jeudi 22 juin 2017

Le gouvernement des compétents



Platon, dans son ouvrage La République, s'interroge sur la meilleure forme de gouvernement. Il passe en revue quelques possibilités : le gouvernement des sages (l'aristocratie), le gouvernement des militaires (la timocratie), le gouvernement des riches (l'oligarchie). Le philosophe aurait pu aussi citer le gouvernement des religieux (la théocratie) ou le gouvernement des anciens (la gérontocratie). Quel type de dirigeants une société doit-elle se donner ? Eternelle question de la philosophie politique !

De Platon à Macron, il n'y a qu'un pas, juste 2400 ans d'écart. Avec le remaniement d'hier, nous avons la confirmation de qui doit occuper le pouvoir, selon notre nouveau président : le gouvernement des compétents (appelons ça la méritocratie). Exemples : au ministère du Travail, une spécialiste de longue date dans ce domaine ; à l'Education nationale, un ancien recteur d'académie. A première vue, faire de la compétence le critère principal pour choisir les ministres parait une évidence, et même une banalité. Eh bien non ! Si vous prenez la liste des ministres sous la Vème République, il est impressionnant de constater que beaucoup ne connaissaient rien du ministère à la tête duquel ils étaient affectés, sans d'ailleurs que ça ne gêne le moins du monde quiconque.

Allons plus loin. Il y a eu longtemps, en France, un mépris, un déni, un rejet de la compétence en politique, pour des raisons profondes, cinq au moins :

1- La compétence a été associée à la technocratie, à la simple gestion sans âme ni convictions. L'idéal politique national, c'était l'homme cultivé, pas l'homme compétent. A gauche, François Mitterrand contre Michel Rocard. Ce n'est pas un hasard si Emmanuel Macron se réclame de ce dernier. Evidemment, pour moi, il n'y a aucune contradiction à ce qu'un homme de compétences soit aussi un homme de culture et de convictions.

2- La compétence est perçue comme antidémocratique, élitiste, sélective, inégalitaire, avec l'idée sous-jacente, apparemment républicaine, que les postes, notamment ministériels, doivent être ouverts à tout citoyen, sans que les compétences n'entrent en compte. Je récuse ce raisonnement : la compétence en politique est parfaitement démocratique et égalitaire, puisque chaque citoyen a ses compétences, qui ne sont pas les mêmes d'un individu à un autre. Tout l'art politique consiste à mettre les bonnes personnes aux bons endroits. The right man at the right place, disent les Anglais.

3- La compétence est jugée inutile, puisque c'est l'administration, les hauts fonctionnaires, les cabinets ministériels qui se chargent du travail. Conception dangereuse : en distinguant ainsi le politique et l'administratif, on vide le premier de sa responsabilité pour la transférer au second ! Bien sûr, il y a la fameuse réplique du général de Gaulle : "L'intendance suivra". Mais c'est faux : le ministre incompétent finit par suivre son administration plus que celle-ci ne suit ses avis.

4- La compétence est discréditée par une critique psychologique et morale, qui lui reproche d'être l'expression d'un orgueil, d'un sentiment de supériorité malvenu en République. C'est le soupçon contemporain qu'on porte sur les experts. Je ne sais pas si cette critique est pertinente, mais de toute façon elle n'a pas sa place en politique, où l'on ne juge que des résultats, de l'utilité, pas des intentions.

5- La compétence a mauvaise presse parce que son contraire, l'incompétence, est un véritable mode de gouvernement des hommes, qu'on pourrait rapprocher de celui de l'armée, quand elle reposait sur la conscription : vous êtes juristes ? Alors vous serez affecté aux cuisines ! Ne rions pas : dans le gouvernement de la République, on a bien mis, à une époque, un garagiste à la tête de l'Education nationale ! C'est que la politique et l'armée ont des points communs, qui ignorent ou relativisent la compétence : nécessité d'un chef, sens de la discipline, pratique de l'obéissance ... Un politique a besoin qu'on l'admire, qu'on le soutienne et qu'on le suive sans trop discuter. Jamais un compétent n'acceptera une telle soumission, une confiance aveugle. Si quelqu'un obtient un poste pour sa compétence, il ne le doit plus simplement au bon vouloir de celui qui le nomme ; il n'en fera donc qu'à sa tête, il se montrera incontrôlable. Voilà pourquoi la compétence est malvenue en politique.

