mercredi 28 juin 2017

Petites histoires de cravates



Ce qui surprenait dans les commentaires d'hier sur la rentrée parlementaire, c'était la métaphore scolaire : l'analogie avec la rentrée des classes, qui illustre une fois de plus l'infantilisation de notre vie publique. Il y avait les bons élèves (la République en Marche), les perturbateurs (la France insoumise, forcément), les paumés (le PS qui n'est plus socialiste mais Nouvelle gauche), les oubliés (que sont devenus les communistes ?) et puis bien sûr le chouchou, François de Rugy.

Les commentaires se sont longuement fixés sur une absence, celle d'un bout de tissu : la cravate des insoumis, qui ont fièrement revendiqué cet abandon quasiment révolutionnaire, en se comparant aux sans-culottes. Sauf que ceux-ci, pendant la Révolution française, risquaient leur vie et renversaient un système politique millénaire. Avec Mélenchon et ses amis, on en est encore loin. C'est oublier aussi que ce refus n'en est pas un, puisque le règlement de l'Assemblée nationale n'oblige pas au port de la cravate. Bref, on est dans l'épate.

L'incident ridicule a eu le mérite de me rappeler ma première cravate (racontez-moi la vôtre !). C'était en 1984, je travaillais dans une régie publicitaire. En fin d'année, le patron a invité ses salariés au cabaret parisien "Le Paradis Latin". J'ai compris, en discutant avec les collègues, que la cravate était conseillée. Je m'en suis achetée une, en demandant à la vendeuse de me faire le nœud, parce que je ne savais pas.

Ce qui est amusant, c'est que j'ai porté le plus longtemps la cravate, pendant des années, au travail, lorsque j'étais au plus bas de l'échelle sociale, en tant que gardien (on ne disait pas à l'époque agent de sécurité). Comme quoi associer la cravate à une distinction bourgeoise est très discutable. Devenu enseignant, j'ai opté pour la cravate les deux premières années, il y a presque 25 ans, afin d'asseoir mon autorité auprès des élèves, faire sérieux, faire adulte. Mais j'ai vite abandonné cette illusion : la cravate ne fait pas plus l'homme que l'habit ne fait le moine.

Dans la vie politique, j'ai quelques souvenirs. En 1969, le trotskiste Alain Krivine se présente à l'élection présidentielle, à la suite du mouvement de Mai. C'est un révolutionnaire pur et dur, comme on n'en voit plus aujourd'hui, même à l'extrême gauche. A votre avis, passant à la télévision, portait-il la fameuse cravate ? Oui ? Non ? Eh bien c'est ... oui ! D'où son surnom d'alors : Krikri la cravate. Sans doute avait-il à l'esprit, en un temps où la classe politique, même dans ses minorités, était cultivée, que son maître Léon Trotski était particulièrement élégant et ne négligeait pas sa tenue vestimentaire, contrairement à d'autres bolchéviques.

Autre souvenir marquant : l'émission télévisée Droit de réponse, au début des années 80, invite le très contesté Robert Hersant, patron du Figaro, droitier et grand bourgeois. Son animateur, Michel Polac, est un vieil anar qui ne met jamais de cravate à l'écran ... sauf ce jour-là. Hersant, cravaté comme il se doit, le lui fait remarquer ... et c'est gagné pour lui : Polac s'est soumis au code vestimentaire de son adversaire.

Dans mes activités publiques et associatives, j'avais remarqué, il y a quelques années, que la cravate était appréciée surtout dans les milieux populaires, comme une marque de respect. Je me souviens d'une réunion de remises de médailles sportives où l'élu du coin, chargé de présider la cérémonie, était venu sans cravate. Dans le public, il y a eu de discrètes remarques de désapprobation : "Il n'a même pas mis de cravate !" Les insoumis veulent faire peuple : ils se trompent.

Mais ces petits histoires de cravates sont fort anciennes. Tout a changé aujourd'hui. La cravate fait ringard. Le chic est de n'en pas porter. Mélenchon se croit anticonformiste : il colle au contraire à son époque. En Grèce, le Premier ministre Tsipras se distingue depuis déjà pas mal de temps par le col libre et déboutonné de ses chemises parfaitement blanches. En France, Xavier Bertrand a suivi, et Julien Dive a suivi Xavier Bertrand : pas ou peu de cravate ! Même chez des hommes de droite ! La France insoumise devra donc faire beaucoup plus d'effort pour paraître originale et rebelle.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne sais pas si la cravate est obligatoire ou pas à l'assemblée nationale mais ce dont je suis certain c'est que Mélenchon n'a pas voulu appliquer les codes de l'hémicycle, braver la réglementation comme un petit loubard de banlieue qui roule sans casque avec sa mob ou l’élève qui garde sa casquette en classe! Offrir un tel spectacle de transgression dans les médias à nos jeunes en manque de repère ce n'est pas faciliter la tache des profs et agents de police dans les banlieues qui tentent de porter la "société civilisée".Mais Mélenchon et Ruffin ne savent pas que l'éducation des jeunes commence par l'exemple des adultes et de l'élite de la République.

Erwan Blesbois a dit…

Quand j'étais ado, on disait à quelqu'un lorsqu'il faisait de l’esbroufe, frimait : "arrête ta cravate !"

Anonyme a dit…

ma première cravate, j'avais 10 ans et j'étais invité à un mariage; mes parents m'ont acheté une cravate qui tenait avec un élastique, il n' a pas tenu longtemps.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est pratique, la cravate avec un élastique. Mais savoir faire un nœud de cravate, c'est comme apprendre à lacer ses souliers : un petit geste initiatique.

CC a dit…

Bref, résumons : si quelqu'un se proclamant de droite ne porte plus de cravate, il est "in" ou "tendance" mais si c'est quelqu'un d'autre se réclamant de la gauche fait de même, il est "out" ou "ringard".
Idem pour la pilosité faciale...
Ou la couleur du veston...
Voire celle des chaussettes...?
Si c'est devenu ça la politique, chez nous, ne pas s'étonner du score des abstentions...

Emmanuel Mousset a dit…

Allez dire ça à Mélenchon et à ses copains.

Anonyme a dit…

En fait c'est surtout la cravate de notaire qui est la plus utilisée par tous d'ailleurs.