mercredi 12 juillet 2017

Le dictionnaire fait de la politique



L'homme est un être de langage. C'est l'une de ses particularités. C'est pourquoi tout ce qui concerne les mots m'intéresse. Surtout en politique, qui est une parole avant d'être une activité. Ce qui me préoccupe essentiellement, c'est l'apparition d'expressions nouvelles dans le lexique politique. On ne sait trop d'où elles viennent, elles n'ont rien à voir avec les éléments de langage, qui ne sont que des formules de propagande. Elles sont utilisées par les commentateurs, elles circulent dans les médias puis sont reprises par tous, comme des évidences, alors qu'elles sont contestables. En tout cas, ce sont des révélateurs. J'en ai repérées au moins quatre dans notre dernière campagne électorale, présidentielle et législative :

1- Chamboule-tout. Je ne connaissais pas ce mot, qui désigne un jeu de fête foraine, des boîtes de conserve empilées les unes sur les autres, en forme de pyramide, qu'il faut renverser à l'aide d'une balle. Elles sont parfois à l'effigie de certains personnages. Ainsi qualifie-t-on le bouleversement qu'a provoqué Emmanuel Macron dans le paysage politique français. Je n'emploie pas ce terme, parce qu'il renvoie à un divertissement, supposant que le perturbateur (qui n'est pas endocrinien, celui-là) prendrait plaisir à une sorte de jubilation destructrice, ce qui n'est pas le cas. Macron a engagé un deal nouveau dans notre vie démocratique, il ne prend aucun malin plaisir à voir un monde qui s'effondre de lui-même, après plusieurs décennies d'usure. L'emploi de chamboule-tout prouve une fois de plus la dimension ludique et même enfantine dans laquelle notre société est entrée.

2- Macron-compatible. L'adjectif, qui est quasiment un néologisme, désigne tout homme politique non En Marche susceptible de s'accorder avec Emmanuel Macron. Mais pourquoi aller chercher un tel terme alors qu'on pourrait dire la même chose en parlant de soutien ou de ralliement ?  Sans doute parce qu'une société indécise, sans engagement idéologique fort, raffole de mots indéterminés. Macron-compatible a une autre qualité : il copie le vocabulaire de la technique, qui influence énormément les mentalités et le langage contemporains. La notion de compatibilité nous soucie beaucoup dans l'utilisation de nos ordinateurs et autres machines.

3- Dégagisme. Néologisme total, celui-là. L'idéologie quand on est tombé au degré zéro de l'idéologie, qu'on ne trouve rien d'autre à dire que : dégage ! Les mélenchonistes s'en gargarisent, ce qui prouve la nullité de leur positionnement révolutionnaire : vous imaginez Lénine disant à Nicolas II "Dégage !" ... De plus, c'est un anachronisme : l'exclamation nous vient du printemps arabe et s'appliquait au rejet des dictateurs. Dans une démocratie, il n'a aucun sens. Enfin, un mélange des genres l'a associé au macronisme, qui n'a évidemment rien à voir avec le populisme contestataire de Mélenchon.

4- Verticalité. Là encore, air du temps oblige, on l'applique à la doxa macronienne. C'est sans doute le mot le plus aberrant, puisqu'il désigne une réalité très simple, au cœur de la politique : l'autorité, le pouvoir. Si on n'ose plus mettre les mots élémentaires sur les choses précises, c'est qu'on a peur et des mots, et des choses. De fait, le mot pouvoir est mal vu et le mot autorité a été préempté par l'extrême droite. A la verticalité, on oppose aussi idiotement l'horizontalité (dois-je préciser que c'est son opposé ? À une époque de tourmente dans le langage, je crois que oui). Pour ma part, je pense qu'il faut utiliser et assumer les mots classiques, dont pouvoir et autorité. Je ne suis pas révolutionnaire, mais s'il y avait une révolution à faire aujourd'hui, ce serait dans le langage, en revenant (sens initial de révolution) au vocabulaire le plus classique, celui qu'on utilisait encore dans les médias et chez les politiques il y a une trentaine d'années.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

L attelage macronien commence à tanguer sérieusement,victime de nombreux couacs'Si tôt,c est inattendu,il faut revoir la copie,moumousse

Emmanuel Mousset a dit…

Couac vous-même !

