samedi 7 février 2015

Comme des grands



Notre société a longtemps célébré l'enfant roi. Aucune civilisation avant la nôtre n'avait mis ce petit sauvage sur un trône. Drôle d'idée, d'ailleurs : faire d'un braillard un ange. Sigmund Freud a beau eu le qualifier de "pervers polymorphe", rien n'a changé : on a mis aux pieds des enfants des tonnes de trésors. Un tyran domestique, égoïste, exhibitionniste, a été transformé en innocent, pur de toute faute, adorable de toutes les façons. Cet excès devait se payer un jour ou l'autre. Cette absurdité ne pouvait que provoquer une absurdité.

C'est fait. Deux enfants, 8 ans et 10 ans, ont été conduits au commissariat, interrogés par des policiers, comme des grands. Leur infraction ? Apologie du terrorisme, soutien moral à une entreprise criminelle, sympathies meurtrières, soupçon de fanatisme : ils ont déclaré n'être pas Charlie, soutenir les assassins, comprendre leur acte, imputer au journal satirique la responsabilité du massacre, défendre leur Dieu bafoué (je le dis en langage et en pensée d'adulte, mais c'est à peu près ça). Bref, ces deux charmants bambins sont de la graine de djihadistes ! Voilà comment réagit et se comporte une société lorsqu'elle prend ses petits pour des grands.

Autrefois, la même affaire se serait réglée avec une claque dans la gueule ou un cul de pied au cul (je ne dis pas que ç'aurait été bien, mais les choses se seraient passées ainsi). On n'aurait pas fait appel aux forces de l'ordre, des propos de gamins ne seraient pas devenus un scandale national, une information télévisée répétée en boucle. Quand les enfants sont pris au sérieux, on assiste à ce genre d'incident, dont on a beau jeu de s'offusquer, nous qui sommes fautifs de cette situation. Avec un peu de bon sens, on sait qu'un enfant dit souvent n'importe quoi, qu'il fabule, qu'il n'a pas le même rapport au langage qu'un adulte, qu'il fait le singe ou le perroquet, imitant ou répétant ce qu'il entend autour de lui. L'enfant est fondamentalement un irresponsable et un inconscient. C'est pourquoi on ne le convoque pas à la police ou on ne le défère pas devant un juge. L'aurait-on oublié ?

Même naïveté, même stupidité de notre société avec les adolescents. Il n'y a pas si longtemps, on parlait avec sagesse et expérience d' "âge bête". La vérité, c'est que nos ados sont souvent des p'tits cons. Ce n'est pas grave, ça leur passera. Mais papa et maman ne reconnaissent plus cette évidence, trop fiers de leur progéniture. On s'étonne alors que des boutonneux ricanent pendant la minute de silence dédiée aux victimes des récents attentats, on est choqué de les voir tenir des propos transgressifs, alors que c'est de leur âge, que ça va dans le sens de leur connerie.

C'est à leurs tuteurs, parents et éducateurs, de prendre leurs précautions, pour éviter ce type d'incidents fâcheux. Mais comment l'admettre ? Nos enfants sont tellement intelligents ! On leur met en tête des cerveaux d'adulte, des intentions d'adulte. Vous connaissez la formule de Pascal : "l'homme n'est ni ange, ni bête, mais qui fait l'ange fait la bête". A force de mettre les enfants sur un piédestal et d'en faire des anges, nous les roulons maintenant par terre, nous en faisons des bêtes, des bébés djihadistes, des apprentis terroristes. C'est malin !

vendredi 6 février 2015

Le réveil républicain



De la conférence de presse de François Hollande, dont la tonalité nouvelle a été unanimement remarquée, nous pouvons extraire les contours d'une redéfinition de l'action politique (la ligne économique, elle, ne change pas, comme il fallait s'y attendre). Les événements tragiques qui ont endeuillé et mobilisé la France sont les vecteurs de ce renouvellement. J'en perçois quatre orientations :

