jeudi 17 mars 2016

La France sans travail



Quel est l'événement politique le plus important de la semaine ? L'élection législative partielle à Saint-Quentin ? Les manifestations de jeunes contre la loi travail ? Le sondage donnant l'écrasante victoire d'Alain Juppé sur Nicolas Sarkozy lors des primaires de la droite ? Non, rien de tout ça. L'événement politique essentiel, c'est la publication du rapport Berger sur les conséquences de la révolution numérique en matière d'emplois.

Mais qui en a entendu parler ? Le sujet n'est ni sexy, ni médiatique, à peine polémique. Il est plus que ça, dramatique : dans les 10 prochaines années, la France va voir trois millions de ses postes de travail supprimés. Si l'on ajoute aux chômeurs actuels, aux salariés par intermittence, à tous ceux qui sont en formation et aux retraités, la France se vide peu à peu de son travail et de ses actifs.

D'où vient ce bouleversement ? D'une mutation technologique qui s'exprime en termes magiques, un peu sorciers : digitalisation de l'économie, informatique décisionnelle, objets connectés, robotique avancée, automatisation des tâches répétitives. Ne cherchez pas à comprendre, je résume en une formule : c'est le progrès ! Le phénomène a toujours existé, mais il prend aujourd'hui une ampleur inédite. Coïncidence : je corrige cette même semaine une dissertation donnée à mes élèves sur "le développement des techniques nous donne-t-il plus de liberté ?" En tout cas, il ne donne pas plus de travail, même s'il en crée, mais pas suffisamment pour compenser les énormes pertes.

Jusqu'à présent, c'est l'industrie et le monde ouvrier qui étaient touchés : le secteur a vu ses effectifs passés de 5 millions à 3 millions de personnes, de 1980 à 2012. Dans le proche avenir, c'est le secteur tertiaire et les classes moyennes, c'est-à-dire l'assise sociologique et politique de notre société qui va être frappée, et ça va faire mal. Des emplois qualifiés, intellectuels, qu'on croyait protégés de la malédiction du chômage, vont massivement disparaître, dans le commerce, la distribution, le service à la personne, l'encadrement, les métiers juridiques, les auxiliaires médicaux, l'administration, la construction, l'alimentation, etc. Excusez du peu.

Il y a quand même des professions qui résistent, mais jusqu'à quand ? Médecine, enseignement, métiers d'art, médias, recherche, services sociaux, surveillance, etc. Pas étonnant que mes élèves, avec tout ça, soient stressés : ils ont jusqu'à dimanche pour faire leurs vœux d'orientation professionnelle, le désormais célèbre APB (admission post-bac).

Où va notre société ? Je ne sais pas, et je crois que personne ne le sait. Mais je sais que le débat politique doit porter quasi uniquement là-dessus, et pas sur la stupide question de l'identité nationale.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Emmanuel

D'où l'interrogation de certains politique sur la généralisation du revenu minimum universel. Mais se poser la question, c'est accepter cet état de fait, on ne peut s'en satisfaire.

Laurent

Erwan Blesbois a dit…

Personnellement je vois la crise actuelle, plus comme une crise de l'autorité, que comme une crise liée à la question de l'identité nationale. On se fout de l'identité nationale, liée aux origines particulières de chacun. Peu me chaut que les enfants soient d'origine française "de souche" ou étrangère, mais je suis un partisan de l'assimilation, sinon tout fout le camp. Et dieu sait que j'en ai eu des amis maghrébins, et qui m'appréciaient. Quand Emmanuel Mousset me dit " Ce n'est pas aux curés et aux profs de s'adapter à la société, c'est à la société de s'adapter à eux.", cela me va droit au cœur, à un point que lui-même peut-être ne peut pas imaginer, avec les larmes aux yeux, et quand il ajoute."Et si elle ne le veut pas, qu'elle crève !", j'en suis ému à un point difficilement concevable ; je suis à 100% d'accord avec lui. Cependant pour reprendre le fil de ma pensée, la crise actuelle est avant tout une question d'autorité, les enfants sont laissés entres pairs, sans autorité asymétrique. Ce qu'est par définition toute autorité = asymétrique, notion rejetée aujourd'hui par toute la société, au nom de l'"épanouissement de l'enfant". Il n'y a pas en réalité de réciprocité entre ce que représente le maître et le statut d'élève, dans une conception du rétablissement de l'autorité à l'école, or les parents et les élèves n'acceptent plus ça ; l'autorité, qui n'est pas l'autoritarisme (cf "Entre les murs", Laurent Cantet et évidemment Hannah Arendt, incontournable, "la crise de la culture")

Emmanuel Mousset a dit…

Laurent, j'ai longtemps été favorable au revenu minimum universel, qui me semblait être un progrès social. Aujourd'hui, je ne sais plus trop. Je crains qu'une fois de plus l'opinion n'adhère pas. Car à quoi adhère-t-elle maintenant ?

