jeudi 29 janvier 2015

Pomponophobie



Ces dernières années, les phobies de toute sorte se sont développées dans la population française. A mon travail, au lycée, il y a aujourd'hui des cas de phobie scolaire, qui n'existaient pas quand j'ai commencé dans le métier. On parlait simplement de fainéantise, paresse, école buissonnière, séchage de cours : nous ne savions pas alors qu'il s'agissait de véritables maladies, de phobies. Le mal a même frappé les sommets de l'Etat, où un ministre a vu s'interrompre une belle carrière à cause de sa phobie administrative, qui l'avait conduit à ne pas remplir correctement sa déclaration fiscale.

Je vais vous faire une confidence : à mon tour, j'ai découvert en moi une phobie, que j'ai longtemps ignorée, que j'aimerais maintenant vous faire partager. Peut-être en êtes-vous aussi affectés ? Je l'appelle la pomponophobie, c'est-à-dire la phobie que provoque en moi la vue des bonnets à pompon. Ce n'est pas une plaisanterie. Rit-on de ceux qui ont la phobie des araignée, petits animaux inoffensifs et utiles, qui pourtant déclenchent chez certains de puissantes répulsions ? Moi, ce sont les bonnets à pompon que je ne supporte pas.

Or, il se trouve que la mode revient, vous l'avez remarqué, de les porter. Mes élèves en ont souvent sur leur tête, de même que beaucoup de passants dans la rue. C'est cet engouement récent qui m'a fait comprendre que le bonnet à pompon me mettait en souffrance, comme on dit aujourd'hui (le bonnet a toujours existé, mais la multiplication des pompons est récente). Dès que j'en croise un, je fais un point de fixation dessus. Ce qui n'arrange pas les choses, c'est que les pompons ont grossi au fil du temps, par rapport aux décennies passées : je me demande même si une sorte de rivalité, de concurrence ne s'est pas établie pour savoir qui aura le plus gros. Bref, je ne peux pas échapper au phénomène.

J'ai bien sûr essayé de comprendre pourquoi j'étais atteint par cette phobie, qui n'est pas complètement irrationnelle. Comme bien souvent, il faut remonter à l'enfance, au traumatisme originel, car il y en a un : ma famille, dans les années 1960-1970, me forçait à porter des bonnets à pompon, ce dont j'avais horreur. Avec ça sur la tête, je me sentais profondément ridicule, humilié. Sur le chemin de l'école, je rangeais vite fait l'infâme couvre-chef dans mon cartable. Mais j'ai dû essuyer quelques cruelles risées auprès de mes camarades de classe, qui expliquent ma présente phobie. A l'époque, il y avait pire que le bonnet à pompon : la cagoule à pompon. Je suis aussi passé par cette épreuve-là.

Mais qu'est-ce qui m'horripile tant dans le bonnet à pompon ? Je crois, à bien y réfléchir, que c'est l'inutilité de cet appendice, de cette protubérance qui prolonge sans raison, sans fonction, le bonnet. Pour tout dire, le pompon fait clown, on dirait que le bonnet est une sorte de déguisement. Ce qui d'ailleurs justifierait l'engouement actuel : notre société raffole du déguisement, j'ai déjà eu l'occasion de vous en parler dans un assez récent billet.

Ceci dit, l'explication est insuffisante : il y a pas mal de choses dans mon environnement qui ne servent à rien et qui ne suscitent en moi aucun rejet. Pour être précis, il me semble tout de même que le problème du pompon, c'est sa laideur. Car seule la beauté pourrait le sauver, lui redonner de l'estime à mes yeux. Mais ce n'est pas le cas : ces bonnets à pompon sont du plus mauvais effet, un goût de chiottes, en vérité. Certains pompons sont presque aussi volumineux que leur bonnet, contre toute harmonie et règle esthétique.

Le bonnet à pompon, dans son ostentation, a quelque chose de m'as-tu vu, de vaniteux, de prétentieux. Il se veut amusant, fun : il n'est que ridicule. Et dans le ridicule, il y a toujours un comble : ce sont les bonnets en forme d'oreilles ou de têtes d'animaux. Pire qu'un pompon, ce sont plusieurs pompons : car cette sorte de grigri prolifère, se retrouve sur les gants, les écharpes, les vêtements. Quand j'étais enfant, je rêvais qu'une paire de ciseaux m'en débarrassait, parce que je ne voulais pas passer pour un enfant. Aujourd'hui, presque tout le monde fait l'enfant et raffole de pompons. Le seul pompon que je supportais dans mes premières années, c'était celui des manèges forains, qu'il fallait arracher pour gagner un nouveau tour. Mais il ressemblait plus à une queue de cheval ou à une serpillère qu'à un vrai pompon.

Quand j'approfondis l'analyse de ma phobie, je me rends compte que j'éprouve un malaise à l'égard de n'importe quel bonnet, avec ou sans pompon. Sans doute parce que ce tissu me renvoie au skieur, au père Noël, au bonhomme de neige, au bonnet de nuit ou au bonnet de douche, c'est-à-dire à quelque chose qui ne convient pas à l'individu normal, ordinaire. De même, j'ai remarqué, vivant dans une rue bourgeoise bien que n'étant pas bourgeois moi-même, que mes voisins sortaient en chapeau ou casquette, mais jamais en bonnet. C'est que l'élégance la plus élémentaire l'interdit. Ma préférence personnelle va à la tête nue, qui est le symbole de l'homme libre.

Vous m'objecterez peut-être que le bonnet se justifie par le froid, pour s'en protéger. Mais justement non ! Sous nos latitudes, les températures ne sont pas suffisamment basses pour qu'elles nécessitent l'usage du bonnet, sauf chez les chauves et les personnes âgées. On peut légitimement se moquer de ma phobie ; mais je peux moi aussi, à bon droit, ironiser sur la psychose contemporaine autour du froid, épisode neigeux, séquence glaciale ou hiver polaire, qui sont de véritables névroses collectives. Je me souviens avoir rédigé un billet, il y a deux ou trois ans, pour dénoncer la mode sibérienne de la chapka, qui a certes plus d'allure que le bonnet à pompon, mais qui ne vaut guère mieux.

Comment puis-je vivre avec une telle phobie ? Disons que je survis. J'aurais bien, politiquement, une mesure législative à proposer : qu'on interdise le port du bonnet à pompon comme on a interdit le port du voile. Ce serait un premier pas, en attendant que les consciences s'en affranchissent d'elles-mêmes, qu'elles rangent leur stupide bonnet dans la malle à jouets de leur enfance. Mais ce serait probablement aller un peu loin dans mon aversion.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous ne devez vraiment pas avoir grand chose à dire pour parler d'un tel sujet. Parfois le silence vaut mieux que mille mots.

Emmanuel Mousset a dit…

Détrompez-vous, ce genre de billet décalé m'est beaucoup plus cher qu'une analyse politique mille fois reprise.

Anonyme a dit…

Je lis actuellement vos premiers billets et je doit vous avouez que même si cela ne doit pas tellement vous faire rire, moi ça m'a un peu amusez ^^ Je tacherais à l'avenir de ne pas en mettre en votre présence !