mercredi 7 janvier 2015

Houellebecq partout



Il est réjouissant de voir que l'un des plus grands écrivains français contemporains, peut-être le plus grand, soit à la une des médias depuis quelques jours, alimente les conversations. Quel autre pays est capable, a envie de créer un événement littéraire de cette envergure ? Je n'en vois pas. Mais il est aussi inquiétant de constater, une fois de plus, qu'un ouvrage provoque des réactions moralisatrices, parce qu'il est pris seulement au premier degré, en son sens littéral et pas littéraire. Ce qui fait pourtant la richesse et la raison d'être de la littérature, et de l'écriture en général, c'est la multitude des degrés, qui laisse une entière liberté d'interprétation (donc d'intelligence) aux lecteurs.

Nous vivons une époque de greffiers (d'où le recours pavlovien aux tribunaux) : les propos sont pris au pied de la lettre, comme les Témoins de Jéhova lisent la Bible. Houellebecq en est lui aussi la victime. C'est inquiétant parce que c'est une négation de l'art et de l'artiste, dont la liberté doit être absolue. La discussion et la critique, oui, et l'oeuvre de Houellebecq y pousse avec bonheur. Mais la remontrance et la condamnation, non.

Je n'ai bien sûr pas encore acheté ni lu "Soumission". Mais les médias nous en parlent comme si son contenu était bien connu : c'est formidable, c'est involontairement houellebecquien ! Ce que je comprends, parce que j'ai lu à peu près tous ses autres bouquins, c'est que Houellebecq met en scène, à nouveau, les fantasmes contemporains. Dans une société sécularisée, déchristianisée, matérialiste et petite-bourgeoise ("classes moyennes", dans le langage d'aujourd'hui), le fantasme absolu, qui intrigue, attire et effraie, ce n'est plus le cul, c'est la religion. La seule qui fasse parler d'elle, qui provoque, qui aille jusqu'au bout d'elle-même, qui nous interroge, c'est l'Islam. Voyez comment un simple bout de tissu, un voile sur la tête, a pu susciter en France des débats idiots, imaginaires et trouillards. Le fantasme musulman est nourri par un autre fantasme, d'extrême droite (Le Pen à l'Elysée !). En ce moment, la France est pris dans ce double trip, bad trip évidemment. C'est ce dont rend compte Michel Houellebecq, à sa façon d'écrivain, dans son dernier roman, dont bien sûr je vous reparlerai après lecture.

Un dernier mot : je suis content que "Soumission" nous fasse redécouvrir une oeuvre et un personnage méconnus, Huysmans, modèle de l'écrivain catholique converti du XIXe siècle. Par la même occasion, nous pourrions relire, avec plus de profit à mon avis, Barbey d'Aurevilly, de la même trempe mais quand même un peu supérieur. Surtout, hors-catégorie, meilleur d'entre les meilleurs, il faut vous précipiter sur les ouvrages de Léon Bloy, d'abord ami avec Huysmans, puis ennemi (mais Bloy était souvent comme ça, intransigeant, fanatique, islamiste de son temps, version chrétienne et littéraire). En revanche, Bloy a gardé jusqu'à la fin de sa vie sa fidélité à Barbey. Pendant que j'y suis, je vous signale que le dernier ouvrage de Bloy, "Dans les Ténèbres", a été publié en septembre dernier, chez Jérôme Millon (à ma connaissance, il était introuvable jusqu'à présent). C'est une série de réflexions, un vrai petit bijou, écrit en 1917 : le monde était en guerre et Bloy allait mourir. J'arrête là pour aujourd'hui : il y a tant à dire et tant à lire !

5 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Vraiment ton billet sur la trouille fantasmatique face à l'islam ne pouvait pas plus mal tomber.

Emmanuel Mousset a dit…

Si tu fais l'amalgame entre le port du voile et l'attentat terroriste, c'est toi qui tombes très mal.

Erwan Blesbois a dit…

La population musulmane est une population que je connais assez bien, en ayant enseigné pendant 15 ans dans le 9-3, et que j'ai quitté avec grand soulagement. Je ne suis pas un petit bobo planqué moi, j'ai vu ce dont la jeunesse de ces quartiers est capable, par désespoir certes, mais quand même capable. J'ai vu que la misère la plus sordide peut faire jaillir une haine implacable. J'ai été marqué par cette haine : fin du témoignage; Après on verra les événements qui vont suivre, ce n'est pas une blague c'est bien réel. Tout cela certainement par bêtise de nos dirigeants, dont la première erreur est de les parquer dans des ghettos, et dont la seconde erreur est de ne pas ouvrir les yeux sur le problème : ce que dénonce d'ailleurs Houellebecq, mais qui s'en sort par une pirouette optimiste et malheureusement peu crédible.

Emmanuel Mousset a dit…

Ton témoignage ne t'autorise pas à sous-entendre qu'il y aurait un lien entre la "haine" dont tu parles (que je ne pense pas être général) et les assassinats d'aujourd'hui. La ritournelle sur le "petit bobo planqué" trahit ton embarras et ta faiblesse.

Erwan Blesbois a dit…

Moi je suis un homme et je sais reconnaître mes faiblesses. Si il y a bien une idée de Nietzsche que je trouve absurde et dangereuse c'est celle du "surhomme", que l'on retrouve d'ailleurs dans le fanatisme religieux. Des homme qui croient agir au nom de dieu et se sentent invulnérables, dans une moindre mesure des homme qui croient que leurs idées vaillent la peine que l'on meurt pour elles. Même si je sais que dans la notion de surhomme Nietzsche ne parlait pas du tout de ça mais du processus de création. Il aura été mal interprété par les nazis. Tout comme les fanatiques musulmans interprètent mal le coran.