vendredi 6 mars 2015

Serviteur et frondeur



Il y a un an, le maire de ma ville natale, Saint-Amand-Montrond, dans le Cher, m'envoyait un petit mot sympathique, en m'apprenant qu'il était lecteur de ce blog. Je ne le connaissais pas, j'ai voulu le rencontrer, en savoir un peu plus sur lui. Nous avons discuté pendant une heure trente, dans son bureau, pendant ces vacances. Thierry Vinçon (en photo) s'est livré à mes questions, sans détour, jovial, souriant. J'ai voulu comprendre un homme, son parcours, ses motivations, ses paradoxes.

J'attaque sur son identité politique : qui est-il ? "Je suis un gaulliste social". Homme de droite, donc ? "Je ne sais plus très bien ce que c'est". Homme politique, de toute façon ? "Non, je me vois plutôt comme un mandarin de l'ancienne Chine [Thierry Vinçon parle la langue], l'administrateur d'un territoire". Nous y voilà : l'homme est haut fonctionnaire, passé par Saint-Cyr, ancien sous-préfet, a travaillé dans le Renseignement, auprès de François Mitterrand pendant la guerre du Golfe, puis avec Michel Rocard. S'il est devenu maire d'une petite ville de 10 518 habitants au dernier recensement, c'est à la suite de la disparition soudaine, en 2007, de son maire, qui était son frère, Serge Vinçon, vice-président du Sénat.

Les Vinçon, quelle histoire ! Une famille nombreuse, défavorisée, une mère au foyer, un père ouvrier, communiste pendant la guerre, gaulliste à la Libération : c'est dans ce milieu que Serge et Thierry ont appris les valeurs qui les ont conduits, l'un et l'autre, au sommet de l'Etat. Au décès de Serge, Thierry a pris la relève, de justesse d'ailleurs : lors des élections municipales de 2008, si la gauche avait saisi l'occasion et s'était alliée au MoDem, les deux partis ensemble majoritaires l'auraient emporté dans cette ville de droite. En 2014, Thierry Vinçon a été définitivement adopté par les Saint-Amandois, réélu dès le premier tour, avec 51,5% des voix. Thierry s'est désormais fait un prénom.

Qu'a-t-il retenu de sa fréquentation des grands de ce monde (il a fait un stage à la Maison-Blanche) ? "La distance à l'égard du pouvoir. L'important n'est pas d'avoir le pouvoir, mais d'être le pouvoir, c'est-à-dire d'agir". Ses références, ce sont Louis XIV, Bonaparte, de Gaulle bien sûr. On est très loin de Saint-Amand-Montrond ; et alors ? "Ma ville, c'est mon laboratoire d'expériences, en matière de projets, de finances publiques. Je suis un organisateur, c'est mon côté militaire. A Saint-Cyr, on m'a appris la règle d'or, que j'applique ici : ordonner, laisser faire, vérifier, sanctionner".

Je reviens sur un épisode douloureux pour notre ville : Maurice Papon, condamné pour complicité de crimes contre l'humanité, en a été le maire dans les années 70. Thierry Vinçon a voulu effacer cette tache, en inaugurant le 5 mai 2010 une esplanade et une stèle en l'honneur des Justes parmi les Nations, ces hommes et ces femmes qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre. "Mon frère a eu le tort de prendre Papon comme suppléant aux législatives de 1981", admet-il. Autrement, Thierry est-il différent de Serge ? "Oui, lui, en bon politique, était plus conciliant avec les supérieurs ; moi, je ne prends pas de gants pour leur dire ce que je pense". Jovial certes, mais direct.

Je doute qu'il soit un homme d'appareil et le lui dis. "J'ai adhéré à l'UMP en 2009, parce qu'il le fallait, j'étais sur la liste des européennes". Sinon, la vie de parti, ce n'est pas trop son truc. A sa façon, c'est un frondeur, comme on en trouve à gauche : serviteur quand il s'agit de l'Etat, mais cabri dans le microcosme politique départemental, qu'il ne ménage pas. Deux clans se partagent l'UMP du Cher : d'un côté le sénateur Rémy Pointereau, soutenu par Thierry Vinçon, de l'autre le député Yves Fromion et le patron de la fédération, Louis Cosyns. Entre eux, c'est la guerre depuis 2004, "des querelles de basse fosse", comme il me dit. Cosyns, c'est sa bête noire : "il n'a rien fait quand il était député de la circonscription, il a une volonté de nuire".

Loin de ces combats fratricides, Thierry Vinçon a la nostalgie du bon vieux temps, celui du RPR, quand les chefs étaient abordables, que l'esprit de compagnonnage régnait. "L'UMP est coupé du peuple, il y a trop d'énarques". Je lui demande pour qui il a voté dans la récente désignation du président de l'UMP, il me répond sans hésitation : "Nicolas Sarkozy !" Et pour 2017, qui souhaite-t-il ? "Sarkozy !" Mais Alain Juppé, qui lui ressemble tant, intellectuellement et presque physiquement ? "C'est un feu de paille, monté par les médias", tranche-t-il par une moue.

