lundi 17 juillet 2017

Saint APB, priez pour nous



La ministre de l'Enseignement supérieur, invitée ce matin au journal de France Inter, s'est rangée à l'avis général : le système APB, qui régit les inscriptions pour les études supérieures, est un "immense gâchis", un "crève-coeur". Depuis quelques jours, c'est la levée en masse contre ce logiciel, dont le sigle (APB, Admission Post-Bac) va devenir aussi célèbre que VGE, BHL ou DSK. Je voudrais pourtant prendre sa défense. Une fois n'est pas coutume, je vais rejoindre le camp des machines, que pourtant je critique, me moquant souvent de la technophilie très répandue aujourd'hui.

Pourquoi cette exception ? Parce que la critique de l'algorithme APB est profondément injuste. Ce n'est qu'une machine, après tout ! On peut faire des reproches à un être humain, pas à un système informatique. APB fait ce qu'il peut, et il peut beaucoup. Surtout, il fait ce qu'on lui demande de faire : au-delà, ce n'est plus possible pour lui. N'allons donc pas le condamner là-dessus. J'irais même jusqu'à dire que dans les tâches qu'on lui a assignées, APB est très performant : imaginez un seul instant que les inscriptions en fac, prépa et autres se fassent comme autrefois, sur papier. Inconcevable !

Les milliers de bacheliers sans affectation ne doivent pas s'en prendre à APB. Mais à quoi, à qui alors ? A la poussée démographique, au manque de places dans certaines filières et aussi à eux-mêmes : bien des lycéens ne savent pas ce qu'ils veulent (à leur âge, c'est normal), inscrivent sur APB n'importe quoi, ou bien changent d'avis quand c'est trop tard, ou bien encore mettent en place des stratégies qu'ils croient malignes et qui se retournent contre eux au final. Mais tout cela n'est encore rien par rapport à la cause principale, liée à notre société et à ses mentalités : nous avons rêvé d'APB comme d'une machine à satisfaire tous nos désirs, et elle s'est transformée, de ce fait, en machine à générer toutes les angoisses.

Je m'explique : APB, aussi parfait soit-il techniquement, ne sera jamais parfait humainement. Il ne peut pas solutionner les incertitudes, les contradictions ou les erreurs des postulants. Il ne peut surtout pas interdire leurs fantasmes d'études, leurs souhaits impossibles à satisfaire. APB s'est construit sur un idéal : chacun mérite de réussir, un choix est un droit, l'avenir radieux est du côté des études supérieures, du travail épanouissant, libre et bien rémunéré. Ce bel idéal, auquel nous ne pouvons que souscrire, se heurte à quelque chose de terrible : la réalité. Que nous dit-elle ? Que l'échec fait aussi partie de la vie, que le désir est souvent frustré, que les possibilités ne sont pas infinies, que l'existence est faite de hasard, que la sélection entre les individus est inévitable, que l'avenir est indéterminé ... et qu'une machine n'est pas un héros ou un dieu.

Le drame d'APB est le revers de la trop grande foi que nous accordons aux machines, à ce qu'on appelle la haute technologie. L'apocalypse APB est une crise au sens biblique : la fin d'un monde (la technophilie ambiante) et une révélation, une prise de conscience : les machines ne méritent pas qu'on les aime au point où nous les aimons, depuis quelques décennies. Nous étions devenus des croyants, des idolâtres de la technique ; il va falloir se transformer en athées, en sceptiques, ouvrir les yeux, se désillusionner.

En attendant, que vont faire les bacheliers sur le carreau ? A la radio, on demandait ce matin à une syndicaliste étudiante si la solution ne serait pas dans l'augmentation des moyens (humains, financiers) et dans la construction de deux ou trois nouvelles universités. Elle a répondu : oui, ce serait bien, mais ça ne suffira pas. Qu'est-ce qui peut donc suffire, dans notre société libre, individualiste et désirante ? Je crains que rien, absolument rien ne sera jamais assez suffisant, APB ou quoi que ce soit d'autre, tant que la réalité, cette fichue réalité, sera là devant nous, à contrarier nos désirs et notre liberté.

