mercredi 7 décembre 2016

La tentation du Bourget



Je reviens sur la déclaration de candidature de Manuel Valls. Elle n'était pas trop mal. Bien sûr, il y a ce slogan long, compliqué, dont on ne se souvient pas. Et puis, au fond, comme un décor, un groupe d'hommes et de femmes un peu figés, qui font figuration, une sorte de chorale muette, seulement applaudissant. Mais la forme du discours était correcte, sans doute longuette (20 minutes). Une déclaration d'amour (à la gauche et à la France) doit être plus courte. Valls en a sous la pédale, comme on dit vulgairement. Il lui faut simplement veiller maintenant à l'accident, et ce ne sera pas facile pour lui.

Dans sa déclaration, il est surtout fort quand il dit ce qu'il ne veut pas, à droite comme à gauche. Mais on ne devient président de la République qu'en disant ce qu'on veut, ce qu'on propose. Je suppose que le temps viendra. Dans sa déclaration, il y a une contradiction majeure, que tous les commentateurs et ses concurrents ont repérée : Valls prétend réconcilier aujourd'hui ce qu'il jugeait il n'y a pas si longtemps irréconciliable. Ce qui lui met une bonne partie des socialistes sur le dos, à commencer par Martine Aubry (ce qui commence donc mal). Enfin, dans sa déclaration, il y a un oubli, un incroyable acte manqué : Valls ne dit jamais qu'il se présente aux primaires de la gauche, il ne prononce pas le mot. C'est un refoulement : il sait que la procédure ne lui est pas favorable, il préférerait se présenter directement à la présidentielle, à la façon de Macron.

Dans sa déclaration, Manuel Valls a été incontestablement lyrique, et même parfois littéraire, presque "hollandais" dans le ton et la gestuelle. Il a répété je ne sais combien de fois le terme de rassemblement, trahissant ainsi une incantation, démentie très vite par les réactions de ses camarades adversaires, qui lui reprochent d'abord de ne pas pouvoir être rassembleur. C'est pourquoi, préventivement, Valls essaie de les rassurer, de montrer qu'il a changé, qu'il n'est plus le même : je crois que s'il y a une profonde erreur dans sa déclaration, c'est celle-là, vouloir être quelqu'un d'autre, une bonne intention qui ne trompera pas.

Le problème actuel de Valls, auquel il échappera peut-être dans les prochaines semaines, c'est la tentation du Bourget, une tentation vieille comme le Parti socialiste, qui commence à Epinay, en 1971, lorsque François Mitterrand, en s'en prenant à l'argent et en prônant "la rupture avec le capitalisme", laisse croire, en toute sincérité, qu'il est Léon Trotski alors qu'il n'est que François Mitterrand. 40 ans plus tard, c'est un autre François, Hollande, qui prononce, dans un même trémolo, que "mon ennemi, c'est la finance". Le discours révolutionnaire a sa grandeur, que je respecte, à condition qu'il soit prononcé par des révolutionnaires. Or, Hollande n'est pas plus Robespierre que Mitterrand n'était Trotski. L'opinion le sait bien, n'est pas dupe, mais elle aime à rêver, elle retient une formule qui fait mouche (en réalité qui fait mal, mais plus tard), elle oublie le reste du discours du Bourget, authentiquement social-démocrate.

Mitterrand, Hollande, Valls, même danger pour eux-mêmes, la tentation du Bourget, jouer à ce qu'on n'est pas, dans un but louable, mais déconseillé en politique : vouloir plaire, en jetant à la foule et à ses partisans ce qu'ils aiment à entendre. Dans sa déclaration de candidature, Valls gauchit un peu son langage, prononce le mot sacré de "travailleurs" (on avait reproché à Jospin en 2002 de ne pas l'invoquer), il veut plaire à ses troupes, à son Parti (qui se prend par la gauche, comme le pensait Mitterrand). Finalement, sa seule faiblesse est là : en cherchant à plaire, il se renie, et ça se voit. Il prend ainsi le risque de profondément déplaire.

On peut penser ce qu'on veut d'Emmanuel Macron, être en désaccord avec ses idées (normal, nous sommes en démocratie). Mais il y a quelque chose qu'on ne peut pas lui reprocher : il ne cherche pas à plaire, il dit ce qu'il a à dire, ce qu'il pense, et chacun ensuite se détermine, adhère ou pas. Macron est totalement étranger à la tentation du Bourget, c'est-à-dire la tentation de la rhétorique, de la séduction, qui finit toujours par la déception et le rejet. La grande force de Macron, c'est qu'il plait sans chercher à plaire. Reste à savoir combien de temps la séduction va durer, et si elle va s'amplifier.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

A plaire .... C'est vague et c'est pas la voie ... Le candidat doit montrer sa capacité de travail ... Un point c'est tout ....