1- L'unité nationale. Le président de la République entend la poursuivre. Mais il faut bien se comprendre : la démocratie conserve évidemment tous ses droits, les sensibilités existent et demeureront, le débat entre elles est le sel et le nerf de la République, notamment sur les questions économiques et sociales. Sauf que de nombreux sujets pourraient faire preuve de consensus. D'autant que les bagarres politiques sont beaucoup moins appréciées aujourd'hui qu'autrefois : on y voit plus des luttes personnelles pour le pouvoir que des affrontements idéologiques, ce qui n'est pas faux.

Dans ces conditions, l'unité nationale ne doit pas être une rengaine électoraliste, toute théorique, mais un exercice pratique de compromis. Le nouveau projet de loi sur la fin de vie, rédigé conjointement par un député socialiste et un député UMP, est un exemple à suivre. Sur le mariage homosexuel ou la réforme des rythmes scolaires, je crois qu'un travail parlementaire de fond, très ouvert, aurait sans doute permis un accord entre les deux partis de gouvernement, au lieu des déchirements et des querelles byzantines auxquels nous avons tristement assisté. De ce point de vue, le travail des Assemblées est à revaloriser. Nos concitoyens auront un peu plus de respect envers la classe politique lorsque celle-ci aura démontré l'efficacité d'un travail commun sur certains points.

2- La participation des citoyens. François Hollande a compris que la mobilisation de masse du 11 janvier n'était pas politique ou partisane, mais citoyenne et populaire. A sa suite, il convient maintenant de se demander comment la démocratie peut rénover ses mécanismes de consultation des citoyens. L'interrogation date d'il y a déjà quelques années, mais elle est devenue cruciale. Les partis politique concourent à l'expression du suffrage universel, mais ils n'en sont pas l'alpha et l'oméga. Repliés sur des appareils isolés de la population, désertés par leurs adhérents, ils doivent laisser sa place à d'autres modes d'intervention dans la vie publique.

3- Les valeurs de la République. Le chef de l'Etat y a longuement insisté hier. Naguère, ce n'était qu'un exercice de style, un passage obligé, une pure rhétorique : en République, on défend les valeurs de la République. Aujourd'hui, ce n'est plus un discours de circonstances, mais une véritable pédagogie à quoi il faut se livrer : la laïcité est mal comprise, la liberté est confondue avec le laxisme, l'égalité est contestée et la fraternité est le plus souvent ignorée. L'extrême droite a troublé le jeu, déplacé les repères, perverti le sens politique commun, à tel point qu'on en vient à se demander si le Front national est républicain ou pas, alors que la réponse est manifestement non. François Hollande l'a énoncé très clairement : le FN est dans la République, mais pas de la République. Aujourd'hui, le danger est aux portes : l'extrême droite, comme le nazisme à son époque, pourrait légalement s'emparer du pouvoir, après avoir manipulé et égaré le peuple. Plus que jamais, il faut parler de la République et de ses valeurs, sur un ton offensif.

4- La responsabilité politique. Il faut redonner à la politique son lustre, sa noblesse, en refaire une activité de qualité, et plus un refuge de démagogues, d'opportunistes et de suiveurs (ils ne disparaitront pas, ils sont de tous temps ; mais il ne faut plus les pousser aux avant-postes). Si l'on compare à ce qu'était la classe politique d'il y a une quarantaine d'années, la baisse de niveau est évidente, à tous les échelons de la République. Quand les représentants du peuple ne sont plus respectés du peuple (qui se déplace de moins en moins pour les élire), c'est que quelque chose de grave ne va plus.

