vendredi 27 mars 2015

Le mystère derrière la porte



La catastrophe aérienne a comme suspendu l'actualité, notamment les élections départementales. Les multiples médias n'ont parlé que de ça, depuis trois jours. L'énigme au coeur de la tragédie y est pour beaucoup. Notre société rationnelle n'accepte pas l'inexplicable et part en quête d'explications, au risque de forcer ses démonstrations. En quelques heures, les hypothèses se sont multipliées, sans rapport les unes avec les autres, parfois contradictoires entre elles.

L'acte terroriste était la thèse la plus conforme avec ce que nous pouvons comprendre et accepter, avec ce qui fait l'air du temps : un fanatique islamiste, dans la lignée des attentats de ces dernières années, depuis le terrible 11 septembre. Mais aucune revendication n'est venue corroborer cette possibilité. J'ai entendu à la radio un journaliste se demander si le pilote, seul aux commandes, priait durant les 8 minutes de descente fatale : non, le silence, simplement le souffle de sa respiration, normal, calme.

A défaut d'attentat, les explications se sont tournées vers le suicide : mais met-on fin ainsi à ses jours, en entraînant dans la mort 150 personne ? Ce n'est plus un suicide, c'est un crime de masse. Mais pourquoi ? Alors s'est fait jour l'hypothèse de la maladie, et d'abord le burn-out, c'est-à-dire, en bon français, le stress, le surmenage. Ca ne colle pas non plus avec la démesure meurtrière du geste, qui ne peut pas s'expliquer par une fatigue excessive ou extrême. Pour l'heure, il reste une dernière théorie : la dépression. Sauf qu'un dépressif n'est pas en soi un meurtrier. Nous tournons en rond, nous ne comprenons pas. Les recherches rationnelles se poursuivent, et nous aurons sans doute de nouvelles pistes dans les prochaines heures, dans les prochains jours.

La raison est notre divinité contemporain : nous pensons pouvoir rendre compte de tout, logiquement. Et si la vie était aussi faite de mystère, d'irrationnel, de folie, qui échappent à toute analyse scientifique ? Nous avons besoin d'être rassurés, de vivre en sécurité, de nous reposer sur des certitudes. Mais la réalité est-elle conforme à nos désirs ? Nous voulons connaitre la vérité : qui peut affirmer que celle-ci existe ? Autrefois, la religion était pourvoyeuse d'explications : les drames étaient renvoyés au Diable ou à Dieu, à un monde surnaturel qui était censé justifier les malheurs de l'humanité. Aujourd'hui, nous n'y croyons plus, il nous faut chercher ailleurs, et c'est beaucoup plus compliqué. La foi avait l'avantage de la simplicité, et réponse à tout.

Dans les journaux et émissions télévisés, il y a eu une inflation d'interrogations et d'explications techniques, très détaillées, parfois surprenantes. Devant l'énormité et l'anormalité de la tragédie, la technique est requise pour tenter de cerner le problème, repérer une irrégularité, désigner une responsabilité. Là aussi, l'obsession de vérité est vaine, n'apprend rien, décrit une situation mais n'explique pas. Les commentaires se veulent préventifs, en imaginant ce qu'il faudrait faire pour que l'horrible événement ne se reproduise pas.

La pensée fait de nouveau du sur place, piétine, aboutit à des paradoxes ou à des contradictions : la porte du cockpit doit-elle être accessible de l'extérieur ? Ce serait la solution, et ce n'est pas la solution, puisque la porte est close de l'intérieur pour éviter justement tout acte de terrorisme ! Hier soir, à C dans l'air, il a été débattu pendant de longues minutes pour savoir si les toilettes de l'équipage devaient se trouver à l'intérieur ou à l'extérieur de la cabine de pilotage, sans aboutir à une réponse pertinente et définitive. Quant aux psychologues et psychiatres, mobilisés sur les plateaux de télévision, ils ne parviennent pas, eux non plus, à nous convaincre.

Mais quelle importance ? Quand nous aurons compris ce qui s'est passé derrière la porte, notre curiosité rendra-t-elle la vie aux victimes et consolera-t-elle les familles ? Depuis le début de cette tragédie, l'indécence à réclamer des détails, à se gaver d'hypothèses s'étale un peu partout, sous couvert d'émotion, qui aujourd'hui absout tout. Peut-être faudrait-il, au contraire, ne rien dire, garder le silence, ne pas chercher à comprendre, pleurer les morts et attendre, avec patience, le résultat des enquêtes. Pour cela, il faudrait accepter que la nature humaine souffre d'une part irréductible d'obscurité, de maléfice et de mort. Le mystère derrière la porte ne sera peut-être jamais dissipé.

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