dimanche 8 mars 2015

La liberté ne se négocie pas



J'aime beaucoup le chanteur et cinéaste Abd Al Malik lorsqu'il nous parle de sa conversion à l'islam, qu'il nous fait part de ses réflexions sur la spiritualité. Mais ses considérations politiques, telles qu'il les exprime dans son livre "Place de la République, pour une spiritualité laïque", me laissent perplexe et même hostile. Son passage au journal du matin de France-Inter le 27 février ou son entretien à Télérama du 18 février confirment mon impression négative.

Il y a d'abord ce titre contradictoire : "pour une spiritualité laïque", qui ne veut strictement rien dire. Et quand Abd Al Malik inverse les termes en souhaitant une "démocratie spirituelle", c'est pire. La République laïque, c'est la neutralité, qui ne peut soutenir ni produire aucune spiritualité (mot élégant qui évite celui de religion). Quant à la spiritualité laïque, je ne vois pas ce que l'expression désigne, sinon la confusion inconcevable entre le religieux et le politique. Abd Al Malik mêle et mélange ce qu'il faut au contraire distinguer et séparer, au profit des deux. Car la spiritualité ne gagne rien à devenir laïque et la démocratie perd beaucoup à devenir spirituelle.

Dans Télérama, le jeune artiste fait cette confidence très ambigüe : "En fin de primaire, mon institutrice a tout fait pour que je puisse entrer, avec une bourse, dans un collège privé de Strasbourg (...). Je m'en suis sorti grâce à cette chance d'aller dans le privé, et ce n'est pas normal. La République, mère symbolique, a le devoir de prendre soin de ses enfants les plus faibles".

Qu'est-ce qui empêchait Abd Al Malik de rejoindre l'école publique ? Personne ! Le choix a été fait de l'enseignement privé, pourquoi pas, les familles sont libres. Mais ce n'est pas une raison pour discréditer l'école de la République, qui l'aurait accueilli à bras ouverts, comme elle le fait pour tous les enfants. Si une école ne sélectionne pas ses élèves, c'est bien elle. Le procès qui lui est fait est donc injuste et incohérent.

"Toutes les religions devraient être enseignées à l'école publique", affirme Abd Al Malik. Mais c'est déjà le cas ! Les cours d'histoire en parlent, même s'ils parlent aussi de bien d'autres choses. Et l'approche est strictement scolaire, pas prosélyte, comme il se doit dans un enseignement laïque, qui ne peut pas être une théologie ou une catéchèse (réservées aux aumôniers, pas aux professeurs).

Il y a plus contestable et plus inquiétant : "la liberté d'expression n'est pas non négociable". Mais si ! Et c'est le fondement de la République, de la Déclaration des Droits de l'Homme : la liberté d'expression, en conformité avec la loi, ne se négocie absolument pas. C'est ce qu'ont rappelé les millions de manifestants du 11 janvier, c'est ce que les terroristes n'acceptent pas.

Le comble est atteint lorsque Abd Al Malik déclare que "Charlie Hebdo a fait preuve d'irresponsabilité en multipliant ces caricatures", qu'il a "contribué à la progression de l'islamophobie et du racisme". C'est un avis mensonger et scandaleux. Jamais le journal n'a fait une fixette sur l'islam : toutes les religions, dans ses pages, en prennent pour leur grade. L'esprit Charlie, c'est au contraire la dénonciation de toutes les formes de racisme.

Comme quoi il est difficile d'être à la fois chanteur, cinéaste et penseur ...

9 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Alors pourquoi la liberté d'expression d'un Dieudonné par exemple est négociable : c'est bien que notre république fixe des limites à la liberté d'expression. Abd Al Malik voit une certaine forme de racisme chez Charlie, ou tout du moins un manque de respect ; on ne peut pas le nier, notamment pour des populations qui sont susceptibles au niveau de la religion. Si l'on accepte d'accueillir autant de musulmans en France il faut se réformer et notamment la loi en interdisant le blasphème. Pour ne pas qu'il y ait un deux poids deux mesures en autorisant le blasphème (ce qui se fera toujours au détriment des population ayant une forte religiosité comme les musulmans) et en interdisant le racisme et surtout l'antisémitisme propre à Dieudonné (ce qui se fait toujours à l'avantage d'une petite portion de la population, celle que l'on estime être la "conscience du monde" et dépositaire de la loi à double titre de part son héritage spirituel et d'autre part historique à travers essentiellement la Shoah, notre horizon indépassable). Si les citoyens pouvaient relire Montaigne, ils verraient l'absolue relativité de nos lois qui se prétendent universelles par la voix de notre prétentieuse république.On pourrait aller plus loin en disant que Dieudonné ne fait pas à proprement parler preuve d'antisémitisme, mais de blasphème lèse-Shoah, car son point de vue n'est pas forcément celui qu'on lui a catalogué de polémiste, mais celui qu'il revendique d'humoriste. Tout comme Valls s'est violemment attaqué à Houellebecq, car ce dernier fait preuve d'un esprit le lèse-république, pas du tout ironiquement anti petit-bourgeois comme semble le penser Emmanuel Mousset, mais au contraire dans un esprit foncièrement petit-bourgeois, donc un peu méchant, voire mesquin, ce que ne réfuterait pas son auteur.

Anonyme a dit…

Tout d'abord un dialogue ne peut pas démarrer en affirmant que l'expression spiritualité laïque "ne veut strictement rien dire".
Ce n'est pas parce que vous ne comprenez pas l'association de ces deux mots que ça n'a pas de sens. Dites que vous n'êtes pas d'accord en donnant qqs arguments.
De nombreuses associations défendant la laïcité utilisent cette expression et la revendiquent. C'est aussi le titre de plusieurs excellents livres de penseurs ou de philosophes.

Anonyme a dit…

La laïcité non plus ..........

Anonyme a dit…

Il en a fallu du temps (et de la réflexion) à ces penseurs patentés de ce blog pour se pencher sur Abd El Malik, Dieudonné et Houellebecq.

La laïcité, il n'y a qu'à comparer la Charte de la Laïcité "officielle" et la mouture de la Ligue de l'Enseignement ; Charte de la laïcité expliquée aux enfants, pour voir les acceptations différentes pour ne pas dire les dérives .

Erwan Blesbois a dit…

Au fond on pourrait dire que c'est toujours le blasphème qui est interdit. Et que si notre république encourage le blasphème religieux, ceci pour la raison d'une vieille rivalité avec l'église concernant la maîtrise des consciences, elle s'interdit tout blasphème de lèse-république ; sauf que l'histoire a changé avec l'accueil très massif d'une population d'origine musulmane qui ne l'entend pas de cette oreille.

Anonyme a dit…

Donc y a plus de dialogue , on crie attention au FN et on dit il y a des musulmans et c'est un problème nouveau ...

Et pourtant c'est pas à la république de changer ...

.

Emmanuel Mousset a dit…

La République ne change pas : elle défend l'égalité entre tous les citoyens, elle ne prend pas en compte les origines ethniques, contrairement au FN. C'est pourquoi ce parti n'est pas républicain et qu'il faut le combattre.

Anonyme a dit…

VALLS c'est le CAPITAINE FRACASSE !

Emmanuel Mousset a dit…

Plutôt d'Artagnan.