mardi 11 juillet 2017

Bouge-toi et reste immobile



Quand une brochure traine quelque part, je la prends et la lis. Ainsi le numéro spécial, juin 2017, du journal d'infos du réseau Pastel (les bus de Saint-Quentin). A première vue, ce n'est pas très intéressant (surtout quand on ne se déplace pas en bus) ; en réalité, on trouve toujours quelque chose d'intéressant dans n'importe quel document. Là, c'est à la dernière page, en haut, à gauche. Je cite :

Nous sommes tous un jour ou l'autre de notre vie, temporairement ou de manière durable, des personnes à mobilité réduite : Personnes en situation de handicap, voyageurs chargés de bagages,  parents avec de jeunes enfants ...
Environ 30% de la population sont considérés comme étant à mobilité réduite.
Tout est mis en œuvre pour vous garantir un service de qualité et un réseau accessible à tous.

Qu'est-ce qui est étonnant, dans ce texte dont on comprend et approuve l'utilité et la bonne intention ? La mise à égalité, sur le même plan, de situations totalement différentes, justement incomparables : le handicap physique, l'encombrement des mains et le transport d'enfants. Dans les trois cas, la personne est empêchée, mais pour des raisons sans commune mesure. Comment est-il sérieusement possible de rapprocher, d'associer quelqu'un privé de l'usage de ses jambes, à la suite d'une maladie ou d'un accident, et quelqu'un d'embarrassé par de trop volumineuses valises ? On voit bien que ça ne va pas, que l'amalgame est même moralement un peu scandaleux.

Et pourtant, qui sera choqué par ce texte ? Je suis prêt à parier : personne ! Pourquoi ? Parce que l'immoralité apparente en quoi consiste l'assimilation abusive se retourne en moralité actuelle fort défendable : être comme tout le monde pour ne pas être stigmatisé. Le handicap, exceptionnel, minoritaire devient la norme, puisque le texte le déclare : Nous sommes tous (...) des personnes à mobilité réduite. D'ailleurs, la liste, certes non exhaustive, aurait pu signaler les personnes âgées, qui ont du mal à marcher.

Il se trouve que notre société est très soucieuse des personnes à mobilité réduite, du respect et de la reconnaissance qui leur sont dus, et en même temps qu'elle vante les vertus de la mobilité, considérée comme la solution à tous nos problèmes (économiques, sociaux, éducatifs, sanitaires, etc.). J'y vois comme une contradiction. Il faut se bouger, voilà le slogan d'aujourd'hui, très prisé.

Autre contradiction : jamais nos concitoyens auront aussi peu marché que dans notre société, avec le développement des moyens de transports, voiture, train, avion ... et bus. Finalement, nous avons inventé l'immobile mobilité, ou la mobile immobilité, comme vous voudrez : dans sa voiture, l'homme contemporain bouge en restant immobile. L'homme d'autrefois se démenait beaucoup, mais circulait peu.

Pour terminer, n'oublions pas que notre destin final est la mort, c'est-à-dire l'immobilité totale et éternelle. Alors, ce sera la fin de toutes les contradictions.

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