mardi 13 décembre 2016

La passion Macron



Ce qui intéressant dans un événement politique, c'est autant l'événement en lui-même que les réactions qu'il suscite. En ce qui concerne le grand meeting d'Emmanuel Macron, ce sont moins ses propositions, pourtant nombreuses et promptes à la discussion, qu'ont retenues les médias (chaînes d'information en continu et réseaux sociaux), que la fin de son discours, le ton et la gestuelle. Les commentaires ont été partagés entre l'étonnement, l'amusement et la dérision. Certains sont même allés très loin, en interprétant les regards au ciel et les bras en croix de Macron comme une posture christique, mystique (!).

De quoi s'agit-il, plus simplement ? D'un homme passionné, qui se donne à son public, rien de plus, rien de moins. Quelqu'un qui croit en ce qu'il dit, qui s'engage à fond. C'est la définition de la passion. Ce qui est étonnant, c'est qu'on s'en étonne. Tout homme public ne devrait-il pas être ainsi, se livrer totalement à la cause qu'il défend ? Mais la passion en politique est perçue aujourd'hui comme quelque chose d'un peu bizarre, étrange, suranné, vaguement inquiétant. Montrer sa passion, la faire vivre, l'incarner parait déplacé, malséant, impudique, dans une société qui pourtant n'a guère de pudeur.

Autrefois, la passion était inhérente à l'exercice de la politique. Quand on montait à la tribune, il fallait être un tribun, tenir des propos enflammés, soulever la foule d'enthousiasme. Pourquoi cette forme de générosité qu'est la passion politique est-elle mal vue désormais, pourquoi s'exprime-t-elle beaucoup moins ou si peu ? Incontestablement, il y a le fait que les croyances politiques se sont émoussées, qu'elles ne provoquent plus la ferveur d'antan. Mais je pense que la raison est moins dans le fond que dans la forme. Nous sommes entrés dans un monde où la culture technique est prédominante, où la légitimité est accordée au langage d'expert, technocratique, qui s'accommode très mal du lyrisme. Et puis, il y a le formatage de la télévision, qui favorise des discours lisses, aseptisés, consensuels. Sur le petit écran, la manifestation de la passion se transforme en provocation, énervement ou folklore.

Enfin, ce qui a définitivement disqualifié la passion politique, c'est qu'elle a été reléguée à la radicalité, à l'extrémisme, au fanatisme. La passion xénophobe de Le Pen ou la passion antilibérale de Mélenchon ne surprennent pas, parce qu'on les assimile à des excès, des outrances, des dérapages propres à ces deux camps. Les candidats sérieux, raisonnables, présidentiables sont censés ne pas tomber dans de tels travers. Au regard de bien des contemporains, la passion politique est synonyme de folie. Mais ce n'est pas parce que la passion a été dévoyée qu'il faut la condamner. Au contraire, je la crois indispensable à la vie démocratique, et le drame de ces trente dernières années, c'est que cette passion a été confisquée  par les sensibilités les plus contestables et rejetée par les sensibilités les plus estimables.

Je l'ai particulièrement ressenti lors de la campagne référendaire de 2005, où les anti-européens ont été très virulents et où les pro-européens ont fait profil bas. La cause européenne, tout comme l'engagement social-démocrate, manquent d'enthousiasme, de panache, de passion. On constate les résultats et les dégâts. Non, il n'y a pas de politique sans passion. A mon petit niveau d'expérience, celui d'un appareil politique de province assez modeste, j'ai pu sentir combien la passion passait mal, car assimilée, consciemment ou non, à une forme d'aveuglement, d'imprévisibilité qui ne collait pas avec l'esprit d'opportunité et de modération qui préside au fonctionnement d'une organisation politique. Pour le dire de façon un peu caricaturale : l'apparatchik, l'élu ou le notable ne peuvent pas être des passionnés, parce que ce n'est pas la passion qui les a menés là où ils sont.

Le gros problème, c'est que nous pâtissons de l'opposition classique entre passion et raison, comme si elles étaient incompatibles. Or, je ne le crois pas, je pense que leur alliance est indispensable en démocratie. Il n'y a pas, au milieu de notre vie publique, le cercle de la raison (l'expression est d'Alain Minc) et tout autour des fous furieux qui pousseraient de dangereux cris de passion. Ou si cette représentation l'emportait, ce serait dramatique pour la démocratie. A ce sujet, il faut lire le dernier ouvrage de l'économiste et sociologue Frédéric Lordon, paru cette année au Seuil : "Les affects de la politique".

