jeudi 31 mars 2016
Où sont passés les ouvriers ?
Sept millions de Français ont disparu. On ne parle plus d'eux. Ce sont les ouvriers. Même le mot n'est plus prononcé. A longueur de discours et d'analyses, ce sont les "classes moyennes" qui sont invoquées, à droite comme à gauche. Les enseignants sont deux millions et le font savoir. Les fonctionnaires sont cinq millions et le manifestent. Les agriculteurs, qui ne représentent que 5% de la population, ont leur salon que viennent honorer les politiques et leurs protestations violentes. Les étudiants et les lycéens savent se médiatiser et se victimiser. Mais les ouvriers ? Ils n'apparaissent que fugacement, lors des campagnes électorales, en fond de décor, lorsque les candidats trouvent profitable de poser devant un groupe d'hommes portant un casque ou de femmes en blouse. Voilà ce que sont devenus les ouvriers : de muets et immobiles figurants.
France 3 nous a donné l'occasion de retrouver le monde ouvrier, ces trois derniers lundis soirs, à travers un magnifique documentaire de Gilles Perez et Claire Feinstein, "Nous, ouvriers" (2016). Le premier volet a été consacré aux années glorieuses de la classe ouvrière, 1945-1963. Elle avait alors pour tâche éminente de reconstruire la France dévastée par la guerre, elle disposait d'un parti, le premier de France, chargé de la défendre, le PCF. Sa figure héroïque, c'était le mineur. Attention, pas de nostalgie ni d'idéalisation : la vie ouvrière était très dure, et nul aujourd'hui ne pourrait rêver de revenir à cette époque-là. De plus, un changement commençait à s'opérer, par l'introduction d'une innovation dans les existences : le formica ! C'était le tout début d'une révolution, celle du confort, que les décennies suivantes allaient poursuivre et intensifier.
Deuxième volet : la conversion de la classe ouvrière à la société de consommation, 1963-1983. L'apparition des grandes surfaces, des HLM sont perçus comme des progrès sociaux, qui ne sont plus à mettre au crédit de la gauche. En même temps, c'est du côté du travail que les choses se gâtent : l'ouvrier est subordonné à la chaîne, pris dans des gestes mécaniques, transformé en robot avant l'heure. Mai 68, c'est la prise de conscience non plus de la dureté du travail, devant laquelle l'ouvrier n'a jamais rechigné, mais de sa profonde aliénation. De plus, la crise économique commence à supprimer massivement des emplois. Il reste cependant un espoir : que la gauche prenne le pouvoir, ce qui sera fait en mai 1981.
Troisième volet : 1983 à aujourd'hui. Le chômage se développe à un niveau inimaginable, les dernières mines ferment, la sidérurgie est démantelée, le Parti communiste est marginalisé, la classe ouvrière disparaît, les enfants d'ouvriers n'ont plus envie d'être ouvriers, la fierté et la mémoire d'un groupe social se perdent, les hommes politiques ne s'y réfèrent plus, les "classes moyennes" prennent le dessus et imposent leur hégémonie culturelle. Pourtant, les ouvriers sont toujours là, toujours nombreux, toujours exploités, toujours malheureux. Leur travail s'est éclaté en de multiples activités, leur temps a été segmenté par l'intérim. Une conscience de classe est devenue impossible. L'analyse marxiste d'un prolétariat ultra-majoritaire, s'emparant du pouvoir pour le bien de tous et mettant en place une économie juste et égalitaire, est désormais caduque.
Le documentaire se termine sur de très belles images de mains ouvertes, symboles de la classe ouvrière, du travail manuel. Le seul reproche que je ferais à ce film, c'est parfois la faiblesse ou l'absence d'analyse politique (mais ce n'était pas non plus son but). Le PCF, stalinien, a-t-il vraiment été une chance pour la classe ouvrière ? Ce n'est pas certain. La social-démocratie, en adaptant la France à la mondialisation, en se tournant vers les "classes moyennes", en acceptant le marché, a-t-elle nécessairement trahi la classe ouvrière ? On ne peut pas être aussi catégorique. Un stalinien a sans doute fait beaucoup plus de mal qu'un social-démocrate.
Quoi qu'il en soit, c'est aujourd'hui l'avenir qui compte. La gauche ne peut pas ignorer cette part importante de la population active que sont les ouvriers. Le Parti socialiste ne peut plus en rester à un langage, des représentants, des préoccupations qui sont ceux des "classes moyennes". Il est temps pour la gauche de retrouver le chemin des ouvriers.
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9 commentaires:
Erwan, tu découvres la Lune : il y a des riches en ce monde ! Mais je n'ai rien à voir avec eux, ni ma personne, ni mes idées. Aujourd'hui, dans mon billet, ce qui m'intéresse, c'est la classe ouvrière. Mais dans ton commentaire, tu n'en dis presque rien, tu retournes à tes obsessions, les "moyens" et les "riches". Les ouvriers, comme beaucoup, tu t'en fous. Ton problème, ce sont les "moyens" qui jalousent les "riches" parce qu'ils ne peuvent pas le devenir, et qui sont morts de trouille à l'idée fantasmée de leur propre disparition ou de leur déclassement. Désolé, ces angoisses de petit-bourgeois ne m'intéressent pas.