Pourquoi, avec Emmanuel Macron, les choses ont-elles changé ? Pourquoi la compétence est-elle devenue la première qualité pour entrer au gouvernement (mais aussi dans le choix des candidats aux législatives) ? D'abord parce que la société a changé, qu'un peu partout on demande à ce que tel postulant pour telle activité dispose de compétences. Pourquoi la politique échapperait-elle à ce phénomène de professionnalisation ? Ensuite parce que la mystique du chef en politique a quasiment disparu. De Gaulle ou Mitterrand pouvaient se contenter de compétences économiques superficielles : ça n'entamait pas leur légitimité, leur aura. Enfin parce que l'actuel président de la République est lui-même un homme de grandes compétences, sachant donc les reconnaître et les apprécier chez les autres, sans qu'il en souffre aucun complexe.

Car on ne le dira jamais assez : les compétents sont généralement remis en cause par les incompétents, et on comprend bien pourquoi. Alors, ce gouvernement Macron-Philippe pourra toujours être taxé de gouvernement de techniciens, en quoi serait-il pire que les gouvernements de notables, d'apparatchiks et de militants, de droite comme de gauche, que nous avons connus par le passé ?

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne partage pas votre parti-pris.
Le ministre issu du sérail court le risque du copinage, des conflits d'intérêts du fait de sa précédente situation. Une ex. présidente de maison d'édition à la culture, un créateur d'une jeune pousse numérique au numérique, pire encore, une chercheuse à l'enseignement supérieur. Tout cela peut aussi annihiler les velléités de changements et privilégier une approche en circuit clôt.
Au contraire, un bon casting devrait associer une compétence personnelle donnée avec un champ de compétence transverse. Ce faisant, on pose un acte politique éclairant. De ce point de vue, Madame Goulard aux Armées était un choix qui signifiait quelque chose.
Vous voudrez bien me pardonner le sentiment, face aux choix ministériels, d'une mise sous tutelle de la société par une technostructure.

Emmanuel Mousset a dit…

Rien ne protégera jamais totalement de la corruption. Je ne crois pas au règne de la "transparence". C'est un idéal bon pour les poissons d'aquarium. La compétence est là, c'est déjà ça : je m'en satisfais, et je laisse les perfectionnistes ou les angéliques dénoncer les possibles défauts.

Anonyme a dit…

Vous êtes de mauvaise foi sur la transparence... Non seulement ce n'était pas l'esprit du commentaire, mais surtout, c'est l'esprit du Gouvernement que vous soutenez et que vous avez soutenu sous François Hollande.
Sur le fond, choisir un homme sur ses compétences ne veut pas dire le mettre sur son champ de compétences. Ce n'est pas être perfectionniste de le penser, c'est préférer la politique à l'approche technocratique. Ne vous déplaise !

Philippe a dit…

Beaucoup sont atteints de voyeurisme et parfois en même temps d'exhibitionnisme !
Il suffit de s’intéresser aux « réseaux sociaux ».
Tous les DRH dans le privé avant une embauche vont faire un tour sur ces réseaux et cela depuis qq années déjà !
Pour lutter contre certaines fraudes on croise des fichiers avec d’autres depuis plus de 20 ans. Le système des croisements a commencé avec les divorcés qui ne payaient pas leurs pensions alimentaires et dont la nouvelle adresse était retrouvée avec le numéro de sécu !
E Macron vient il y a qq minutes à Bruxelles d’expliquer aux journalistes que le terrorisme nous oblige à faire beaucoup plus dans les croisements des fichiers, y compris à l’échelle mondiale avec celui des aéroports.
Emmanuel, on n’y peut rien, les temps changent, nous sommes déjà tous des poissons en aquarium.
Dans ce cadre les politiques vont devoir être beaucoup plus vertueux (et avoir été) que nous puisqu’ils s’estiment aptes à montrer aux autres le bon chemin politique … il ne fallait pas se présenter vont dire les méchants très très nombreux … !
On ne reviendra pas à l’époque antérieure.
Les compétences pèseront de moins en moins lourd face à la "gestapo virtuelle".

Emmanuel Mousset a dit…

Si on choisit quelqu'un pour ses compétences mais pour ne pas le mettre sur son champ de compétence, c'est absurde. Ce n'est évidemment pas ce que fait Macron.

Anonyme a dit…

Mise à part votre passion pour lui,je ne trouve strictement aucun argument justifiant les immenses qualités supposées du Macron.C est plutôt décevant jusqu'alors.Et méfiez vous de blanquer qui pourrait égratigner votre statut,annualisation du temps de travail par ex

Philippe a dit…

Macron fera ce que l'absurdité de ce monde lui dictera ... s'il ne désire pas être "dégagé".
Il faudra qu'il vire au fur et à mesure les éthiquement douteux peu importe qu'ils soient ou non compétents.
Toutefois dans ce gouvernement surtout énarchique la compétence technique reste très discutable !
Nous risquons d'assister pour l'heure et comme d'habitude à l'application du Principe de Peter.
Je me demande comment les pays qui n'ont pas d'ENA existent encore !
Menfin comme on dit dans le pays de Caux ... on voira !