dimanche 2 juillet 2017

En même temps ...



C'est rarissime : il m'arrive dans ce blog de donner la parole à d'autres (hormis les commentaires, qui sont libres). Didier Martz est un collègue rémois, j'ai presque envie de dire un confrère, au parcours atypique (consultez son site, mentionné à la fin du texte). Les réflexions qu'il nous propose sont toujours pertinentes et stimulantes. J'ai choisi de vous livrer aujourd'hui celle-ci, qui analyse mieux que je ne saurais le faire la formule remarquée d'Emmanuel Macron : en même temps ... Je ne sais pas si Didier est macronien, mais sa méditation ne laisse pas indifférent. Bonne lecture !



Ainsi va le monde n° 380 - En même temps...

Je ne sais pas vous mais moi je suis plutôt surpris qu'on puisse se gausser de ce que les uns s'empressent d'appeler un « tic de langage » chez notre nouveau président. Un peu moins maintenant mais il a été régulièrement critiqué pour son usage répété de l'expression "en même temps", tellement répétée qu'elle pouvait apparaître comme un tic. Au-delà du mouvement convulsif, d'autres ont vu là le témoignage d'une personne hésitante incapable de se décider, de se déterminer entre deux ou plusieurs choses ou d'opter pour un parti, pour une solution. Ainsi l'âne de Buridan avait « en même temps » soif et faim, tellement soif et faim, tellement incapable de choisir, qu'il en mourût.

Ce qui n'arrivera pas à notre président car son « en même temps », loin d'être un tic de langage ou le signe de l'indécision est l'expression d'une philosophie et d'une politique. J'ai déjà eu l'occasion de présenter ici l'aquoibonisme dérivé de l'expression « à quoi bon » et de l'alorquoisme lui dérivé de l'autre expression « alors quoi » et je crois que l'usage de l'expression « en même temps » pourrait donner l' « enmêmetemp-isme », un mode de pensée permettant de faire tenir « en même temps » ou ensemble donc, des contraires, des contradictions ou des opposés qui habituellement n'ont rien à faire ensemble et qu'en bonne logique il conviendrait de résoudre par l'élimination de l'un ou l'autre des termes de la contradiction. Ce que nous faisons facilement – enfin pas toujours – lorsqu'il nous faut nous déterminer pour le fromage ou le dessert.

Pour Emmanuel Macron au contraire, utiliser « en même temps » c'est certes nuancer un propos mais ça signifie aussi que l'on peut et doit prendre en compte des principes opposés. Je choisis, dit-il, « la liberté et l'égalité, la croissance et la solidarité, la gauche et la droite et même le centre, l'entreprise et les salariés... » Bref, ajoute-t-il, je tiens à me démarquer de ceux « qui aime les cases, les idées bien rangées », toujours un peu trop dogmatiques.

Bien avant, Edgar Morin, grand penseur devant les hommes, nous avait invités dans sa théorie de la complexité à nous départir de cette forme de pensée binaire qui consiste à réfléchir à coup d''exclusion : c'est blanc ou noir, c'est l'un ou l'autre mais pas les deux ensemble. Au contraire, le clair peut être obscur, la joie triste, le jeune vieux et inversement. Vive l'oxymore, finis les oppositions, les conflits, les contradictions, les intérêts divergents, les différences, tout s'apaise, se lisse et se calme. On est ni de l'un, ni de l'autre... On est et de l'un et de l'autre... De ci, de là.

Comme en physique quantique, l'onde et la particule absolument contradictoires font bon ménage dans le rayonnement lumineux ; la particule peut être là et ailleurs ; des évènements qui auraient pu se produire, mais qui ne se sont pas produits, influent sur les résultats de l'expérience ; le présent peut agir sur le passé, etc. etc. Bref tout est dans tout, le même est « en même temps » le même.

Ainsi, je peux désormais aller voir là-bas si j'y suis, « être en même temps » là et ailleurs. On pourrait voir là un retour à une philosophie de l'absurde, au théâtre de l'absurde du milieu du XXème siècle où les personnages sont réduits au rang de pantins incapables de penser tant les cartes et les repères sont brouillés. Comme dit Jacques Prévert « de deux choses l'une, l'autre est le soleil » ! Ainsi va le monde !

Didier Martz, essayeur d'idées
lundi 26 Juin 2017
www.cyberphilo.org

9 commentaires:

Denis.Mahaffey a dit…

Il y a du Héraclite dans tout ça.