Il n'y a pas qu'avec la fédération que Thierry Vinçon rencontre des problèmes. Son premier adjoint, Jean-Pierre Pillot, du clan Cosyns, l'a lâché à quelques semaines des dernières municipales et ne cesse, depuis, de critiquer son ancien patron, qui ne souhaitait pas le reprendre sur sa liste, en vertu de la règle édictée par son frère : passé 70 ans, on ne rempile pas. Mais voilà : l'âge ne fait rien à l'affaire, l'appétit de pouvoir reste intact quand on veut en croquer. "J'allais lui obtenir la Légion d'honneur". Finalement, Pillot aura tout perdu : et le pouvoir, et l'honneur.


Pour les départementales, c'est le bazar : trois listes de droite sur un même canton ! Je titille monsieur le maire : ce militaire a-t-il l'âme d'un chef, à voir ainsi les troupes se disperser ? "J'ai laissé faire, je n'ai pas voulu m'en mêler". Mais il soutient la conseillère sortante, Annie Lallier, dans un binôme UDI. Et les titulaires investis par son parti, Teyssandier et Bastat ? "Ils n'ont même pas leur carte à l'UMP !" La troisième liste, Maumy et Giraudon, n'a pas été retenue par les instances, ce qui ne les empêche pas de se présenter quand même, en divers droite. Ils viennent du Kiwanis, en ont fait état publiquement, ce qui a créé tout un pataquès dans cet honorable cercle. Ah, la vie politique dans le Berry, ce n'est pas triste ...

Si Thierry Vinçon n'est pas toujours en phase avec ses amis de droite, il est très copain avec son adversaire de gauche, le célèbre Yann Galut, député socialiste, qui passe souvent à la télé. Les mauvaises langues, aussi nombreuses à Saint-Amand qu'à Saint-Quentin, prétendent que les deux hommes, à tu et à toi, se seraient partagés le pouvoir : à toi la circonscription, à moi la ville. Commentaire du maire : "Yann est un ami d'enfance, nous nous sommes retrouvés sur quelques dossiers, j'ai une bonne image de lui, c'est un réaliste comme moi". Bien, bien, mais Vinçon est-il prêt à se présenter contre Galut aux législatives de 2017 ? "Oui, pourquoi pas, dans la foulée d'une victoire de Sarkozy". Et si Cosyns, lui aussi, voulait y aller, Thierry Vinçon serait doublement motivé ! Les élections régionales fin 2015 ? "Le département ne m'intéresse pas trop, mais la région, c'est un vrai enjeu : je serai candidat pour la tête de liste dans le Cher".

En écoutant et observant Thierry Vinçon, je me dis que cet officier des services secrets n'a pas grand chose à cacher, que ce militaire n'est pas un autoritaire, que ce gaulliste pur et dur a des petits côtés centristes, que ce militant de droite accepte de travailler avec des élus de gauche, que cet homme de pouvoir est resté aussi un homme du peuple. Dernier paradoxe : au moment de nous quitter, il glisse dans mon sac une brochure sur un colloque qu'il a organisé à Saint-Amand, consacré à la quête du Sacré: cet homme d'action et de gestion est aussi un contemplatif, un mystique qui s'intéresse aux religions !

Sachant d'où je viens, de Saint-Quentin, mon ultime question porte sur Xavier Bertrand, ce qu'il pense de lui : "je l'ai rencontré, il a le sens du contact et l'étoffe d'un Premier ministre". Après avoir pris quelques photos, je retiens celle de la vignette, qui dit beaucoup de Thierry Vinçon, maire de Saint-Amand-Montrond :

A l'extrême droite, dans la vitrine, le portrait de son frère, Serge ; en dessous, la maquette d'un avion Mirage, dont le modèle grandeur nature est planté au milieu d'un rond-point à l'entrée de la ville ; pas très loin, une icône de la Vierge à l'Enfant ; à côté, la statue de Jeanne d'Arc flanquée curieusement d'un stéthoscope, au milieu d'une rangée de drapeaux ; tout à gauche, le portrait présidentiel de Jacques Chirac ; derrière le maire, sur le meuble, côté gauche, l'affiche du colloque d'art sacré et l'hommage rendu aux Justes du Cher ; à droite, une photo du défilé militaire du 14 juillet sur les Champs-Elysées et, au bout, le logo du Tour de France, qui est passé plusieurs fois par Saint-Amand.

Comme quoi une photo commentée en dit autant, peut-être plus et mieux sur un homme public qu'un long texte. Mais le personnage en valait, je crois, la peine.

1 commentaire:

Mougin a dit…

Merci Monsieur, pour avoir écrit avec douceur ce qu'est réellement Monsieur Thierry Vinçon, dans mon jargon / UN TYPE BIEN sous toutes les coutures.Un POLITIQUE HONNÊTE au milieu d'un conglomérat de profiteurs d'un système dépassé dont le pouvoir n'est qu'une ambition personnelle et souvent intéressée. Martine Mougin