La solution me semble être dans la responsabilisation, dont François Hollande a de nouveau hier donné un exemple remarquable : s'il ne réussit pas à faire baisser le chômage (ce pour quoi il a été élu), il ne se représentera pas. Je n'ai jamais entendu, en France, un président de la République prendre un tel engagement, qui est pourtant dans l'ordre des choses : quand on échoue, on ne recommence pas, on laisse la place à d'autres. Il existe une sale mentalité française, qui consiste à se présenter à tout et à n'importe quoi, à continuer y compris quand on a raté et qu'on a été disqualifié, à revenir dans la vie publique après avoir fait des adieux définitifs. Ce n'est pas acceptable, et ce n'est plus accepté par les Français.

La politique doit redevenir une activité sérieuse, grave, digne, qui repose sur des convictions et des hauteurs de vue. Sinon, gare au proche avenir ! François Hollande a ouvert le chantier de cette modernisation. Il n'est sans doute pas le seul, il ne peut pas être le seul. A gauche comme à droite, il faut sonner le rappel de ce réveil républicain.

jeudi 5 février 2015

L'esprit du 11 janvier



J'ai pu regarder toute la conférence de François Hollande. Ses adversaires auront trouvé des choses à redire, ses partisans, dont je suis, auront intégralement applaudie. Que dire d'autres ? En deux heures, tant de sujets sont évoqués qu'il est difficile d'en faire une synthèse. En ce qui me concerne, je retiendrais surtout un état d'esprit : le chef de l'Etat s'est largement inspiré, dans de nombreuses réponses, de ce fameux esprit du 11 janvier, après la semaine tragique. Ce n'était pas évident : une vulgaire récupération aurait été malvenue. Mais récupère-t-on un état d'esprit qui a dépassé les clivages habituels ? Je pense que non. En tout cas, le chef de l'Etat a bien marqué qu'il y avait un avant et un après, que la France atteinte en plein coeur avait su se mobiliser, réagir et se montrer exemplaire devant le monde entier.

L'esprit du 11 janvier, ce n'est pas la gauche, ni la droite : c'est la République. François Hollande a décliné ce thème tout au long de son intervention. Et je crois que c'est très juste. Au dessus des partis, quelque chose d'essentiel nous rassemble : la liberté, l'égalité, la fraternité, qui ne sont pas d'un camp ou d'un autre. Nous avons manifesté le 11 janvier pour dire que chacun était libre de s'exprimer comme il l'entendait. Nous avons manifesté aussi pour rappeler l'égalité entre tous les citoyens, quelle que soit leur religion (ou leur absence de religion). Nous avons enfin manifesté pour la fraternité, ce sentiment d'appartenance à une société, la France, la République, qui se lève unanimement lorsque ses valeurs sont bafouées par des fanatiques.

L'événement de ce début d'année aura marqué la France, mais aussi le président de la République, qui a reconnu avoir changé à la suite de ce qui s'est passé. Une sorte de gravité désormais l'anime. Non qu'elle ait été absente auparavant, mais les tragiques circonstances l'ont renforcée. Le chef de l'Etat est encore plus chef d'Etat. Un autre indice le confirme : la place prise, durant sa conférence de presse, par la politique internationale. On oublie trop souvent qu'un président de la République est aussi élu pour intervenir dans les affaires du monde, en Ukraine cet après-midi, en Russie demain. Pendant longtemps, les "affaires étrangères", comme on les appelait, ne concernaient guère les citoyens, quand la France vivait en grand partie à l'intérieur de ses frontières. Mais à l'heure de la mondialisation et de la construction européenne, le monde nous intéresse tout autant que la nation. Notre vie la plus quotidienne dépend de l'état du monde. N'est-ce pas aussi ce que nous fait comprendre l'esprit du 11 janvier, dont la manifestation a eu un impact planétaire ?