Anonyme a dit…

"Dégage" a été le mot d'ordre de la révolution de Jasmin en Tunisie lors du début des "printemps arabes" en janvier 2011 pour faire partir le dictateur Ben Ali au pouvoir depuis le coup d'état contre Bourguiba en octobre 1987. Avec succès et contagion.
A sa façon Macron a procédé à un dégagisme salutaire pour mettre fin à des fictions politiques d'alternances droite/gauche. Il a permis la fusion de la variante de droite et de gauche de l'oligarchie ultralibérale sous tutelle germano-américaine. Ce qui clarifie la situation politique de notre pays. A cet égard il faut lui rendre cette justice.
Cependant Macron pas plus que Mélenchon ne peut être propriétaire de ce concept qui peut avoir d'autre expressions. Autrefois on disait "sortez les sortants". Les mots changent pas, les choses ni les comportements quand ils traduisent une exaspération Pour arriver à cet effet encore faut-il avoir une personnalité et/ou un projet crédible. Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, quoique l'on en pense par ailleurs, ont cela, ce qui leur permet d'ores et déjà d'être la seule opposition à la politique rétrograde du gouvernement Philippe-Macron.

Anonyme a dit…

Lénine n'a eu nul besoin de dire à Nicolas II "dégage" parce que ce dernier était parti, avait abdiqué lors de la Révolution démocratique de Février 1917. Il a su remarquablement mettre à profit de son parti et ses idées une révolution qui n'avait pas trouvé son équilibre, sa stabilisation entre l'ancien et le nouveau monde qu'elle avait crée. Lénine lui-même n'a pu, en raison de sa mort inopinée, stabiliser son régime par la NEP qu'il avait entamée.

Anonyme a dit…

Vous confondez pouvoir et autorité! 2 concepts différents : par exemple Hollande exerçait un pouvoir mais n'avait pas d'autorité. Au vu de cet exemple Macron a compris que le pouvoir sans l'autorité n'est rien, voire contribue à un naufrage politique. Le pouvoir c'est ce qui rend possible les choses, l'autorité est le droit de commander, d'imposer l'obéissance. Quand ces derniers sont consentis selon des règles acceptées par tous ils coulent de source sinon ils dégénèrent en autoritarisme ce qui n'est pas le propre de l'extrême-droite mais de tous les extrêmes.
Puisque vous parlez de dictionnaire je me permets de rappeler le sens premier de "révolution" c'est un terme d'astronomie qui désigne le retour périodique d'un astre à un point d'orbite, ou temps que met un astre à parcourir son orbite. Par extension ce terme est passé dans le vocabulaire politique et vous devez savoir, j'imagine, que les révolutionnaires français entre 1789 et 1799 avaient en tête et modèle la République romaine et que Lénine et les Bolchéviques les Révolutionnaires de 1793. Si vous preniez le temps d'écouter Mélenchon vous auriez que ses références sont de cet ordre et donc qu'elles n'ont pas eu que des côtés négatifs puisqu'elles ont inspiré largement nos sociétés modernes. A moins que vous ne soyez un anti-moderne comme en décrit Antoine Compagnon dans l'un des ses livres justement intitulé "les anti-modernes".

Emmanuel Mousset a dit…

La référence de Mélenchon, c'est Lula : bonjour les dégâts !

Anonyme a dit…

Vous vous plantez ! Lula n'a été qu'un réformiste et c'est bien ainsi. Un des "maîtres" de Mélenchon, c'était Chavez ! Un populisme de gauche nécessaire étant donné la situation sociale au Venezuela.

Emmanuel Mousset a dit…

Chavez étant pire que Lula, vous apportez de l'eau à mon moulin.