Anonyme a dit…

Emmanuel,
La question est simple. Le revenu universel est-il un revenu ou une prestation sociale ?
Le revenu implique une activité. Par activité, imaginons qu'une personne puisse faire du bénévolat et percevoir ce revenu. Dans quelle limite acceptons nous la possibilité, pour une large part de la population, de ne pouvoir s'élever socialement ?
Le revenu universel revient à valider la fin du plein emploi (ou sa recherche), d'une part, et donc, la fin de l'égalité des chances (grosso modo), de pouvoir s'élever dans la société. Ce n'est ni plus ni moins, qu'un pis-aller, et donc la fin d'un système.
Laurent

R a dit…

Le RMU, progrès social ?
Si toute peine mérite salaire, en corollaire, tout salaire doit correspondre à un travail.
Le chemin à trouver est du côté du partage du travail et de la répartition des plus-values.
Il vaudrait mieux éviter de se leurrer.

Philippe a dit…

" revenu minimum universel"
tout cela est vague ! Il faudrait entrer dans les détails ………….
Son niveau ?
Permettra-t-il d'avoir une vie autonome, appart, nourriture, un confort ????
Un petit appart c'est 500 euros par mois, on dit que le loyer ne doit pas dépasser le tiers des revenus ce qui porterait ce " revenu minimum universel" à 1500 euros par mois !!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Son financement ?
Par qui ? La France ne dispose pas de richesses naturelles comme certains pays pétroliers permettant de financer des oisifs en nombre
C'est beau comme utopie, mais très fumeux en ce qui concerne la pratique

bil36 a dit…

Ne vous inquiétez pas M Mousset, la destruction créatrice va jouer son rôle (cf schumpeter => on supprime des emplois peu qualifiés pour en recréer des plus qualifiés et plus confortable, si on n'avait pas fait fonctionner ce système on aurait encore des machines à vapeur et des porteurs de charbon dans les rues....), par contre combien de temps faudra -t-il pour recréer des emplois ? Les économistes parlent d'une génération...

Erwan Blesbois a dit…

Un ami à moi, qui n'ose pas s'exprimer sur ce blog me dit qu'il existe comme solution, et cela lui paraît simple, bien que son avis me paraisse peu argumenté : " La solution en laquelle je crois, taxe sur les transactions financières et les machines/IA pour financer le revenu universel, sinon la société capitaliste s'écroule faute de travailleurs/consommateur, c'est pourtant pas compliqué. Par contre seule la volonté politique prévaut."

Erwan Blesbois a dit…

Je lui demande à cet ami : "Pourrais-tu développer un peu plus. Que veut dire "taxe sur les machines/IA", l'IA commence tout juste à exister, et l'"IA" est un terme trop général, s'agit-il de machine passive, non vivante, non consciente, mais pourquoi parler alors d'"intelligence" et non pas de "calcul" ?
Il ajoute que le terme d'IA "C'est la terminologie utilisée, les IA actuelles sont des IA dites faibles, dédiée à un périmètre bien défini, l'IA que tu fantasmes est l'IA forte où IAG (IA généraliste), la conscience artificielle n'est absolument pas à notre porté pour le moment.
La puissance de calcul est le hardware, l'IA le software et elle est nommée "intelligence" car basée sur une technique de réseau de neurone (ça dépasse mes compétences informatiques) capable d'apprendre."
Je lui réponds :" "réseau de neurone", tu veux dire que les ordinateurs ont des neurones, c'est un scoop exceptionnel qui mérite au moins le prix nobel."
Il répond : "Simple hypothèse mais la conscience (que l'on soupçonne basée sur des phénomènes quantiques du cerveau) ne sera "virtualisable" que lorsque l'on maîtrisera l'ordinateur quantique. Pour l'instant l'informatique quantique n'en est qu'a ses balbutiement, mais Alphabet commence à montrer les muscles avec le calculateur (et pas ordinateur) quantique DWave capable de résoudre certains calculs des million de fois plus rapidement qu'un ordinateur classique. Alphago basé sur ces techniques n'a pas vaincu par la puissance mais par la ruse, de l'avis même du maître qui a été battu. On lui a d’ailleurs décerné le titre de grand maître, qui est un titre honorifique qui confine au divin pour le jeu de Go."
Je lui réponds : "Oui mais il s'agit bien d'un programme qui intègre éventuellement la ruse et l'intuition. Il n'y a rien de spontané dans cette ruse et cette intuition, elles ont été programmées."
Il me répond dans un style héraclitéen et obscur : "Elle se sont forgées (la ruse et l'intuition) au fil de l'apprentissage profond..."
Conclusion : il y a quelque chose d'un peu mystique chez ceux qui croient en l'IA, et ils se foutent je le pense de la destruction des emplois, ils sont tout à leur quête fanatique de l'"intelligence artificielle", qu'elles qu'en soient les conséquences néfastes derrière le dos des hommes "en chair et en os".

D. a dit…

Pour à 100% ! Les taxes sur le travail humain doivent s'appliquer aux machines qui font du travail à la places d'humains.
Mais ça ne résout en rien les concurrences entre états n'appliquant pas les mêmes taxes !

Philippe a dit…

Le "hic"
Comment définir le concept "machine" ?
Comment établir une hiérarchie entre les machines elles-mêmes, hiérarchie destinée à les classer pour établir la taxation de chaque catégorie ?
Comment faire adopter une classification commune mondiale ?
On n'arrive toujours pas à taxer les évasions fiscales ....