mercredi 4 février 2015

Monstrueuse gauche FN



La première fois que j'ai vu Jean-Marie Le Pen, à la télévision, c'était il y a 41 ans exactement, lors des élections présidentielles où il était (déjà) candidat : bandeau de pirate sur l'oeil, mâchoire de para d'Indo, voix tonitruante mussolinienne, discours d'extrême droite, gueule de facho incontestable. Je me disais que la République était bonne fille d'accepter un anti-républicain évident dans la course à l'investiture suprême. C'était l'époque où nous ignorions la discussion byzantine sur la nature républicaine ou non du Front : ce parti était un ramassis de fachos, son chef le portait sur sa tête. 41 ans après, je n'ai pas changé d'avis. Mais pourquoi tant d'autres ont-ils changé d'avis, acceptent-ils le FN sur les fonds baptismaux de la démocratie, votent-ils désormais pour la bouffonne néo-fasciste, parfaite fille de son père ?

Il y a 41 ans, à la présidentielle de 1974, Le Pen faisait 1%. Même les gens de droite les plus à droite, les plus réacs n'osaient pas voter pour l'arrogant facho. Qu'est-ce qui s'est passé en France, en moins d'un demi-siècle, pour que l'évidence ne soit plus admise ? Ce n'est pas le nouveau discours social du FN qui peut tromper l'électeur, permettre une forme d'exutoire à ceux qui sont en souffrance : déjà, il y a 41 ans, cette tonalité anticapitaliste existait dans les rangs du FN, et elle est fondatrice des différences fascismes et du nazisme : reprendre des thèmes de gauche pour les transplanter à l'extrême droite. L'explication n'est donc pas là.

On m'aurait dit, il y a 41 ans, que ce petit gang d'extrême droite deviendrait le premier parti de France le temps d'une élection, que la fille du chef ferait figure de présidentiable, j'aurais éclaté de rire, crié à l'absurdité et à la folie. Et si l'on avait ajouté qu'une part non négligeable de l'électorat de gauche se retrouverait dans les discours du facho, j'aurais tout de suite conclu à l'imbécilité du propos. Mais l'imbécile, 41 ans après, c'est moi : il y a désormais en France, depuis quelques années déjà, confirmée ce dimanche lors du premier tour de la législative partielle dans le Doubs, une absurde, contradictoire et monstrueuse gauche FN, qu'il faut bien tenter d'imaginer, tant il est vrai qu'on n'imagine pas l'eau se mêler au feu ou la carpe s'accoupler au lapin.

A Saint-Quentin, nous avons la chance, ou plutôt le malheur d'avoir un spécimen de cette gauche FN, que nous pouvons donc étudier in vivo,, pister sa mutation idéologique, examiner de près sa monstruosité. Comme ses propos sont rendus publics sur un blog depuis bientôt 10 ans, l'analyse est facilitée. Il s'agit de Jean-Claude Le Garrec, qui se pose la question, dans le titre de son billet du 30 janvier, "pourrai-je voter FN ?" et qui répond par l'affirmative dans les dernières lignes. Intéressons-nous d'un peu plus près à ce cas révélateur d'une pathologie politique, être de gauche et voter FN.

Assurons-nous d'abord du personnage (je répète que tout ce que je vais en dire a été rendu public par lui sur son blog). Depuis 30 ans, il votait socialiste, c'est lui qui l'affirme. Culturellement, Jean-Claude Le Garrec affiche à l'évidence un profil de gauche. Dans les années 1960-1970, quand la mode est aux voyages et aux hippies, notre homme se fait globe-trotter. Dans les années 80, à la suite de l'élection de François Mitterrand, il participe activement au mouvement des radios libres sur Saint-Quentin. C'est aussi un fin connaisseur du jazz, musique progressiste s'il en est. Electeur socialiste, il franchit comme beaucoup la barrière de l'adhésion au PS en 2007, séduit par la campagne présidentielle de Ségolène Royal. Sur son blog ouvert en 2006, il se présente comme un écologiste modéré. Bref, l'homme de gauche complet, insoupçonnable.

