vendredi 16 décembre 2016

Je n'est plus un autre



"Je est un autre". Rimbaud a raison, mais pas en politique, pas aujourd'hui. Autrefois, oui : François Mitterrand n'était pas lui-même en politique. Il levait le poing, chantait l'Internationale et citait Marx alors qu'il appréciait la littérature réactionnaire, était imprégné de culture religieuse et ne pratiquait pas la franche camaraderie. Quant à sa vie privée réelle, il la cachait sous les apparences d'un mariage bourgeois. L'époque voulait que les hommes politiques jouent un rôle. C'est fini. Je ne peut plus être un autre.

La société a changé. Sincérité, spontanéité et sensibilité l'emportent sur le calcul, la composition et la dissimulation. Bien ou mal, c'est un fait. Emmanuel Macron est de son époque, jusqu'à cette fin de meeting qui a tant fait parler durant cette semaine, alors qu'elle signe la fin d'un genre en politique. Macron est comme il est, se montre tel qu'il est, ne s'aligne pas sur ce qu'on attend de lui. Après ça, qu'il puisse gêner, choquer ou faire sourire, ce n'est pas surprenant. Etre soi-même, ce n'est pas évident. Pendant longtemps, les hommes politiques ont porté une armure. C'est Lionel Jospin, il y a 15 ans, qui a commencé à la "fendre" ; jamais François Mitterrand n'aurait osé.

Ce petit préambule m'amène au sujet du jour, le début de la primaire de la gauche. Si j'avais à y participer (ce que je ne ferai pas, puisque je suis macronien), je voterais sans hésitation pour Manuel Valls, qui est le candidat le plus conforme à mes convictions. Pourtant, son début de campagne n'est pas très réussi : il n'est pas lui-même, il cherche à être un autre ! Trois prises de position l'attestent :

1- Valls a toujours constaté, avec raison, qu'il y avait deux gauches "irréconciliables", reprenant une idée de Michel Rocard d'il y a bientôt ... 40 ans : une gauche de gouvernement et une gauche d'opposition, une gauche de proposition et une gauche de protestation, une gauche réformiste et une gauche radicale, la social-démocratie et le socialisme traditionnel. L'erreur de la gauche vient de vouloir les confondre, dans des intentions électorales. Le résultat, c'est que les réformistes sont frustrés et que les radicaux sont déçus. Eh bien, Manuel Valls est entré en campagne en renonçant à ce qu'il pense, en disant même le contraire : les deux gauches sont désormais compatibles !

2- Valls a utilisé à plusieurs reprises le 49-3, a défendu devant le Parlement son principe il n'y a pas si longtemps. Il a eu raison : cette disposition législative est nécessaire à la bonne cohésion de la majorité parlementaire voulue par les Français. Y renoncer, c'est soumettre cette majorité au chantage des minoritaires (en l'espèce, les frondeurs socialistes). Si un Premier ministre ressent de la pudeur à se servir du 49-3, libre à lui de courir l'aventure, de disloquer sa majorité, de commettre un déni de souveraineté et de rendre la France ingouvernable. Mais il n'y a pas à le supprimer. Manuel Valls le propose pourtant, contre son propre avis !

3- Valls s'est présenté comme une "force tranquille". Les slogans ont leur importance en politique et il est normal que les candidats caractérisent leur personne. Mais pas pour faire un anachronisme, aller chercher une formule qui ne vous appartient pas, qui date de 1981, qui définissait François Mitterrand ! Là encore, Manuel Valls a un problème avec lui-même. Au lieu d'être créatif, original, il se tourne vers le passé et s'empare d'une expression qui ne lui ressemble pas. Tout en Mitterrand respirait la "force tranquille". On voit bien que Manuel Valls, ce n'est pas ça, c'est autre chose et c'est tant mieux. Mais non, il n'ose pas être lui-même, il veut être un autre, le plus prestigieux des socialistes contemporains.

Je ne sais pas si Manuel Valls va gagner la primaire, je sais qu'il va rencontrer mille difficultés, je crois plutôt qu'il va échouer, que l'échec est déjà en cours. C'est que son problème est insoluble : Valls ne veut pas être lui-même, ne peut pas être un autre, parce que cet autre existe déjà, c'est Emmanuel Macron. Macron est ce que Valls aurait pu et dû être. Macron est le désir, la projection, l'accomplissement de Valls. Plus les semaines vont passer, plus Valls va perdre de son identité, se perdre dans des artéfacts, des avatars et devenir un autre, plusieurs autres, plus Macron va se renforcer, se déployer et devenir lui-même. Valls et Macron, c'est Rimbaud et Nietzsche : "Je est un autre" ou "Deviens ce que tu es".

2 commentaires:

Philippe a dit…

Notre blogueur est : macron ien (après avoir été valls ien)
Perso je suis un cocktail constitué en proportion variable selon les jours et la météo de : un zeste delsol ien, un zeste Gauchet ien, un zeste benoist ien, un zeste sapir ien …
Au final lui comme moi on est : r ien

S a dit…

"Deviens ce que tu es"...
Du Nietzsche ou du Socrate via Platon ?
Qui avaient peut-être déjà emprunté ce programme à plus anciens de nous méconnus...
Appliqué au sens strict cependant quand on élit quelqu'un à une fonction quelconque, cela signifie t'il pour autant que ce quelqu'un était déjà destiné à cette fonction là ?
Je réfute l'idée que quelconque destinée (à rapprocher du déterminisme si peu scientifique) : il n'y a que des parcours qu'on peut a posteriori expliquer.