Si Emmanuel Macron a samedi surpris (mais pas moi), c'est qu'on n'imagine pas qu'un européen et un social-démocrate comme lui puisse se prendre de passion pour son projet et le traduire par son corps, ses gestes, sa voix. De plus, le personnage en lui-même, son tempérament modéré, ouvert, son timbre de voix très posé dans la conversation, le caractère doux, presque féminin qui se dégage de lui (rien à voir avec les accents virils et agressifs de Le Pen et Mélenchon) forment un contraste violent avec les images de fin de meeting de samedi. Mais c'est mal connaître l'homme, ne pas faire attention à ce qu'il est vraiment. Car dans le plus calme de ses échanges se révèlent aussi une redoutable détermination, des jugements tranchés, des analyses très acérées. Alors que la vie politique nous habitue à des louvoiements, retournements, zigzags, Macron sait où il va et il y va, en nous faisant comprendre que rien ne l'arrêtera. C'est ça aussi la passion.

12 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Alain Minc a une vision libérale de l’Homme, comme étant par essence métaphysiquement une "canaille". Pour comprendre une telle conception de l’Homme qui remonte au XVIIIème siècle anglais, il faut se souvenir qu’à cette époque la société anglaise était composée d’une part non négligeable de soudards qui servaient de chair à canon dans les guerres en dentelles, et également de matière première de l’émigration vers les terres conquises par l’empire colonial anglais. Ce type d’homme est bien décrit dans le film Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Ainsi le libéralisme part d’une vision de l’homme comme étant une "canaille", pour fonder sa construction politique d’un marché mondialisé d'influence libérale. Toute la construction politique du libéralisme dans laquelle nous vivons, est une construction plutôt malveillante qui n’a pas une bonne image de l’Homme du peuple, et qui considère effectivement que seule une élite éclairée peut avoir accès à la Raison. On pourrait dire que transposée dans le monde d’aujourd’hui, une telle élite est celle qui profite le mieux du système, il s’agit certes des intellectuels bobos des centres métropolitains, mais aussi de la caste financière oligarchique qui brasse des milliards.
Tout le reste de la population étant soumise à la "guerre de tous contre tous", c’est-à-dire vivant dans des conditions d’existence peu enviables, sans nulle trace de solidarité ni de fraternité nulle part : je dirais une existence plus longue mais bien plus triste qu’au Moyen Age. La classe moyenne est affectée par ce retour au libéralisme pur et dur dans la pleine lignée de l’ère Thatcher/Reagan, ère qui n’a jamais été remise en question. Cependant les principales victimes du libéralisme triomphant sont dans le monde rural donc les agriculteurs, dans le monde du travail donc de la classe ouvrière, et chez la plupart des populations fraîchement immigrées qui vivent dans des conditions de violence sordide, dans les quartiers appelés "territoire perdus de la République". Et dont les immigrés sont, croyant s’émanciper de la République par la violence, les premières victimes de cette même violence...

Erwan Blesbois a dit…

Il y aurait bien des solutions pour se sortir du libéralisme, comme celles apportées par les authentiques penseurs socialistes du XIXème siècle avant que l’affaire Dreyfus ne les fasse s’allier aux progressistes de gauche, courant auquel semble appartenir Emmanuel Mousset. Alliance fatale pour les Socialistes et qui a vidé peu à peu le progressisme de tout son contenu social. Toujours est-il que l’idée socialiste et sa conception de la solidarité et de la fraternité ne semblent plus avoir cours aujourd’hui.
Que reste-t-il alors pour le peuple maintenu à la marge, dans les zones périphériques les plus dévastées économiquement du territoire français notamment, pour se reconnaître, et garder une trace de mémoire et d’identité, vis-à-vis des hordes de migrants et de réfugiés que nous impose la construction politique que constitue le marché mondialisé du libéralisme ? Construction politique, pour des Hommes considérés métaphysiquement comme des "canailles" non raisonnables, à l’exception d’une élite, dans le "cercle de la raison", qui dicterait au peuple inculte la marche à suivre. Favorisant in fine le dumping social dans les zones métropolitaines, et la violence et la guerre dans les zones périphériques du globe, où la vison politique du marché mondialisé ne s’est pas imposée. Impérialisme politique libéral, victorieux pratiquement partout à l’échelle du globe que certains naïfs ou "idiots utiles" ou qui feignent d’être tels, comme Emmanuel Mousset (est-il un vrai naïf ou un naïf feint ?) nomment encore "démocratie", moi qui ai des traits un peu cyniques, je ricane...