13 commentaires:

Philippe a dit…

Redescendons sur cette Terre dans cette étrange contrée « la France ».
Les bourdes de gouvernance n’y ont jamais officiellement des coupables et très rarement des responsables … de chair et de sang s’entend … la responsabilité est toujours déviée vers des concepts verbeux abstraits.
E.M. précise :
« Les milliers de bacheliers sans affectation ne doivent pas s'en prendre à APB. Mais à quoi, à qui alors ? » et de développer une argumentation hors substrat humain.
Plus prosaïquement
Le système APB a été commandé à un prestataire de service par X.
Son architecture technique a été établie dans le cadre d’un cahier des charges établi par X.
Un groupe d’humain dit groupe de travail a rédigé à la demande de X le cahier des charges s’imposant au prestataire informaticien.
Quid de « X » ???
X ne peut être qu’un aréopage de hauts fonctionnaires de l’Éducation Nationale, les factures ont, elles, été acceptées par le Ministère des Finances. Les dépenses ont peut être été l’objet d’un arbitrage interministériel et de discussions au cours de divers Conseil des Ministres.
Il y a à n’en pas douter des personnes proches des milieux ministériels de l’Éducation Nationale pouvant mettre aujourd’hui des noms et prénoms sur l’entité X.
Les bourdes ne sont pas sorties du néant mais d’humains ayant fonctions et identités.

Emmanuel Mousset a dit…

Trop de X dans ce commentaire.

Philippe a dit…

Exact cette médaille "système APB" a une face fumeuse et une face "X" ...
Tout cela n'est pas très folichon pour les victimes ...
Vont-ils, à leur tour, mettre le feu aux voitures de plus malheureux qu'eux ?

Emmanuel Mousset a dit…

Les victimes, les victimes, encore les victimes, toujours les victimes, rien que les victimes. Notre société n'en a que pour elles, les victimes ...

Philippe a dit…


Bien entendu que ce sont les victimes d'un mépris généralisé vis à vis de la population.
Le groupuscule de hauts fonctionnaires qui a fabriqué la bête se sont, ne croyez-vous pas, clairement exprimés en l'engendrant.
Mais, no problem, les enfants de la peuplade (les dominants économiques et culturels) qui tournent autour des sphères de pouvoir/argent n'a que peu de problèmes d'inscription.
Pour paraphraser le poète : c’est ainsi que les hommes vivent …. et le changement c’est pas pour demain ni après demain.

Anonyme a dit…

L archaïque de l'armée rouge et la déshumanisation numérique.L université française implose,l inflation bachelière l asphyxiée,le système éducatif français une énorme machine qui tourne à vide

Erwan Blesbois a dit…

Bravo Philippe tout est dit ! Quant à l'attitude d'Emmanuel Mousset dans son déni d'admettre que le système scolaire est devenu une machine à majoritairement créer des victimes, elle est très décevante, en gros il sauvé sa peau en choisissant le camp désormais très minoritaire où il y a encore de la force. Mais pour combien de temps ? La peste que constitue la misère et la haine finira par contaminer les forts, si rien n'est fait pour enrayer le système.

Emmanuel Mousset a dit…

"Le système scolaire est devenu une machine à majoritairement créer des victimes". Cette formule est formidable. J'invite les lecteurs à la conserver et à la méditer. Formidable de fausseté, de mensonge, de ressentiment, de ressorts psychologiques cachés. Chaque mot de cette formule vaut son pesant d'or ... ou plutôt de merde. Quant à moi, je dis fièrement : honneur à notre école, qui ne doit pas culpabiliser devant ceux qui cherchent à lui faire honte.