Jean-Claude Le Garrec a commencé à mal tourner quand il s'est fait exclure du PS, en 2008. Il n'a probablement pas su surmonter cette blessure narcissique. De là à envisager de voter FN, il y a un gouffre, pourtant franchi dans les années qui vont suivre. Les défenses immunitaires se sont relâchées. Pourtant, après le court épisode socialiste, Le Garrec a été attiré par la gauche radicale, le vote Mélenchon, tout en affichant localement sa préférence pour Xavier Bertrand. Dans le fumier des incohérences poussent parfois des plantes vénéneuses. J'avais remarqué, depuis un certain temps, que quelques billets étaient sans tendresse pour les "assistés", les femmes voilées, les immigrés qui ont beaucoup d'enfants. Mais nous étions encore dans le non dit, le refoulé qui devait finir un jour par éclater.

On ne peut pas non plus justifier la tentation FN de Jean-Claude Le Garrec par sa détresse sociale : il verse régulièrement une larme sur sa petite retraite et ses gros impôts, mais ce n'est tout de même pas un misérable, simplement un petit-bourgeois de la classe moyenne, comme il en existe des millions. Alors quoi ? Laissons-lui la parole, qui a le mérite d'être limpide, au terme de son mémorable billet du 30 janvier, son coming out frontiste :

" Pourrai-je voter FN ? (...) Oui, sans aucun scrupule, ce ne serait pas un vote d'adhésion mais un vote anti-système, contre les partis qui, depuis 30 ans, ont toujours échoué et surtout contre le PS qui a renié les valeurs de la gauche".

Voilà, tout est dit. A moi maintenant de commenter :

- "sans aucun scrupule" : la nécessité d'apporter cette précision qui ne s'imposait pas prouve que le scrupule a dû exister en lui, le faire hésiter, en vieil homme de gauche qu'il est. On le comprend aisément. Rallier ce qu'on a toute sa vie rejeté ne va pas sans une forme de réticence morale.

- "pas un vote d'adhésion mais un vote anti-système" : oh le bel hypocrite ! Il y a des putains qui se cachent derrière des certificats de virginité. Le Garrec s'apprête à voter FN, mais ne vous inquiétez pas, il n'en partage pas les idées ! J'aurais plus de sympathie pour lui s'il assumait au moins ses choix politiques avec courage. Tout vote, quel qu'il soit, est un vote d'adhésion. Prétendre qu'on vote contre, mais pas pour, c'est une lâcheté.

- "les partis qui, depuis 30 ans, ont toujours échoué" : comme si rien ne s'était fait en politique depuis une trentaine d'années ! Comme si les gouvernements, de droite ou de gauche, n'avaient jamais obtenu aucun résultat ! C'est une vision de fanatique. Même en admettant ce point de vue, pourquoi Jean-Claude Le Garrec, qui est "anti-système", ne vote-t-il pas à l'extrême gauche, qui est beaucoup plus "anti-système" que l'extrême droite ? C'est sans doute que quelque chose le chatouille et l'excite dans les discours de Le Pen ...

- "contre le PS qui a renié les valeurs de la gauche" : ce jugement se discute. Je dirais plutôt que le PS est passé d'un socialisme traditionnel, antilibéral, à la social-démocratie, qui ne conteste pas l'économie de marché. Une évolution (à mes yeux bénéfique et fidèle aux valeurs fondatrices de la gauche) peut-elle être confondue avec un "reniement" ? En tout cas, Le Garrec sait de quoi il parle : quand on a été toute sa vie un homme de gauche, songer à voter FN, c'est le plus bel exemple de reniement que je connaisse.