L a dit…

Le fond, la forme...
Cela fait plus que des lustres qu'on glose de la seconde comme du premier.
Que serait la forme sans le fond ?
Exercice de style sans portée, sans retentissement sauf pour les esthètes éventuellement.
L'art pour l'art...
Que serait le fond sans la forme ?
Cela resterait au fond de quelques mémoires pas plus mais tout autant sans retentissement à part chez quelques intellectuels par ci par là...
L'art de convaincre en démocratie est bel est bien inclus dans la conjonction du fond et de la forme.
Un orateur, c'est quelqu'un qui est capable de s'exprimer à l'oral devant les auditeurs, que ce soient des élus ou tout bonnement des citoyens...
Un orateur n'est pas forcément ni écouté ni suivi.
Parmi nos connaissances actuelles, on ne doute pas que ni M Montebourg ni M Mélenchon soient des orateurs de belle et même excellente facture.
Comme orateurs, ils sont loin devant les MM Juppé, Fillon, Hamon, Hollande entre autres...
Un tribun est un orateur qui agrège l'adhésion de ses auditeurs parce qu'il allie l'art de s'exprimer à l'oral devant les foules et de les convaincre que ses propositions sont incontournables.
Il y a beaucoup d'orateurs mais beaucoup moins de tribuns, j'allais dire d'élus.
Bien sûr, j'ai laissé de côté la composition de l'auditoire...
Parce que bien sûr, quand l'auditoire est choisi, trié, sélectionné, d'aucuns peuvent ressembler jusqu'à s'y méprendre à des tribuns (confère M Sarkozy).
On m'attend au tournant pour citer quelques exemples de tribuns possibles ou éventuels à adouber qui éventuellement pourraient surgir ou seraient déjà surgis à l'occasion de la "présidentielle 2017"...
Même les plus connues des "grandes gueules" fascistes d'Italie, d'Allemagne, de France , et aussi de toutes les Espagnes, du milieu du siècle passé, n'étaient en aucun cas des tribuns.
Maintenant terminons pour rejoindre le propos du concepteur de ce blogue : M Macron est-il orateur ? Sans doute... Tribun ? C'est encore à voir...
On ne demande qu'à voir et à entendre !

Emmanuel Mousset a dit…

Orateur, je m'en contente. Tant ne le sont pas ...

Philippe a dit…

Finalement notre hôte est un grand amoureux, un Casanova de la politique politicienne, récemment DSK, Hollande, Valls …
J’ai pensé à lui en re écoutant
L'amour est enfant de bohème: Il n'a jamais, jamais, connu de loi: Si tu ne m'aimes pas, je t'aime: Et si je t'aime, prends garde à toi etc.
https://www.youtube.com/watch?v=pUCvo1LDdLE
Il faut être déraisonnable, soyons amoureux … pas forcément de Macron …perso je serais plutôt Brigitte qu’Emmanuel ...

Unknown a dit…

Passion ?? Pur calcul politique que ces cris, plutôt. Il veut se redonner du corps, de l'épaisseur alors qu'on a tendance à le dire tendre. Normal que les commentateurs s'en amusent ce fut ridicule...

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne vois pas où vous avez entendu des "cris". Macron n'est ni un enfant, ni une bête. Je vois encore moins comment des "cris" seraient une stratégie. Mais votre réaction me rassure : c'est que vous n'avez rien d'autre à lui reprocher que des "cris". Voilà en tout cas des "cris" qui font causer, et c'est plutôt bon signe. En Marche !