Erwan Blesbois a dit…

Vous avez bien raison Philippe d'insister sur l'aspect tribal des zélites boboïsées des grands centres urbains désormais coupées du reste de la population de la France périphérique condamnée à végéter. Pendant ce temps la "start up nation" va continuer à "marcher", dont le principe est l'accumulation de la richesse, suivant une logique d'avarice, sans redistribution, ni justice sociale. Mais comme Macron est un médiocre, ainsi que tout son gouvernement qui fonctionne comme une petite start up conviviale, où on se tutoie, où on est cool entre membres de l'élite. il n'a pas compris que ce qui fait le lien entre le libéralisme politique et le libéralisme économique, c'est précisément la justice sociale. Sans laquelle les libertés périclitent au profit de la seule dérégulation économique. Un libéralisme économique peut très bien s'accompagner d'une privation de libertés, comme en Chine. Ce que n'a pas compris Emmanuel Mousset, c'est que "bourgeois" et "petits bourgeois", sont des notions obsolètes, remplacées par la figure du bobo, dont l'économie symbolique et libidinale est tribale, et non plus universelle, comme dans le catholicisme. Quant à l'école, si elle veut retrouver sa vertu émancipatrice,il faut qu'elle se resanctuarise et se coupe de l'influence délétère des parents, et également qu'elle renoue avec le roman national, et les mythes fondateurs de l'identité française. Sinon pour finir, pas besoin d'insulter, ni de dénigrer son adversaire pour imposer son point de vue, mais c'est au fond très tribal, et "cohn- benditien".

Erwan Blesbois a dit…

L'ÉCOLE est globalement devenue une grande machine à broyer les âmes (universel), et à enseigner l'amour propre (tribal), au détriment de toute spiritualité. Honte oui à ce qu'est devenue l'école qui accompagné l'économie libidinale et symbolique d'origine tribale. Mais heureusement, contrairement à Emmanuel Mousset, il y en a qui résistent encore, comme Alain Finkielkraut, Elisabeth Lévy ou Éric Zemmour... Quant à l'école globalement, qu'elle continue à s'enfoncer dans sa médiocrité, jusqu'à ce que le système explose !

Philippe a dit…

"Le système scolaire est devenu une machine à majoritairement créer des victimes"
En fait on peut peut être aborder la problématique différemment.
L’économie de nos sociétés démocratiques a-t-elle besoin pour fonctionner d’autant de diplômés ?
Si elles n’en ont pas besoin il est probablement nécessaire de créer des obstacles artificiels pour débouter/dégoûter/refouler cet afflux.
Fabriquer un logiciel permet de créer une interface entre les dirigeants et les « refoulés » qui permet aux premiers de dire aux seconds et à leurs couillons de parents … c’est la faute à l’informatique, comme je le disais plus haut « informatique » entité pas si anonyme ni neutre socialement que cela !
Pour les jeunes venant des classes sociales très privilégiées l’entraide/renvois d’ascenseurs fonctionne à plein rendement pour contourner …

Anonyme a dit…

Surtout préserver coûte que coûte 900000 emplois.Les meilleurs,les pires.Le corporatisme d état comme une idéologie asphyxiante
Les victimes ont les usagers',pas le personnel. Pour l immense majorité vivant toute son existence dans le système.Helas. Certains profs ici le pérennisent,évidemment.

Erwan Blesbois a dit…

La logique tribale pose une dichotomie entre le bien et le mal, c'est une logique partiale, car les membres de la tribu s'attribuent toutes les qualités du bien, et rejettent la responsabilité du mal sur tous les autres. C'est le cas du village global mondialisé, qui opère constamment des dichotomies entre camp du bien et camp du mal pour justifier sa politique internationale. À un niveau plus local, la France se divise désormais entre ceux qui gagnent (le bien, c'est ainsi qu'ils se perçoivent les bobos), et ceux qui perdent (le mal). La logique universelle pose le libre arbitre et la capacité de choix entre le bien et le mal, c'est une logique impartiale car personne n'est tout blanc où tout noir, et chacun est susceptible de rachat ou de pardon, suivant cette logique. C'est une logique qui a prévalu jusqu'à il y a peu dans les campagnes, et qui était chère à un dirigeant comme de Gaulle, mais qui répugne à Macron, qui est dans tout son être profondément partial et méprisant de la France d'en bas.