dimanche 4 septembre 2011
Pitié pour Jacques Chirac.
La politique est un monde sans pitié, c'est une banalité de le rappeler. Il faut tuer pour réussir. La trahison est recommandée. Poignarder dans le dos évite de se faire poignarder dans le ventre. Les amis sont bien sûr plus dangereux que les ennemis. De toute façon, il n'y a en politique que des ennemis. Le combat est permanent, la victoire jamais définitive, la paix illusoire. Je ne connais pas de monde autant dépourvu de pitié que la politique.
Ne croyez pas que ma vision soit triste, tragique ou pessimiste. Elle est simplement réaliste. La politique est ainsi depuis les romains et les gaulois, et même sûrement les hommes préhistoriques. Ça ne me gêne pas plus que la pluie qui mouille ou le feu qui brûle. Il suffit de le savoir et d'être prudent, c'est tout. La jungle aussi est sans pitié pour le naïf et l'étourdi qui s'y promène.
Je vais encore plus loin : ce qui me passionne, ce qui m'excite dans la politique, c'est sa dureté, son absence de pitié. Si elle était une activité normale, pépère, sans affrontement ni coup bas, elle m'ennuierait, je m'en désintéresserais. Et puis, je me réjouis de cet incroyable progrès de civilisation qu'est la démocratie, où la violence politique n'est plus guerrière et physique, mais seulement verbale, le dernier mot revenant au peuple, à travers le suffrage universel, qui lui aussi est sans pitié.
Ceci dit, je crois que l'absence de pitié rencontre une limite : celle de l'âge et de la maladie. La politique est une démonstration de force, qui ne s'applique plus à celui qui est affaibli. Jacques Chirac est de ceux-là. Il n'est sans doute pas gravement malade, mais il approche les 80 ans, a des moments d'absence et de confusion comme il est fréquent à cet âge, sa carrière politique est derrière lui : pourquoi ne pas le laisser en paix ?
Il a des comptes à rendre ? Oui, mais le procès peut se poursuivre sans lui. L'essentiel est de condamner un système (les emplois fictifs), pas d'abord un homme, y compris ancien chef d'Etat. Je n'aime pas cette hargne à s'en prendre à lui alors qu'il n'est politiquement plus rien. Je peux avoir de l'indulgence pour la trahison, qui exige parfois un certain courage, mais pas pour la lâcheté. Pitié pour Jacques Chirac.
Je précise que cet appel à la pitié est sans charité ni mépris. Je prends ici la pitié comme un très beau sentiment qui fait nous abstenir de frapper un homme rendu vulnérable, qui ne menace plus personne. D'autant que Jacques Chirac est une sorte d'icône de ce que nous serons presque tous, si nous avons la chance d'être toujours en vie à cet âge. C'est d'ailleurs une perspective sans drame, quand on y réfléchit : la vieillesse est ainsi faite qu'on peut y vivre très bien, heureux, sans cependant rêver d'y conserver les avantages de la jeunesse.
J'ai en mémoire le premier Chirac, découvert par moi à la télévision, au début des années 70, dans un débat avec Georges Marchais. Il était fringant, nerveux, ambitieux, le cheveu gominé et plaqué, l'oeil vif, le sourire un peu carnassier. Il incarnait alors, dans ma découverte du monde politique, le "jeune loup aux dents longues", prêt à tout, suscitant mon inquiétude et mon admiration. Le temps a passé, le conquérant s'est tassé, l'ambition s'est assagie, le regard s'est adouci, le sourire est fatigué. Pitié pour le vieux loup, pitié pour Jacques Chirac.
Neuf minutes de trop.
Dominique Strauss-Kahn est donc de retour en France, depuis ce matin, en homme libre et innocent. Il aurait pu différer, tarder, ou même rester discret : mais pourquoi, quand on est libre et innocent ? A ce retour, je n'attends de Strauss absolument aucune explication, et surtout pas d'excuses : il n'a pas à se justifier de ce qu'il n'a pas commis et nous n'avons pas à connaître neuf minutes de sa vie strictement privée, puisque c'est, d'après les documents officiels, la durée de sa rencontre avec la femme de chambre du sofitel.
Neuf minutes de trop, ai-je d'abord envie de dire : enlevez ces neuf minutes et le destin de DSK aurait été différent, et probablement celui de la France aussi. Cette réflexion est hallucinante ! Qu'est-ce que c'est que neuf minutes, dans une vie constituée de plusieurs dizaines de millions de minutes ? Neuf minutes banales, sans crime ni gloire, neuf minutes comme bien des hommes et des femmes ont pu en vivre depuis qu'il existe sur cette terre des hommes et des femmes. Mais neuf minutes de trop quand on s'appelle Dominique Strauss-Kahn, et peut-être aussi, nul ne le saura jamais et c'est très bien ainsi, Nafissatou Diallo.
