vendredi 7 août 2015

Thé, café ou chocolat ?



On peut visiter un musée tout seul, avec un casque sur les oreilles ou bien en compagnie d'un guide. Mais il y a un must : c'est de se laisser conduire par un conservateur de musée. J'ai eu ce privilège et cet honneur, à travers le musée Cognacq-Jay à Paris, en présence d'une éminente personnalité culturelle de Saint-Quentin, Hervé Cabezas himself, conservateur du musée Antoine-Lécuyer. Il était dans son élément, le XVIIIème siècle. Nous avons même retrouvé notre cher Maurice-Quentin de La Tour, notamment son portrait de Madame la présidente de Rieux, en habit de bal, tenant un masque, un magnifique pastel sur papier collé sur toile (vignette 1).

Le musée abrite, jusqu'au 27 septembre, une exposition intitulée "Thé, café ou chocolat, l'essor des boissons exotiques au XVIIIème siècle". On peut exercer son nez aux bonnes odeurs de ces délicieux breuvages (voir billet de mercredi dernier). Un conservateur ne visite pas un musée comme le commun des mortels. D'ailleurs, est-ce, chez lui, une vulgaire "visite" ? Non. Il ne se déplace pas, ne regarde pas, ne respire pas vraiment à la façon ordinaire. Moi, je ne fais que passer : lui est à la maison, s'attarde, revient, observe, commente. Sa tête n'est pas la mienne : il pense, en connaisseur. Moi aussi, bien sûr, mais plus modestement, en amateur.

Par exemple, je m'interroge sur cette tasse et cette soucoupe, en porcelaine dure, réalisées par un anonyme, chinois (vignette 2). Je me dis qu'une petite mondialisation existait déjà au siècle des Lumières, made in China. Je me dis surtout que la Crucifixion de notre Seigneur Jésus-Christ dans une tasse à thé est un petit blasphème au milieu d'un siècle pourtant très chrétien. Aujourd'hui, c'est une fille à poil qui apparaît, lorsque nous terminons notre saké au Chinois du coin. Ce motif religieux sur un objet très profane venant d'un pays lointain, nous le devons sûrement à l'influence des Jésuites, qui ont la manie de récupérer les cultures locales pour les mettre au service de leur foi, jusque dans les fonds de tasse ...

Hervé Cabezas m'apprend, entre autres, un mot que j'ignorais : cartel. Savez-vous de quoi il s'agit ? De l'étiquette à côté d'un tableau, nous informant sur celui-ci. L'œil du conservateur est alors en alerte, d'une vigilance extrême, regard d'aigle prêt à fondre sur la moindre erreur ou inexactitude. Et en voilà une : c'est une eau-forte qui a attiré mon attention, puisqu'elle représente un dîner de philosophes (vignette 3). Son cartel souligne prudemment que l'estampe est attribuée à Jean Huber et la désigne sous ce titre : "Voltaire, d'Alembert, Condorcet, l'abbé Maury, Diderot (au café Procope)".

Jusqu'ici, tout va bien. Mais non, tout ne va pas bien, car Monsieur le conservateur est là, sceptique et rigoureux de métier : le Procope, c'est pour faire parisien (voir billet du 12 juin, ma virée au Procope). Mais la localisation est incertaine : pour preuve, la monographie de Garry Apgar sur Jean Huber, publiée chez Adam Biro, à Paris, en 1995, fait référence au tableau (p.117), mais n'évoque pas du tout le célèbre café de la rue de l'Ancienne Comédie. Voilà un tir de précision de notre cher conservateur qui fait mouche et qui rend petit quand on n'a rien vu venir ...

Attention : Hervé Cabezas et moi sommes des gens sérieux qui ne se prennent pas au sérieux. Nous avons terminé la visite par une facétie qui a fait sensation dans l'entrée du musée, chacun d'entre nous mimant un personnage de l'affiche (vignette 4). Pour l'occasion, nous étions comte de Cabezas et marquis de Mousset (tant qu'à faire, je me suis réservé un titre de noblesse de rang supérieur), lui me servant très élégamment je ne sais plus quoi : thé, café ou chocolat ? En vérité, à Saint-Quentin, nous sommes des hommes du XVIIIème siècle perdus dans notre époque. Il ne nous manque que les costumes et les épées.

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