A Jean-Claude, mon ex-camarade, pour ne pas finir sur une note pessimiste et désespérée, je ferais remarquer qu'il s'exprime au futur et au conditionnel pour nous parler de son vote monstrueux. Rien n'est donc perdu, il peut encore changer d'avis. Je ne lui demande pas de voter PS, je comprends son rejet. Qu'il choisisse qui il veut, sauf le FN. Car vieillir en facho, ce n'est pas très beau.

mardi 3 février 2015

Je suis Balligand



Je cède à la mode du "je suis ...", lancée après le tragique attentat contre Charlie Hebdo, et mis aujourd'hui à un peu toutes les sauces, y compris la mienne. "Je suis ...", c'est le bon vieux procédé d'identification. Il faut bien être quelque chose, surtout en politique : avoir un modèle, une référence. Quant à être soi-même, ce n'est pas donné à tout le monde : encore faut-il être quelqu'un ... Autour de moi, je n'ai guère le choix. Les gens de droite peuvent jeter leur dévolu sur Pierre André et d'abord Xavier Bertrand. Mon objet d'admiration, déjà ancien, l'homme politique que j'aurais voulu être (il est trop tard ?), c'est Jean-Pierre Balligand.

Cette fidélité, je dois me dépêcher de l'assumer, car Jean-Pierre Balligand ne sera plus Jean-Pierre Balligand dans quelques semaines : en mars, il terminera son dernier mandat politique, conseiller général. Il redeviendra un homme normal, menant une vie privée. Si je suis Balligand et qu'il m'est donné l'occasion de le rappeler, c'est à la lecture d'un grand entretien à L'Aisne nouvelle du 26 janvier, où je retrouve mon Balligand tout craché, son langage de vérité, ses idées d'avenir, qui nous changent tellement du discours d'appareil, de la resucée idéologique. Balligand, c'est 35 ans de vie politique, toujours élu et réélu, jamais battu : rien que ça, ça vous en bouche un coin. Maire, député, président du Conseil général : dans l'armée, il serait général, ne lui manquant plus que le bâton de maréchal, ministre ou secrétaire d'Etat. Mais Balligand est homme à pouvoir vivre sans ça.

Je me reconnais parfaitement dans ses analyses et propositions. La société française, il la trouve mortifère, sclérosée, frileuse et plaintive, ce sont ses mots, et il a raison. Le discrédit, dans l'opinion, de la classe politique, qu'il connait bien, dont il a fait longtemps partie, l'épouvante. Son dada, en bon strauss-kahnien qu'il a été un temps, à l'époque de nos fréquentations, c'est l'économie. Comme moi, il a milité en faveur d'un troisième aéroport international, qui aurait relancé l'activité de la région. Mais nos décideurs locaux sont prudents, timorés, conservateurs, y compris à gauche : le projet n'a pas eu le soutien qu'il méritait, l'ambition s'est arrêtée faute d'ambitieux. Triste et révélateur épisode.

Jean-Pierre Balligand a des rêves de réindustrialisation, dans un pays qui tient surtout à son petit confort environnemental. Qu'il est difficile d'être grand parmi les petits ! L'ancien maire de Vervins regrette que les équipes municipales intègrent si peu les acteurs économiques (à gauche, y'a du boulot). Il n'hésite pas à secouer ces élus locaux qui interviennent après la bataille : "ça ne sert à rien de mettre une écharpe pour aller manifester quand une usine est fermée. C'est avant qu'il faut se bouger les fesses !" C'est bien vu. Mais qui d'autres que Balligand peuvent se permettre un langage aussi dru ?

La nouvelle grande région Nord-Picardie, il demande que le département s'y engage à fond : "il ne faut pas, dans l'Aisne, comme d'habitude, être en retard d'une guerre" (sinon, c'est Xavier Bertrand, récent candidat aux régionales, qui va rafler la mise, mais ça, c'est moi qui l'ajoute). Le Conseil général de l'Aisne, Balligand le voit rester à gauche à l'issue des cantonales. Saint-Quentin, il lui attribue un destin universitaire, par l'implantation d'antennes de grandes écoles. Il souhaite que la plus grande ville du département soit puissante, afin de dynamiser tout le nord de l'Aisne.