Cet avion qui a atterri ce matin à Roissy, c'est celui qui aurait dû atterrir le 14 ou le 15 mai, avec à son bord un futur président de la République, si ces neuf minutes maudites n'avaient pas fait basculer le sort du mauvais côté. Je pense, à l'heure de ce retour, à cette étrange théorie du battement d'ailes de papillon, à laquelle je n'ai pourtant jamais vraiment cru : il paraît qu'un simple battement d'ailes de papillon en Chine peut déclencher un ouragan en Europe ! C'est bien sûr une métaphore, mais tellement proche ici de la vérité : neuf minutes d'ébats consentis mais qui se terminent mal, et c'est l'ouragan médiatique planétaire, l'avenir politique d'un pays contrarié !
Qu'est-ce que j'attends maintenant de DSK ? Qu'il nous parle de tout, notamment de ce qu'il sait parler le mieux, d'économie, sauf de ça, de ces neuf minutes qui intéressent tellement de monde et qui ne m'intéressent pas, neuf minutes que j'aurais aimé ne pas voir exister au décompte d'une vie. Mais remarquez bien qu'il ne resterait peut-être plus grand-chose de nos existences, s'il fallait, pour chacun d'entre nous, en retrancher toutes les minutes dont nous ne voulons pas parce leurs conséquences sont insidieuses. Il faudrait arracher ses ailes au papillon, mais ce serait cruel.
samedi 3 septembre 2011
Rentrée et sortie.
La "rentrée politique" est en genre de soi, dont l'art n'est pas si simple. Un homme ou femme politique digne de ce nom doit sacrifier à ce rituel de début septembre. Les moyens sont divers : la conférence de presse, l'interview, la manifestation publique. Plus délicat mais médiatiquement payant : le coup d'éclat. Nos politiques saint-quentinois n'ont pas encore fait leur rentrée, à l'exception d'un seul : le responsable local du MoDem, Stéphane Monnoyer.
Et quelle rentrée, puisqu'il s'agit d'une sortie ! Stéphane quitte le MoDem. La surprise est totale, rien ne l'annonçait. Quelle en est la cause ? Si j'en crois le Courrier Picard du 1er septembre, notre homme politique n'a pas avalé le vote du seul élu bayrouiste au sein du conseil municipal, Paul Gironde, en faveur de Xavier Bertrand le 4 octobre 2010, à l'occasion de son élection au fauteuil de maire de Saint-Quentin. Il aura donc fallu presque un an à Stéphane Monnoyer pour réfléchir, réagir et manifester sa désapprobation. C'est un peu long, mais la décision a été incontestablement mûrement pesée.
Que va-t-il faire maintenant ? Abandonner la politique ? Non, impossible, Stéphane est un passionné : il a commencé au MPF (mouvement pour la France, de Philippe de Villiers), puis a rejoint l'UMP, enfin le MoDem. Il est sur la bonne pente : encore un peu et il fera son entrée à gauche. Je l'invite à continuer dans cette voie, ne pas s'arrêter cependant à la case PRG (parti radical de gauche, pas représenté à Saint-Quentin) mais aboutir directement dans celle du PS, et ne pas être tenté de descendre plus loin, chez les trotskistes. S'il veut adhérer, la procédure est simple : en faire la demande sur papier libre, à envoyer à l'adresse suivante, Monsieur le secrétaire de section, BP 251 02321 Saint-Quentin Cedex.
Au préalable, Stéphane Monnoyer doit surmonter une tentation qui est une illusion : préparer une liste "apolitique" en vue des prochaines élections municipales. Quelle erreur ! Quand on a la prétention de faire de la politique, on ne rêve pas à un positionnement "apolitique". En 2014, il y aura bien trois listes à Saint-Quentin, celle de l'UMP, celle du PS et une dernière qui ne sera pas celle à laquelle croit ou espère Monnoyer, mais la liste du POI, parti ouvrier indépendant (lambertiste), puisque le PS aura renoncé alors et enfin à ses alliances stériles avec l'extrême gauche. Si Stéphane veut contribuer à l'expression d'une gauche ouverte, modérée et indépendante, qu'il soit le bienvenu !
L'autre classe ouvrière.
On ne prend jamais assez garde aux médias. Il faut toujours aller à la source pour juger, ne pas se contenter de commentaires. Il y a quelques semaines, un rapport du groupe "Terra Nova", animé par Olivier Ferrand, dont je me sens politiquement proche, suscitait la polémique : la gauche, disait-on, était invitée à abandonner la classe ouvrière pour se recentrer électoralement sur les classes moyennes. J'étais évidemment chagriné, puisque je pense exactement l'inverse !