Philippe a dit…

"laisse croire, en toute sincérité"
On peut tout aussi bien affirmer que c'est un réflexe professionnel chez les politiciens ...
je dis ce qu'il veulent entendre ces couillons (je reste certainement plus poli qu’eux) ... et quand j'aurais le pouvoir .......... "on voirra"

Erwan Blesbois a dit…

Je tenais à faire un mea culpa, peu en rapport avec ce billet, alors je ne sais pas si je serai publié. Je voulais dire que j'ai retiré le photo de BHL de la couverture d'un de mes derniers billets, trop marquée idéologiquement, et de plus susceptible d'être interprétée comme une marque d’antisémitisme. Je sais en outre que cette dernière tare vous condamne à une ostracisation définitive du débat publique. Mais quelle importance... je ne suis pas vraiment un personnage public, ni médiatisé, je sais que si c'était le cas il me faudrait être beaucoup plus prudent, et que beaucoup de mes billets me condamnent déjà avant même toute visibilité publique éventuelle. Non que je n'ai pas une part de ma personnalité plurielle qui comporte d'éventuels traits antisémites, liés à mon histoire personnelle, et une forme de ressentiment que j'aurais accumulé, je le reconnais... tout comme je peux avoir d'éventuels traits islamophobes ou même anti-chrétiens, particulièrement quand le christianisme s'exprime sous la forme notamment du protestantisme : il ne s'agit que de facettes de la personnalité, non de l'identité toute entière, et mieux vaut se les avouer, et les justifier de façon cohérente et raisonnée, afin que la pulsion ne nous éclate pas à la figure.
Il s'agit juste aussi, quand on veut faire œuvre de médiatisation, de ne pas exposer cette facette, comme savent très bien le faire d'éminents personnages médiatiques. Emmanuel Mousset par exemple prétend être parfaitement pur, et être un modèle de vertu républicaine de tolérance et d'ouverture à l'autre, oui il a sans doute les mains pures, mais à l'instar de Kant, il n'a pas de mains...
C'est un peu dommage cette censure d'ailleurs, car l'expression d'un sentiment trop longtemps refoulé, peut avoir des conséquences explosives, sous forme de pulsions.
Je le sais c'est la règle du jeu, je le sais depuis que j'ai fait de la philosophie à la Sorbonne. Il y a des tabous dans la société française auxquels on ne touche pas, et c'est tant mieux, et sans doute nécessaire. Et il y a un consensus commun apparemment solide, alors que dans la réalité au gré des conversations avec des quidams, ce consensus est si friable, au point que parfois cela me choque moi-même. Et que bien souvent je me vois contraint de prendre la défense du peuple incriminé, tant la teneur des propos de mes interlocuteurs est caricaturale et bourrée de préjugés abjects. De plus je suis désormais lié au peuple juif par le sang : donc comment pourrait-on me reprocher d'avoir une identité antisémite ? Ce n'est pas le cas.
Je n'ai par ailleurs aucune dévotion particulière pour la Shoah, à laquelle je suis très sensible, mais en tant qu’événement relatif, au même titre d'ailleurs que le génocide des Indiens d'Amérique du Nord, qui a permis l'installation de la plus grande démocratie du monde, sur un crime fondateur. Je ne vois pas la Shoah comme un événement absolu, d'essence quasi divine, sur lequel se prosterne entre autre notre République, par repentance. Beaucoup plus que l'Allemagne contemporaine d'ailleurs, qui retrouve sans honte ni remords ses vieux réflexes d'hégémonie sur l'Europe.

Emmanuel Mousset a dit…

Tu fais ton "mea culpa", tu te présentes en "victime", tu es nuancé et "précis" sur le génocide et les indiens, tu as une fille qui te disculpe de tout soupçon, tu es "choqué" comme il convient : bravo Erwan, tu es un homme de ton temps, un contemporain. Moi, je serai plutôt un "mécontemporain" (l'expression est de Finkielkraut, je crois). En tout cas, je ne me reconnais en rien dans toutes tes réactions.

D a dit…

Il ne doit pas y avoir grand monde pour se reconnaître dans ce que dit M Erwan néanmoins il faut lui reconnaître au moins le mérite de se chercher et en continuant, il a toutes les possibilités avec lui de finir par y parvenir.
Bon courage !

Anonyme a dit…

Peut être vous pourriez vous dire tout ça en privé non?