Jean-Pierre Balligand achève l'entretien sur une étrange confidence : "la vie d'élu, c'est une catastrophe" (pour la vie privée, la famille). On se demande bien pourquoi il l'est resté pendant plus de 30 ans, et pourquoi tant d'autres aspirent à le devenir ! Mais voilà, c'est dit, redit et justifié : je suis Balligand. Dans une ville de l'importance de Saint-Quentin, face au terrible Xavier Bertrand, c'est un Balligand qu'il nous aurait fallu. Un jour peut-être ...

lundi 2 février 2015

Voter républicain



Nous saurons demain soir quelle consigne de vote donnera l'UMP pour le second tour de l'élection législative partielle dans le Doubs. Nicolas Sarkozy, qui en est le patron, se grandirait en appelant à faire barrage à la candidate d'extrême droite. Ce ne sera pas voter socialiste, mais voter républicain. A l'heure où le FN est devenu le premier parti de France (momentanément j'espère), il y a urgence. Socialiste, j'ai voté deux fois à droite dans ma vie, dans des seconds tours, lors d'une présidentielle et d'une cantonale, à chaque fois pour faire barrage au Front national. Pourtant, celui-ci avait peu de chance de l'emporter, et j'aurais pu me réfugier dans une tranquille abstention. Mais non : on ne transige pas avec les principes ; aucune voix ne doit encourager, même indirectement, le vote d'extrême droite.

Je ne parle pas de front républicain, c'est une expression trop lyrique, trop polémique, et excessive. Je demande seulement à ce qu'on défende, naturellement, les valeurs de la République, que le FN conteste. Qu'on ne me dise pas, vicieusement, que je fais ainsi le jeu du Front national, en accréditant l'idée d'une UMPS : je ne me définis jamais par rapport au slogan faux, mensonger et provocateur de l'extrême droite. Quant à vouloir laisser les électeurs libres de leur choix, c'est une belle hypocrisie et une parfaite lâcheté : un grand parti de gouvernement prend ses responsabilité et se positionne clairement. Le ni ni est une bêtise. Les consignes de vote ne suppriment d'ailleurs nullement la liberté des électeurs, qui demeure pleine et entière en République. L'UDI a rapidement pris une décision exemplaire. Espérons que l'UMP fera de même. Jouer avec le feu, surtout quand la maison commence à brûler, c'est trop grave.

De ce premier tour, on a retenu la qualification du candidat socialiste, annoncé battu. Je suis certes soulagé, mais pas non plus réjoui : le PS perd énormément de voix et l'extrême droite arrive nettement en tête dans une terre de gauche. Ce que je retiens surtout de ce scrutin, c'est qu'une gauche divisée (elle avait cinq candidats) n'est pas forcément condamnée à la défaite (l'union, bien sûr, serait préférable). Je ne crois pas trop à un effet Charlie, difficilement mesurable. En revanche, le candidat socialiste était bien implanté, affichait un bon profil et a fait une bonne campagne. A la télévision, il était éclatant que le candidat UMP était moins bon.

Nous entrons dans une vie politique où le choix des citoyens se porte plus, dans des élections de proximité, sur des personnes que sur des lignes politiques (qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore). On ne verra plus guère, maintenant, ce qui était assez fréquent autrefois : des candidats médiocres se faire élire quasi mécaniquement, portés par des vagues nationales. C'est d'ailleurs tant mieux, cela incitera les états-majors politiques à se donner des candidats de qualité, et par là même à renouveler la classe politique, qui en a bien besoin, tout parti confondu. Car l'extrême droite fait aussi son vinaigre de cette situation. En attendant, dimanche prochain, votons républicain.

dimanche 1 février 2015

Bertrand le Conquérant



Conseiller municipal, conseiller général, maire, député, ministre, Xavier Bertrand s'apprête maintenant à monter à l'assaut de la nouvelle grande région Nord-Picardie, dans cette incessante guerre de mouvement qu'est la politique, où ceux qui font du surplace sont impitoyablement éliminés. Marche ou crève, c'est la leçon. Qui n'avance pas recule. Bertrand, depuis longtemps, depuis toujours, fonce, devant ses adversaires ahuris, de gauche et de droite. On le voit même candidat là où il n'a jamais songé à se déclarer : présidence du Conseil général de l'Aisne en son temps, mairie de Paris ou de Reims plus récemment. C'est le privilège des grands : les petits pensent à leur place et exagèrent leurs ambitions, dont ils sont eux-mêmes incapables.