J'ai révisé mon jugement sur le travail de "Terra Nova", dont les conclusions ne sont pas du tout celles-là, après avoir regardé hier soir l'émission de juillet d'Arrêt sur images avec d'Olivier Ferrand, et écouté ce matin, heureuse coïncidence, le même Olivier au micro de Finkielkraut, sur France-Culture. Non, il n'est pas favorable à un lâchage des classes populaires au profit des bobos, mais au contraire partisan d'un rapprochement de la catégorie sociale la plus déshéritée, dont on parle assez peu, et que j'appellerai l'autre classe ouvrière.
En effet, les ouvriers d'usine sont de moins en moins nombreux, mais de plus en plus sollicités dans les discours (ceux de la gauche et extrême gauche traditionnelles) et les images (c'est par exemple Nicolas Sarkozy posant complaisamment auprès d'ouvriers d'industrie en bleus et casques). En revanche, silence sur l'autre classe ouvrière, invisible : les manutentionnaires, magasiniers, femmes de ménage, caissières, chauffeurs, chômeurs de longue durée, précaires, familles mono-parentales, jeunes de banlieues pauvres, ouvriers des services, etc. On en parle peu parce qu'elle forme en quelque sorte une non classe, désyndicalisée, peu fière de son travail fragmenté, atomisée, sans culture de luttes, sans passé historique.
Et pourtant, Ferrand explique, statistiques à l'appui, que cette autre classe ouvrière vote massivement à gauche, parce qu'elle ne peut pas vivre sans le soutien de l'Etat-providence. La classe ouvrière traditionnelle, elle, bénéficie tout de même d'acquis sociaux et de notre système de protection. Mais politiquement, inquiète quant à son avenir, elle se laisse séduire en partie par l'extrême droite ou Nicolas Sarkozy, car elle s'éloigne progressivement des valeurs de la gauche : société ouverte, internationalisme, solidarité envers les plus pauvres, libéralisme des moeurs.
Vu ainsi, je me réconcilie avec l'analyse de "Terra Nova", très pertinente. Oui, le PS ne doit pas être obnubilé par les classes moyennes, ni non plus oublier la classe ouvrière traditionnelle, sans cependant se faire d'illusion sur elle ou croire qu'elle aurait encore un destin historique. Mais nous devons nous concentrer sur les douze millions de l'autre classe ouvrière, sa face cachée, en mettant en avant les mesures pour la soutenir : augmentation des minimas sociaux, relèvement du montant du Smic et des bas salaires, titularisation des agents précaires de l'Etat, lutte en général contre le travail précaire.
vendredi 2 septembre 2011
Excusez-moi de ne pas m'excuser.
Ces derniers jours, il y a eu une petite séquence amusante entre socialistes, autour de DSK : Arnaud Montebourg a d'abord demandé à celui-ci de s'excuser auprès des français et de son parti, puis Michel Rocard s'est excusé d'avoir parlé de "maladie mentale" à propos de Strauss, enfin le collectif "les jeunes avec DSK" a prié Martine Aubry de bien vouloir s'excuser pour sa phrase sur Strauss-Kahn et les femmes.
Cette obsession de l'excuse est devenue depuis quelques années une véritable manie nationale, que je trouve profondément ridicule. S'excuser, c'est ne pas assumer, c'est trop facilement se retourner. Demander qu'on s'excuse, c'est obliger autrui, lui mettre autour du cou la corde de la faute, c'est renoncer à débattre avec l'interlocuteur. La mode de l'excuse repose sur ce qui est très répandu aujourd'hui et que je déteste : la morale et la psychologie.
Qu'est-ce qui peut expliquer cette curieuse vogue ? Je crois que nous sommes tous des bâtards du christianisme, des héritiers infidèles et ignares de cette religion. L'excuse, c'est la version profane du pardon chrétien, complètement perverti. La foi liait le pardon au péché : celui-ci était effacé par celui-là. On ne demandait pas tant pardon qu'on pardonnait, geste beaucoup plus difficile et rare, qu'on ne voit plus guère, surtout en politique.
D'autres tics du langage relèvent de ce vocabulaire chrétien dénaturé, comme dans l'emploi fréquent des mots "compassion" ou "victime". Récemment, lors des dernières élections cantonales, une camarade m'a reproché, avec des airs de fausse bonne soeur, mon manque d' "humilité", autre vertu chrétienne qu'elle prononçait presque la bouche en croix. Tu parlotes, Charlotte !
L'excuse, pour en revenir à elle, n'est admissible que pour regretter ou faire accepter des gestes dérisoires et contrariants, par exemple lorsqu'on passe devant quelqu'un ou qu'on marche par hasard sur les pieds d'une personne. Sinon, il n'y a aucune raison valable et sérieuse de s'excuser. Cette parade est une vile bouffonnerie que je fais ravaler à ceux qui la pratiquent. Ne vous excusez pas devant moi, même lorsque vous m'écrasez les pieds, regardez plutôt où vous marchez ! Et ceux qui exigent de ma part des excuses m'encouragent au contraire à leur cracher à la figure la vérité qu'ils n'aiment pas entendre. Excusez-moi de ne pas m'excuser.