Erwan Blesbois a dit…

Finkielkraut semble avoir trouvé l’absolu dans la culture, dans la littérature plus précisément. il n’a pas d’œillères limitées aux frontières étriquées de la France, sa curiosité pour la culture embrasse le monde entier, en cela il est cosmopolite. Mais il fustige le multiculturalisme et l’antiracisme, car ils s’expriment en France le plus souvent de façon dogmatique et intolérante, quand ils voudraient faire du « sionisme » le nouveau bouc-émissaire et la cause de tous les maux. « Sionistes » responsables de tous les maux selon les multiculturalistes de certains courants d’extrême gauche, qui se réclament de l’islamophilie pour mieux masquer ou cacher leurs penchants antisémites.
Le peuple juif se retrouve à nouveau en position de bouc émissaire par d’autres voies, et en proie à l’antisémitisme qui prend de nouvelles formes, quand on pensait l’avoir évacué de l’idéologie française et du dogme catholique qui professait que les juifs avaient tué Jésus, et étaient donc coupables par essence de façon quasi métaphysique.
Les juifs se sont libérés des ghettos en premier lieu grâce à Napoléon, ils sont sortis de leur statut de réprouvés depuis des millénaires, et on leur a donné des droits de citoyens à part entière. Ensuite en Algérie, les populations juives de longue date ont reçu des droits de la République française, là où les populations maghrébines algériennes sont restées à l’état de sous citoyenneté, ce qui a pu susciter une certaine jalousie des populations musulmans arabes et berbères de ce pays à l’égard des juifs. Le « deux poids deux mesures » est toujours dans l’argumentaire, le cahier de doléances des musulmans vis-à-vis des juifs : comme si la République avantageait toujours ses ressortissants juifs sur ses ressortissants musulmans. Pourtant la doctrine des droits de l’homme spécifie bien que tous les hommes sont libres et égaux en droit. Faut-il y voir une hypocrisie ou un vœux pieux ? Je me fous de connaître les circonstances historiques qui expliquent cette différence de traitement, une fois de plus les Français « généreux », n’ont pas été fidèles à la doctrine d'égalité qui fonde leur République, une fois de plus…

Erwan Blesbois a dit…

...Cette différence de traitement est à l’origine de la migration des juifs d’Afrique du Nord qui y étaient implanté depuis plus de mille ans, vers la métropole. Sinon ils y auraient subi le courroux et l'esprit de revanche des populations musulmans autochtones.
Tout comme aujourd’hui les Français xénophobes nationalistes puants et « sans dents », c’est-à-dire une caricature de la France populaire, sont poussés dans les zones les plus dévastés par le libéralisme de la France périphérique ; alors que globalement certains juifs sont surexposés dans les médias. Toujours le « deux poids deux mesures » et la jalousie qui en découle. Jalousie qui pourrait devenir meurtrière, si des mesures n’étaient pas prises pour rétablir le principe d’égalité républicaine, auquel tu sembles totalement étranger. Mais chacun veut continuer à vivre avec ses œillères et ses préjugés, ses avantages et ses privilèges, pour son confort moral, et même pour son confort spirituel, jusqu’à ce que la cocotte minute France, sous pression explose…
Ils expriment certes la diversité de la société française à eux seuls, mais toutefois je pense que cela empêche une certaine diversité et richesse de s’exprimer par la voie du Français moyen honni et excommunié. N’oublions pas 40 ans de destruction systématique de la figure du Français typique, héritage funeste de mai 68 que dénonce à juste titre Eric Zemmour. Mais alors que ce dernier voudrait que le bouc émissaire soit le musulman, pour se protéger de ce statut peu enviable, peut-être pour lui-même ; la colère monte, monte dans les petites villes et les campagnes, jusqu’où ? Et quand les métropoles gentrifiées tendront-elles l’oreille ? Quand il sera trop tard ? Horreur, les élites gentrifiées des grandes métropoles se rendent compte avec effroi qu’elles ne représentent politiquement plus grand monde, et que même leur humour ironique d’origine bobo, n’émeut plus personne !
Les adultes sont malheureusement comme des gamins dans une salle de classe ou une cour de récréation, il y en a toujours un qui pète un câble contre le chouchou du prof… En réalité il n'y a pas de prof, il n'y en a plus car "dieu est mort" ; mais par contre tout se joue encore dans la tête de façon spirituelle, dans la tête du "peuple élu". Et je le dis sans ironie, mais avec des guillemets, car la science serait en mesure de relativiser cet état d'esprit.
Pour conclure, Rousseau se sentait perfectible alors que la plupart des hommes ne le sont pas, car son instinct le poussait à rechercher un toit spirituel, et cela l'obligeait à faire d'énormes efforts intellectuels, qui ont abouti au génie que l'on connaît.