Emmanuel Mousset a dit…

Héraclite au mieux, Hegel au pire.

Erwan Blesbois a dit…

Pourquoi le blog de ton ami philosophe apparaît-il totalement brouillé sur mon ordinateur, avec des caractères superflus et incompréhensibles ? Est-ce que cela vient de "mon" ordinateur, ou alors le blog de Didier Martz dysfonctionne-t-il pour tout le monde ?

Emmanuel Mousset a dit…

Je viens d'aller voir : oui, moi aussi, c'est tout brouillé. A moins que ce ne soit nos cerveaux ...

Erwan Blesbois a dit…

Sinon je ne vois pas très bien la différence entre le libéralisme économique et le mode de production capitaliste. Comme par hasard sous l'action de la "main invisible", le libéralisme économique abouti toujours à des modes de production capitaliste. Cite-moi un seul exemple où ce n'est pas le cas ?
Oui effectivement les Trente Glorieuses où le libéralisme économique était régulé dans des modes de redistribution sociale et financière d'inspiration keynésienne. Le phénomène économique appelé "Trente Glorieuses" s'explique par deux facteurs :
1) Il fallait reconstruire après un terrible conflit mondial destructeur et meurtrier et donc motiver l'esprit de solidarité chez les gens.
2) Il fallait offrir un contre modèle attrayant au communisme, le virage libéral sans régulations ni redistributions des années 80, s'explique par l'extrême faiblesse du communisme en URSS, puis sa chute finale.
D'un point de vue économique les Trente Glorieuses étaient donc un compromis bâtard entre socialisme redistributif et libéralisme d'inspiration adam smithienne. Malheureusement pour l'humanité, le libéralisme a fini par tuer le socialisme, ce qui est logique et hégélien et non pas héraclitéen, lorsque deux logiques contradictoires cohabitent (oui car Héraclite, tout comme Nietzsche tolèrent et même encouragent la contradiction, sans la mise à mort de l'un des deux éléments contradictoires). Ca me rappelle un prof de philo arrivant en classe et s'exclamant : "Nietzsche a tout dit... Tout... et son contraire !" Alors que chez Hegel, la totalité est le fruit d'un processus dialectique où l'un des deux termes contradictoires parvient à l'emporter sur l'autre et à l'éliminer totalement de la surface de la terre. Ce qui était bien le projet qu'avaient les nazis pour le peuple juif : "mystique de la race" contre "mystique du cosmopolitisme". La tolérance c'est bien accepter l'existence et la cohabitation de termes en apparence contradictoires, mais qui en réalité peuvent parvenir à s'harmoniser.
C'est donc le libéralisme économique à sa source chez Adam Smith qu'il faut critiquer, car il amène toujours et c'est inscrit dans son programme, dans son ADN, des modes de production capitalistes donc déshumanisants pour la majorité des gens ordinaires.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Les tragédies politiques de notre temps s'appellent fascisme et communisme, pas libéralisme.

2- Le Chili de Pinochet, la Chine actuelle sont des régimes de dictature, des économies capitalistes qui n'ont rien de libéraux.

Erwan Blesbois a dit…

Comme quoi le libéralisme économique peut s’accommoder de régimes répressifs et autoritaires, j'en suis persuadé et pense même que c'est le destin des démocratie occidentales, qui ne savent plus se renouveler par l'utopie (Macron est un leurre qui n'a rien d'utopique), et ne sont plus capables que d'imaginer et d'élaborer rationnellement ou artistiquement la dystopie qui vient (effectivement rien d'utopique dans le projet du transhumanisme, mais un caractère dystopique assumé).

Erwan Blesbois a dit…

L'Europe de Bruxelles montre en tout cas que Hitler n'avait pas tout à fait tort. Ce sont bien les Allemands les plus forts en Europe, on pourrait dire le "peuple élu", que ce soit par une mystique de la race ou une idéologie libérale.

J S a dit…

"Les tragédies politiques de notre temps s'appellent fascisme et communisme, pas libéralisme"
...
Réflexion intéressante...
Une tragédie, c'est forcément tragique mais ça dépend pour qui...
Le fascisme n'a pas été si tragique que ça pour un certain général venu du Rif...
Pas davantage pour un empereur né au soleil levant...
Et bien des communistes sont morts dans leur lit comme à Cuba ou au Kremlin.
Des généraux "libéraux" aussi comme au Chili...