samedi 1 juillet 2017

Ici, maintenant, vite



La mémoire de Simone Veil a été saluée, dans les médias et par les personnages publics, comme il se doit. Je n'ai rien à ajouter, sauf à répéter. Une seule chose m'a irrité, une manie de notre époque, que j'ai à plusieurs reprises dénoncée sur ce blog (et les occasions hélas ne manquent pas) : l'esprit d'urgence, l'incapacité à attendre. Une grande dame nous a quittés : normalement, nous entrons dans une période de recueillement, de silence, méditant sur sa vie, son œuvre, sa personnalité. Pourquoi ce besoin d'annoncer immédiatement des initiatives pour honorer son nom, alors que les obsèques nationales n'ont pas encore eu lieues ?

Le maire de Paris s'enquiert déjà d'un endroit qui s'appellerait Simone Veil. Pourquoi cette précipitation ? Autrefois, nous laissions s'écouler un délai de deuil. Aujourd'hui, que cherchons-nous à prouver en faisant montre d'une telle rapidité ? C'est que la société a complètement changé : twitter, SMS, Facebook ont modifié notre rapport au temps : nous ne vivons plus, nous n'existons que dans l'instant. Tout passe très vite, il faut être réactif. Nous ne savons agir que dans le présent. Un événement en chasse un autre. Hier est effacé, demain sera un autre jour. Notre mémoire est devenue tellement fragile que nous en avons fait étrangement un devoir.

Il y a plus surprenant : les voix qui s'élèvent pour demander que Simone Veil entre au Panthéon, la pétition en ligne qui défend cette proposition et récolte des milliers de signatures. Le corps repose à domicile et l'inhumation dans le Temple de la République est réclamée, sans qu'on s'informe au préalable de l'avis de la famille. Une entrée au Panthéon exige une réflexion, est étudiée par une commission. Mais après l'instantanéité, le deuxième trait de notre époque est l'émotivité : là aussi, il faut être prompt, car le sentiment est un état variable. Il y a beaucoup d'indécence dans ces comportements, et une forme de vulgarité : croit-on qu'il est digne qu'une telle reconnaissance nationale soit soumise à pétition, comme n'importe quelle autre revendication ? Croit-on qu'il est respectueux de faire dépendre un pareil choix d'une liste de signatures, d'une série de clics sur internet ? La technologie pourrit tout, la bonne conscience se charge du reste.

L'infidélité marque tellement aujourd'hui les mœurs que ce qui n'est pas fait sur l'instant ne l'est plus après : c'est maintenant ou jamais. La frénésie cache la peur de l'oubli. La perte de mémoire nous angoisse. Quand Jean-Paul II est mort, la foule devant le Vatican criait : Santo subito ! Même les catholiques, qui ont du temps devant eux puisqu'ils croient en l'éternité, cèdent à l'obsession de l'urgence. Pourtant, pendant des siècles, l'Eglise nous a appris qu'il fallait attendre avant d'établir la sainteté d'un fidèle, et attendre longtemps, très longtemps. Nous ne croyons plus, infidèles que nous sommes, aux vertus de la durée. Nous voulons tout, tout de suite, très vite, pour ne plus avoir à y revenir, parce que demain nous serons passés à autre chose. Il est beau de rendre hommage à Simone Veil depuis quelques heures. Il sera encore plus beau de lui rendre hommage dans quelques semaines, quelques mois et quelques années. Mais alors, combien serons-nous au rendez-vous ?

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