analyser, non pas qu'en surface.Une grande partie de l'électorat ne vote plus,point.Je ne crois pas que le débat soit efficace si on ne garde que le principe de la liberté de voter,car les élus le sont sur une partie qui devient de plus en plus faible des électeurs.Leur légitimité est de ce fait affaiblie et provoque des critiques qui ne doivent pas être ignorées.Si l'éducation reprend les principes de la république,on peut espérer que des citoyens informés pourront mieux comprendre l'utilité de se faire entendre,écouter,au delà des votes blancs de contestation.

Anonyme a dit…

Le sociologue Pierre Bourdieu a fait une analyse:les citoyens s'abstiennent d'aller voter à cause de leur faible compétence en politique.Ils sont aussi les moins bien notés en capitaux culturels.Ces votants s'excluent eux même des bureaux de vote.Ce n'est pas un fait nouveau.On est bien loin des débats sur la liberté de voter,dans cette analyse sociologique.C'est une réalité et des citoyens qui méritent d'être portés dans la politique qui les exclue.

Anonyme a dit…

Avec cette réforme territoriale et particulièrement ces départementales vidées de leur substance , ne va - t on pas vers des recours ensuite de particuliers pour des annulations fleuves , ce que le politique ne semble pas craindre ... Mais n 'oublions pas nous sommes à l’ère des réseaux sociaux et des actions de groupes ...
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Anonyme a dit…

A voir le nombre et la qualité des commentaires , on se dit que la politique n'est pas morte , mais on se dit aussi que les politiques sont trop loin de ces questions ... Enfin où est l'information officielle du gouvernement sur cette élection et ses enjeux ..
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Anonyme a dit…

Les citoyens qui s'abstiennent seraient les plus mal lotis en capital culturel.
Cette affirmation a-t-elle été obtenue à partir d'un échantillon représentatif ?
Dans mon environnement je connais plusieurs couples de Bac+ 5 et au-delà qui ne votent jamais ... Au motif "élections piège à cons", mais les moins "culturés" sans l'exprimer avec les mêmes mots ont peut être les mêmes convictions.
Seul, selon certains, le tirage au sort serait réellement démocratique, le système représentatif débouchant automatiquement sur les oligarchies avec le temps. (oligarchie issue de l'ENA actuellement)

Anonyme a dit…

Pour la désignation des membres des conseils de quartier, Xavier Bertrand, s'est essayé au tirage au sort mais a nommé aussi des personnes qualifiés, tout cela sous le beau nom de démocratie locale et même de proximité. Que faut-il en penser ?

Anonyme a dit…

Tirage au sort ! rien n'est parfait
Certains ont l'idée de tirer au sort pour un poste plusieurs candidats qui dans un deuxième temps seront soumis à élection.
Panachage des deux systèmes !
L'idée étant de limiter le rôle des oligarchies se formant au fil du temps dans les systèmes purement électifs.
Par ailleurs les partis politiques dans cette option deviendraient des "boites à idées" (pour ne pas utiliser le franglais correspondant !).

Anonyme a dit…

Tirage au sort , c'est la résurrection des années avant la conscription nationale hélas abandonnée ; encore des fausses bonnes idées ... Revenons à nos fondamentaux : Liberté , égalité , fraternité mais ajoutons laïcité mais aussi loyauté ... Et au premier chef pour TOUS les élus ( es ) .............
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Anonyme a dit…

Vous avez fait le buzz avec votre billet , et les commentaires sont fouillés , pertinents voire prometteurs .... Comment ne pas espérer en un redressement concerté de notre pays mais plus pensé par des intellectuels que par des politiques adeptes du TOUR de FRANCE l’après midi et de la visite des studios de télé ou de radio le matin et le soir ... On se demande quand ils travaillent dans leurs véritables fonctions ...
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Anonyme a dit…

Comparer le tirage au sort de certaines assemblées politiques ou juridiques antiques ou modernes avec le tirage au sort de la chair à canon (les bidasses) est un peu curieux.
L'Assemblée Nationale n'est pas une caserne.