François Hollande dans l'Aisne.
François Hollande sera dans l'Aisne vendredi prochain, pour une réunion publique au Familistère de Guise, à partir de 19h30. Il y aura certainement du monde. Dans la fédération, Hollande est largement majoritaire. J'aurais bien sûr préféré qu'il fasse un petit tour par Saint-Quentin, où il est venu il y a douze ans, à l'époque où j'étais secrétaire de section. Mais notre ville ne reçoit plus de leaders socialistes nationaux depuis pas mal de temps.
Avez-vous remarqué ? François Hollande ressemble de plus en plus à François Mitterrand. D'abord physiquement : il se fait jour après jour une allure, un profil et une tête de président. Ensuite dans la parole, le verbe, les accents du discours : la tonalité est mitterrandienne, jusque dans l'humour, l'ironie. Enfin, très important, il y a la démarche, ancienne, tenace, indépendante, qui est la vraie marque d'un chef.
La comparaison porte aussi sur le passé et son évolution. Hollande a été pendant dix ans à la tête du PS un peu comme Mitterrand dans les gouvernements de la IVème République, léger, manoeuvrier, inconstant. Et puis, dans la vie d'un homme politique advient une sorte de miracle : pour Mitterrand, c'est le retour à l'opposition pendant 23 ans, contre de Gaulle ; pour Hollande, le délai a été plus bref mais le socialiste s'est métamorphosé en retournant à la base et en reconquérant progressivement l'opinion, contre toute attente. Il y a cependant un point qui les distingue, Mitterrand et Hollande : l'un était distant, impérial, parfois méprisant, l'autre est sympa, jovial, toujours proche de son interlocuteur.
Entre Aubry et Hollande, il n'y a pas de différence fondamentale, mais simplement ce profil mitterrandien, ce qui fait beaucoup, réveille une certaine nostalgie, pèsera lourd dans le résultat des primaires. Pour moi, je n'ai aucun doute : François Hollande sera le candidat de la gauche à la prochaine présidentielle, grâce peut-être, et paradoxalement, au soutien de Ségolène Royal.
jeudi 1 septembre 2011
La rentrée des projets.
Rentrée scolaire, rentrée politique, ce 1er septembre est surtout pour moi la rentrée des projets, qui seront nombreux en cette année 2011-2012. Je ne veux vous parler aujourd'hui que des nouveautés. D'abord, mon livre consacré à Saint-Quentin et aux saint-quentinois devrait enfin paraître à l'automne. L'éditeur m'a conseillé de supprimer trois chapitres, pour ne pas avoir d'ennuis avec la justice. Ça promet !
Ensuite, j'ai l'intention d'implanter en ville une correspondance de l'émission sur internet "Arrêt sur images" (initialement sur France 5), consacrée à l'analyse des médias. J'ai rencontré dimanche dernier son animateur et créateur Daniel Schneidermann, à Paris, lors du traditionnel pique-nique des amis d'ASI (Arrêt Sur Images), dans les jardins de Montparnasse. L'idée : faire venir des invités de l'émission à Saint-Quentin, dans le cadre de débats ou de rencontres au sein des établissements scolaires (je pense en particulier au BTS audiovisuel du lycée Henri-Martin).
2012, ce sera aussi l'anniversaire des 300 ans de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, philosophe populaire, abordable, moderne. Je proposerai, à travers l'Aisne, des rando-philo, avec lectures d'extraits des "Rêveries du promeneur solitaire", et bien sûr des cafés-philo sur des thèmes rousseauistes.
L'Aisne n'est pas étrangère à Rousseau : son portrait peint par Maurice Quentin de La Tour, qui se trouve au musée Antoine Lécuyer, est connu dans le monde entier, illustrant la plupart des ouvrages sur le philosophe (jusque devant son tombeau, au Panthéon !). A Guise, Jean-Baptiste André Godin, le fondateur du Familistère, a nommé son fils Emile, en hommage au titre du livre de Jean-Jacques Rousseau portant sur l'éducation, dont les idées le passionnaient.
Enfin, la Ligue de l'enseignement, fédération des oeuvres laïques de l'Aisne, absorbera pas mal de mon temps. Nous participerons activement aux campagnes des élections présidentielles et législatives, non pas bien sûr en soutenant tel ou tel candidat ou parti, mais en encourageant le débat d'idées sur la société dont nous voulons. Le débat d'idées, la politique en a vraiment besoin ces temps-ci !
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