Philippe a dit…

Le journal La Croix rapporte ce jour les résultats d’une étude inédite réalisée pour la Fondation Jean-Jaurès, qui tend à démontrer que les différences de patrimoine sont corrélées avec certains positionnements politiques.
http://www.la-croix.com/Journal/Lopinion-politique-nest-sans-lien-avec-patrimoine-2016-12-13-1100810327?utm_source=Newsletter&utm_medium=e-mail&utm_content=20161214&utm_campaign=newsletter__crx_subscriber&utm_term=503615&PMID=d35b91d5deda4b0d066f52437b7e1e8a

Les travaux de Guilluy prenaient en compte outre les revenus le prix local de l’immobilier, tout cela se recoupe in fine.
Une confirmation massive selon J.Jaurès, mais sans doute explosive, si les circonstances s’y prêtent : une constante quelque soit le niveau de revenus le rejet des nouveaux venus ! (voir NB)
Dans l’étude les « sécurisés étant les plus hauts revenus, les « précarisés » l’inverse.
« de 67 % de la « France précarisée » à 71 % de la « France sécurisée » pensent qu’« il y a trop d’immigrés en France », et de 54 % de la « France sécurisée » à 56 % de la « France précarisée » sont favorables à la préférence nationale prônée par le FN. »

Reste à notre ami blogueur avec toutes ces données de tenter d’évaluer la base électorale de E.Macron en prenant en compte que les plus exclus votent probablement moins que les autres ce qui serait favorable au poulain.

NB je suis alerté sur le sujet dans la mesure où l’un de mes aïeuls aurait pu être lynché à Liévin dans les émeutes anti-belges de août et septembre 1892.
Pour ceux qui doutent :
https://www.journalbelgianhistory.be/fr/system/files/article_pdf/BTNG-RBHC%2C%2037%2C%202007%2C%203-4%2C%20pp%20307-323.pdf
Les français comme d’autres sont violents … la NON gestion européenne de l’immigration est d’une bêtise crasse.

Erwan Blesbois a dit…

A mon avis Philippe, tu fais preuve de sentimentalisme quand tu dis "la NON gestion européenne de l’immigration est d’une bêtise crasse.", alors que selon moi cela est conforme à la logique du marché mondialisé et au cynisme qui en découle. Effectivement, que reste-t-il donc à ce peuple français mal aimé de la "démocratie", quelle que soit son origine ethnique d’ailleurs ? Il ne lui reste selon moi que le populisme… On peut les appeler les xénophobes, les racistes (alors que le racisme anti-blanc, lui, se porte mieux que jamais), on peut les appeler les "sans dents" etc. pour les stigmatiser, les faire culpabiliser, et s’en retrouver ainsi conforté moralement dans sa conviction d’appartenir au "camp du bien". Il n’empêche qu’il ne s’agit que du peuple "old school" de France, que le système libéral quand il obéit à sa logique de concurrence des uns avec les autres, dans un souci de rentabilité maximale, que le système libéral donc, voudrait désormais faire disparaître pour toujours, et remplacer par des populations susceptibles d’être plus soumises idéologiquement au progressisme. Les guerres dans les zones périphériques du globe sont là pour ça, pour nous apporter par le biais des migrants et réfugiés, la main-d’œuvre reconnaissante et non revendicatrice (pour le moment), du capitalisme radieux et progressiste de demain. La propagande médiatique est là pour ça également, nous invitant à éprouver de la compassion et à faire preuve de générosité pour les réfugiés. Le battage médiatique autour du drame d'Alep, est déjà là pour ne préparer à l'accueil de nouvelles vagues de réfugiés, que l'on disséminera désormais de plus en plus dans les petites villes et les campagnes, car les bobos commencent à être fatigués de les accueillir.

Anonyme a dit…

"Le battage médiatique autour du drame d'Alep"
Alep, un "drame" parce qu'en résultera une nouvelle diaspora d'autochtones qu'il faudra bien répartir par ici ou bien par là ?
Ou bien à rassembler dans quelques camps où ces sunnites seront plus aisément réduits à néant par la coalition poutino-assadienne accessoirement soutenue par le raïs d'Ankara.
Car c'est bien cela qui se prépare : un massacre, une extermination.
Sous nos yeux.
Comme à Chabra ou Chatila par le passé.
Pauvre monde qui à la mode de Sisyphe recommence toujours ou à peu près la même chose !

Emmanuel Mousset a dit…

Le monde est comme il est. Il ne sert à rien de pleurer, il faut le changer.

U a dit…

Pour changer le monde, il faudrait pouvoir changer les hommes qui le composent.
Vaste programme comme aurait dit le Général.