dimanche 2 août 2015

J'étais en train de préparer une corde



Les aveux de Jérôme Lavrilleux à L'Obs de cette semaine, qui donnent le titre à ce billet, sont violents, spectaculaires : dans l'affaire Bygmalion, l'ancien adjoint de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy a songé se donner la mort. C'est le texto d'un journaliste qui l'en a dissuadé. La politique autorise beaucoup de choses, transgresse bien des règles, mais la mort est un tabou qu'on ne franchit pas, tellement il semble grave.

Autrefois, c'était différent : sous l'Antiquité, par exemple, on tuait et on se tuait pour le pouvoir, faute de l'avoir ou parce qu'on le perdait. La démocratie a permis des mœurs beaucoup plus pacifiques. C'est pourquoi, lorsque nous entendons parler de suicide, ou de tentative de suicide, notre conscience est heurtée, on se dit que la politique est une bien vilaine activité pour pousser ainsi un homme à bout, jusqu'à penser sacrifier sa propre vie.

Les cyniques soupçonneront une mise en scène, une exagération, une stratégie de victimisation. Déjà, son émotion à la télévision, au début de l'affaire, avait suscité le soupçon chez certains. Mais qu'est-ce que Lavrilleux aurait à y gagner de faire un cinéma ? N'étant pas parmi les cyniques, je ne partage pas cette réaction-là. Et puis, les larmes, la corde, personne ne peut feindre ces choses.

A vrai dire, personne ne sait les souffrances de Jérôme Lavrilleux, parce qu'un homme ne peut jamais entrer vraiment dans les souffrances d'un autre. La compassion est une mission impossible. Je peux imaginer l'honneur bafoué, la réputation ternie, l'isolement, l'incompréhension des autres et la menace de la justice. Mais la douleur de fond, qui peut conduire au geste irréparable, nul ne la connaît.

Qu'a fait Jérôme Lavrilleux ? Il a commis, avec d'autres, des irrégularités financières, sur lesquelles la justice doit encore se prononcer. Se suicider pour ça serait terrible. D'autres font incomparablement pire et s'accrochent à la vie. En politique, les suicides sont assez rares, parce que ses protagonistes sont avertis de ce qui les attend, de la dureté et même de la cruauté de cet univers, auxquelles il est bien difficile de ne pas participer à son tour, une fois qu'on s'y est engagé. Salengro, Bérégovoy, il y a quelques exemples célèbres, mais assez peu, parce que l'homme politique a le cuir épais. Mitterrand aurait, parait-il, été tenté, après la sale affaire de l'Observatoire (un faux attentat chargé de le discréditer, à la fin des années 50). A chaque fois, ce n'est pas la gravité des faits qui pousse ou fait penser au suicide : c'est toujours une image injustement dégradée.

Pour Jérôme Lavrilleux, je vois aussi une autre explication : ce n'était pas vraiment un homme politique, il ne se présentait pas d'abord comme un élu, mais comme un conseiller du prince, un directeur de cabinet, un organisateur de campagne, très doué, très dévoué, très efficace. On peut s'égarer à suivre scrupuleusement ces vertus, quand on les met au service d'autrui moins scrupuleux. Au fond, Lavrilleux a toujours été plus un administratif qu'un politique. Au Conseil général de l'Aisne, il n'a pas vraiment tenu un rôle de leader. Cet homme est sans doute plus naïf, plus fragile que sa haute responsabilité auprès d'un chef d'Etat en campagne le laisse supposer. Et puis, il y a sûrement un vertige des sommets qui vous entraîne, auquel on a du mal à résister.

Aujourd'hui, Jérôme Lavrilleux est lâché de tous, sauf sans doute de quelques proches, quelques fidèles. C'est la terrible loi de la politique : quand vous ne servez plus à rien, on vous jette comme une vieille chaussette ; quand vous ne faites plus peur ni envie, on vous fuit comme un pestiféré. Lâches, lâcheurs : oui, c'est le revers, pas beau du tout, de la politique. Mais tout ça n'a strictement aucun importance, parce que l'essentiel, c'est de vivre, et que la vie est toujours mille fois supérieure à la politique. Ce serait faire trop d'honneur à celle-ci que de mourir à cause d'elle ... Et puis, la vie est pleine de surprises, n'a jamais dit son dernier mot. Mitterrand, après l'Observatoire, était fini, ridiculisé, sali à jamais. Très vite, il s'est relevé. La vie est plus forte que tout, plus forte que le mensonge, plus forte même que la vérité.

Aucun commentaire: