samedi 15 juillet 2017

Laïque liturgie



J'ai dit hier que le 14-juillet 2017 resterait marqué par la prééminence macronienne, renforcée par sa rencontre avec le chef d'Etat le plus puissant du monde. J'étais donc dans une rhétorique du pouvoir. A quelques heures d'intervalle (l'actualité passe si vite), je crois que j'avais tort. Les cérémonies parisiennes ont été rapidement éclipsées par l'hommage rendu à Nice aux victimes de l'an dernier. A vrai dire, nous n'avons pas cette année commémoré le 14 juillet 1789, mais le 14 juillet 2016.

Ce qui m'a frappé, c'est que Nice n'a pas été un simple hommage, sobre, simple et court mais une suite assez longue de rituels. Rien à voir non plus avec une cérémonie patriotique comme nous les connaissons, avec leurs codes et leur protocole. Non, Nice hier, c'était encore autre chose, qui avait des dimensions de liturgie, un symbolisme fort : les noms des victimes formant un cœur, des faisceaux lumineux tournés vers le ciel, des ballons lâchés dans la nuit, j'ai senti une forme de religion ou de religiosité, d'autant plus intéressante que nous vivons dans une époque post-chrétienne, on peut même dire post-religieuse.

Le discours du président de la République a fortement installé cette atmosphère quasi-spirituelle, cette mise en scène d'une transcendance. "L'Etat ne vous abandonnera pas, il n'abandonnera pas la recherche de la vérité, il ne se soustraira pas à son devoir de compassion". Comme si l'Etat pouvait se désintéresser des victimes ! Comme si la cruelle et absurde vérité n'était pas déjà entièrement connue ! Comme si la compassion ne s'exerçait pas, depuis le début, parmi la population, au sein des familles !

Qu'a voulu faire comprendre Emmanuel Macron ? Que l'Etat est notre nouveau Dieu, vers lequel se tournent les souffrances privées pour tenter de trouver en lui une solution. Que l'Etat est dépositaire, comme le Christ, de la Vérité et de l'Amour. Et comme le Christ a pris sur Lui d'être un bouc émissaire, l'Etat accepte d'endosser une part de responsabilité dans l'attentat : "Je comprends la colère, je ne tairais pas les reproches qui se sont fait jour après l'attaque", a déclaré le chef de l'Etat. Mea culpa, mea maxima culpa : c'était en filigrane, très au goût de l'opinion de notre temps. Un discours parfait en son genre, compassionnel. Macron chef, disais-je hier. Mieux : Macron prêtre, de ce ton à la fois doux et ferme, qui caresse comme la voix du prêcheur en chaire, et ce regard bleu, de la couleur de l'acier et de l'océan. Macron parfait, rassurant, transcendant.

Les psychothérapeutes ont relayé le message toute la journée sur les chaînes d'information continue, dont ils sont les consultants à demeure. Leur victimologie est aussi subtile que les théologies anciennes. Il y a quatre sphères infernales ou célestes, un peu comme chez Dante : les disparus, les blessés, les endeuillés, les traumatisés. Le dernier cercle est universel, puisque chaque Français est concerné, sensibilisé, touché, choqué par l'attentat de Nice. Nous devenons tous des victimes, mieux ou pire : des martyrs en puissance puisque n'importe qui d'entre nous aurait pu se retrouver ce jour-là à cet endroit-là. C'est la France entière qui est conviée, par les psychothérapeutes, à faire son deuil et à se reconstruire.

Parmi les nombreux témoignages des Niçois, j'ai retenu celui-ci, qui traduisait un sentiment général : "L'amour sera plus fort que la haine". Angélisme naïf (il a été beaucoup question d'anges hier) ? Progrès de la civilisation (on ne songe plus à réclamer vengeance) ? Retour du refoulé chrétien (le christianisme est la religion de l'Amour) ? Surtout, cette laïque liturgie est-elle opérante, efficace ? Oui, en ce sens qu'elle nous rassemble (qui se souvient qu'à la suite de l'attentat, de violentes polémiques ont divisé la classe politique ? Qu'une policière municipale avait même accusé le ministre de l'Intérieur de manipulation ? Tiens, qu'est-ce qu'elle est devenue, celle-là ?).

Mais cette liturgie a aussi ses limites. Elle ne satisfait pas notre désir de Vérité, qui ne sera jamais comblé comme nous le souhaiterions. Elle n'arrivera pas à donner un sens à nos souffrances. Elle n'expliquera pas l'origine du Mal. Surtout, elle n'a rien à dire de la mort, là où les liturgies sont généralement très bavardes. Pas de doute : en matière de liturgie, seule la religion est performante.