Intéressant billet suite à une intéressante émission...
Quelques causes :
- le miroir aux alouettes de pouvoir acquérir chacun sa maison même si pour cela il fallait se saigner et comme disait mon père, "devoir manger des briques"...
- la mécanisation toujours plus poussée et particulièrement en agriculture avec en conséquence la désertification rurale...
- le travail en intérim (beaucoup d'ouvriers y sont allés pour gagner plus : congés payés inclus dans les paies avec conséquence de ne pas avoir jours de vacances)...
Quant au PCF : oui, il représentait les ouvriers des industries métallurgique et houillère mais aussi une part non négligeable des ouvriers agricoles et des tout petits fermiers et métayers (le journal "La Terre" était lu avec attention dans le monde rural)...
Il n'y a qu'à regarder les cartes des élus du PCF des années 50 pour en être assuré.
Je ne suis pas aussi catégorique que tu le penses, et j'émets de fortes nuances sur les qualités supposées de la classe moyenne. Cependant c'est aussi une constatation que les tâches répétitives, qui ne demandent aucune valeur ajoutée "intellectuelle", auront de plus en plus vocation à être effectuées par des robots. D'où mon idée de la disparition de la classe ouvrière qui n'aura plus d'utilité. La question cruciale, c'est aussi celle des 50 % qui ne possèdent rien, ceux que le grand capital fait travailler partout dans le monde, en situation d'esclavage. Le problème en outre est que depuis 1983, et la capitulation notamment de la gauche socialiste française face au capitalisme, la part des riches a augmenté de façon exponentielle et continue d'augmenter de façon exponentielle, annonçant de graves déséquilibres mondiaux, en terme d'écologie, de guerres, de terrorisme et d'injustices sociales.
Je pense pour ma part que la constitution d'une oligarchie mondialisée ; je ne la nie pas puisque je dis que 10 % de la population mondiale possède 86 % des richesses mondiales, est un destin de notre société technoscientifique et non un complot. Destin et caractère qui vont de pair avec la monstruosité du système actuel, qui repose sur le progrès technoscientifiques, et dont l'économie est le libéralisme dérégulé ; sans aucun soucis de l'épanouissement individuel et du bonheur des hommes qui composent ce système.
Moi je suis con mais je le sais, le danger est le con qui s'ignore...
On veut de toute force baisser le coût du travail ?
Le handicap français, c'est les charges... Qui augmentent au rythme du nombre de chômeurs...
Le nombre de chômeurs augmente à cause du manque de croissance...
Le manque de croissance est due au manque de consommation
La manque de consommation est dû aux bas salaires
Les bas salaires sont dus à la goinfrerie des actionnaires et à un programme de "casse sociale" généralisée
La hausse des impôts est due à l'évasion fiscale généralisée des grands groupes... Les mêmes qui organisent la casse sociale.
Le niveau d'impôts fait baisser la consommation... etc.,etc., etc.,etc., etc.,etc., etc.,etc., etc.,etc.,
Moi je suis con, mais j'aime ça
Le moteur de la consommation c'est la population… Et Nos dirigeants "de gauche" pensent que le moteur peut tourner sans essence ?
Alors il faut un moteur à eau !
Aujourd'hui qui défend le monde ouvrier? les syndicats certainement pas. Ils n'obtiennent rien à part la CFDT, seule organisation un peu progressiste semblant avoir compris la nécessité de donner de l’oxygène au marché de l'emploi. Les frondeurs? Galut qui sent le bateau couler et prend ses distances en vue des élections?!!
Ne critiquez pas mon petit Yann, c'est un Berrichon comme moi, et député de ma ville natale.
Berrichon, alors intouchable ?
Berrichon, ça peut rimer avec bon, avec très bon, tout bon, fort bon...
Mais ça peut rimer aussi avec d'autres mots en ...on à deviner.
Galut, ça peut rimer avec salut mais aussi d'autres mots en ...ut.
Se syndiquer, ce devrait être, comme le pinard de Coluche, ...obligatoire.
Se syndiquer pourquoi ?
Il n'est pas indispensable de savoir pourquoi, idem pour la sécurité sociale.
Obligatoire, un point c'est tout.
De même que faire son devoir électoral : obligatoire !
Il n'y a pas à sortir de ces obligations !
Galut avec ses alliances "souterraines" n'honore pas le Berry et déroute ses électeurs! Dommage, il a des qualités intellectuelles!
Vous voulez parler de son soutien à Thierry Vinçon ? Rien de souterrain : c'est en pleine lumière, ou alors il faut être aveugle. Je le comprends : vous avez vu l'état de la gauche locale ? A peu près au même niveau que chez moi, et ce n'est pas peu dire ...
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