Bien des choses peuvent se refuser dans la vie, sauf le pouvoir, surtout s'il vous est apporté sur un plateau. Avant de gagner la bataille externe, qui aura lieu à la fin de cette année, Xavier Bertrand a gagné la bataille interne, au sein de son parti. Mieux que ça, et très fort : il a gagné l'investiture sans la réclamer, sans avoir à se battre, alors qu'on se bat généralement comme des chiffonniers pour obtenir la première place. C'est que Bertrand est un "candidat naturel", une espèce assez rare et très prisée en politique. Comme il y a une surprise du chef, il y a aussi une évidence du chef. Un leader ne se prépare pas en cuisine. Il ne s'impose même pas de lui-même : ce sont les autres qui vont le chercher, le supplier, à genoux s'il le faut, comme des vassaux devant leur suzerain. Les premiers sentent qu'ils doivent se donner un roi, s'ils veulent rester seigneur en leur terre.

Les politiques en chambre, qui feraient mieux de rester couchés, font les malins, à défaut de pouvoir faire autre chose, en prétendant que cette candidature, souhaitée par Nicolas Sarkozy, serait pour cette raison un cadeau empoisonné. Un poison comme celui-là, la gouvernance d'une région, on en redemande ! Sarkozy n'aime pas Bertrand et a dit pis que pendre de lui ? Sarkozy, comme tous les grands politiques, n'aime personne, à l'exception de lui. Il n'aime surtout pas ceux qui veulent lui ressembler et qui lui rendent ainsi un hommage involontaire. Sarkozy a besoin de tout le monde pour reconquérir le pouvoir, y compris de ceux qui s'opposent à lui. Le nord du pays, il le lui faut, et il sait que Bertrand est le meilleur pour le ravir (aux deux sens du terme). Et puis, si piège il y avait, ne croyez-vous pas que Bertrand ne serait pas assez finaud pour s'en apercevoir et ne pas s'y précipiter la tête la première ? Ce genre de réflexion est la piètre consolation de ceux qui veulent exorciser leur peur d'un adversaire redoutable, en se donnant l'unique plaisir de jouer aux intelligents.

La vérité est à l'opposé : une victoire de Xavier Bertrand conforterait largement son statut de présidentiable. On peut même dire qu'il l'inaugurerait, puisque ce statut lui est pour l'instant un peu fragile, face à ces mastodontes que sont Juppé et Fillon. Etre adoubé par le peuple d'une vieille terre de gauche, ce serait pour Bertrand très profitable, à l'aune de son destin national. Il ferait ainsi ses preuves de ramener à droite un électorat perdu. Ce serait une façon de faire en grand, dans sa dimension régionale, ce qu'il a fait en plus petit, à Saint-Quentin. Sauf qu'il lui faudra cette fois craindre un adversaire socialiste autrement plus uni et batailleur. Mais l'occasion lui est donnée, qu'il ne pouvait pas laisser passer, d'expérimenter ce gaullisme social, version Philippe Séguin, dont il se veut le continuateur. En plus, si Xavier Bertrand se retrouve face à Marine Le Pen, qui en a fait sa bête noire, il peut se présenter dans la posture avantageuse du sauveur de la République, en lui administrant une défaite. Si toutes ces raisons ne constituent pas un billet gagnant pour l'Elysée, je n'y comprends plus rien. Mais à cette grande loterie qu'est la politique, il ne faut jurer de rien.