Il n'y a pas si longtemps, en cas de malheur ou de bonheur collectifs, l'Etat s'adressait à l'Eglise, pour un Te Deum ou un Requiem, dans un strict partage des rôles, une séparation très nette des missions. Le catholicisme sous-traitait en professionnel la question spirituelle. Aujourd'hui, il y a confusion : ce sont l'Etat, les collectivités et les associations qui s'en chargent. Le résultat donne une liturgie bricolée, sommaire, un peu surprenante, moyennement pertinente, dont nous ignorons les effets secondaires et éventuellement pervers (mieux vaudrait peut-être le silence, le recueillement privé, l'oubli : allez savoir si ce genre de liturgie ne retourne pas le fer dans la plaie, ne perturbe pas plus qu'elle ne console ?). Pour l'instant, dans l'état moral de notre société, nous n'avons pas trouvé mieux, c'est cela qui s'est imposé spontanément.

8 commentaires:

Philippe a dit…

Il y a deux liturgies laïques et pas UNE !
Je suis d’accord avec l’appréciation faite par E.M. concernant la face lumineuse/positive de ce 14 juillet 2017.
Il ne faut pas oublier le « mais d’un autre côté » c’est à dire l’autre face de toute chose.
Dans le cas du 14 juillet celle de l’haleine haineuse monstrueuse dégagée par une jeunesse violente sans repères car sans colonne vertébrale morale et civique.
http://actu.orange.fr/france/sevran-un-policier-passe-a-tabac-tire-et-blesse-un-jeune-CNT000000KXdwe.html
Elle impacte négativement beaucoup de personnes souvent humbles victimes de cette violence aveugle dans beaucoup de villes de France …
Qui l’évoque officiellement ? Voilons cette face !
J’espère que Macron grisé par les ors de la République n’oublie pas son « mais d’un autre côté » et reste lucide.

Anonyme a dit…

Votre billet me laisse perplexe.

"Bien sûr" je partage votre constat d'une société post chrétienne, "bien sûr" je souscris à une approche religieuse des sociétés humaines quelles qu'elles fussent. Toujours en accord avec vous, je déplore le mélange des genres qui dénature l'Etat et altère la séparation originelle des pouvoirs.

Feriez-vous donc en la matière la critique d'Emmanuel Macron ou celle de la société ?

Tour à tour christique ou messianique, disciple de Ricoeur, à l'inquiétude religieuse chevillée à l'âme, n'aurions-nous pas gagné un commandeur des croyants ? Je ne serais pas loin d'y penser si seulement Macron n'avait pas déboulonné le culte républicain, moribond sans être mort et que la polysémie du mot continue de servir. Une chose est sûre, c'est en invoquant la déesse raison qu'il l'emporta au second tour des présidentielles et aux deux tours des législatives.

La religion, toujours, n'est jamais loin...

Alors, dîtes-moi : Macron ou la société ?

Emmanuel Mousset a dit…

Critique de la société, bien sûr. Pour deux raisons :

1- Je suis un soutien absolu, inconditionnel et ancien d'Emmanuel Macron.

2- L'homme politique, Macron ou un autre, n'est rien par lui-même, mais le catalyseur de la société qui l'a porté à sa tête. En parlant de Macron, je parle de notre société.

Anonyme a dit…

Vous parlez d'Emmanuel Macron comme d'un ami cher. Même si cela devait être le cas, la confiance absolue n'est jamais de mise.

Je me rappelle votre papier sur François Fillon dont la justesse m'avait frappé. Dire qu'il aime sa femme, c'est prêter le flanc à la suspicion "que ne fait-on pas par amour ?".

Alors je vous retourne la question : que ne fait-on pas par fidélité à un homme ? Que ne fait-on pas par soutien absolu et inconditionnel ?

Ne fait-on pas au moins l'impasse sur une approche philosophique qui est l'amour de la vérité ?

Anonyme a dit…

Les psychothérapeutes ,psychiatres,dénoncent l'immense misère,mais aussi ,l incompétence ,régnant dans la psychiatrie publique,en pédopsychiatrie par exemple.Macron à occulte cette question.
La France va mal mais les psychothérapeutes n ont pas à la soigner.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Vous avez raison, mais l'amour ne se commande pas.

2- La France va mal au moins depuis la préhistoire, et je crains que ça ne s'arrange pas.

Anonyme a dit…

Ici une reflexion monopolisee par des profs au ragard plutot specifique et au discours tres vite reconnaissable.La sociologie politique du corps enseignant est un concept interessant a approfondir
Macron est une expression de l'élitisme discret mais bien reel de l education nationale,syndicalisme, corporatisme, distinction, conservatisme ,en constituent des supports

Emmanuel Mousset a dit…

Votre propos est confus.