dimanche 11 juin 2017

Le Dernier des Mohicans



Dimanche dernier, j'écrivais que je n'aimais pas Michel Onfray (Décadence, chez Grasset). Ce dimanche, je vous dis que j'aime beaucoup Régis Debray, dont le dernier ouvrage vient de sortir (Civilisation, chez Gallimard, NRF). Non pas tant les idées que l'homme. Un passage de Debray à la télévision (lui qui apprécie si peu ce média), c'est un régal d'intelligence. Je pourrais l'écouter et le regarder pendant des heures. Régis Debray est l'un de nos derniers intellectuels, au sens premier, ancien et fort du terme. Aujourd'hui, il n'y a plus que des essayistes, des commentateurs.

L'intellectuel est celui qui pense en parlant, qui énonce lentement ses idées, qui cherche ses mots et qui finit par trouver les plus justes : c'est cet effort-là que nous donne à voir Debray dans ses interventions publiques. Il n'essaie pas de plaire, il ne colle pas à son époque. S'exprimer correctement, penser par soi-même sont devenus rares au milieu du conformisme ambiant. Régis Debray, c'est l'intellectuel tel qu'on le rêvait et l'admirait autrefois : normalien, agrégé de philosophie, homme d'action, compagnon de Che Guevara, emprisonné, condamné à mort, libéré, conseiller du prince (François Mitterrand), ne renonçant jamais à être un esprit libre, et surtout à penser, à écrire. Non, plus personne ne correspond à cette figure-là aujourd'hui.

Et ses idées ? Elles sont éblouissantes, pertinentes mais je ne les partage pas vraiment. Je comprends son antiaméricanisme, j'ai un peu de mal à y adhérer. De fait, la civilisation américaine domine la planète : et alors ? Demain, ce sera la Chine, l'Inde ou le Brésil, comme autrefois Rome, l'Angleterre et la France ont constitué des empires, ont exercé pendant un temps une influence culturelle : et après ? Je suis allé plusieurs fois aux Etats-Unis, je préfère le McDo au bistro, je mets le cinéma américain bien au dessus du cinéma français : question de goût, tout simplement. Plein de choses me rebute, m'irrite dans la société américaine, mais l'antiaméricanisme m'a toujours semblé une impasse, une idiotie.

Comment nous sommes devenus américains : c'est le sous-titre de l'ouvrage de Régis Debray. Il défend brillamment sa thèse, il a totalement raison. Mais suffit-il d'avoir raison ? L'américanisation de nos mœurs est très ancienne, et elle ira encore en s'accélérant, dans les prochaines années et décennies. Debray fait remonter le phénomène à la Première guerre mondiale ; moi, beaucoup plus loin, en 1826, quand est paru en Europe le roman de Fenimore Cooper, Le Dernier des Mohicans, qui a connu un succès populaire fulgurant. On y raconte la fin de la civilisation indienne et le début de la civilisation américaine.

C'est la particularité de cette culture outre-atlantique : elle se vit entre décadence et conquête. Combien de temps durera-t-elle ? Je n'en sais rien, et c'est sans importance, mais je crois qu'elle a encore de beaux jours devant elle, tant on a régulièrement prédit par le passé sa disparition (qui finira par arriver !). En attendant, le Dernier des Mohicans, et si c'était lui, Régis Debray ? Je suis sûr qu'il serait fier de la comparaison.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous avez dû aller 2 fois peut être aux Etats-Unis lorsque vous étiez très jeune. Et vous en parlez très souvent.
Depuis vous n'avez plus jamais voyagé. Nulle part. C'est vous qui le dites. D'où l'incompréhension totale dont vous faites preuve.

Emmanuel Mousset a dit…

6 fois, je n'étais plus jeune, j'en parle assez peu (il n'y a pas raison), j'ai avant et après continué mes voyages. Mais il est possible que je ne comprenne rien à rien, puisque voyager n'est pas une preuve.

Anonyme a dit…

C'est quoi être jeune, ou ne plus être jeune? Effectivement vous nous racontez vos voyages: dans le Berry, à Paris, sur la côte picarde et c'est très bien. Mais vous ne voyagez pas à l'étranger depuis très longtemps..... et ça se voit.

Emmanuel Mousset a dit…

Pourquoi aller à l'étranger quand l'étranger vient à moi ?

Anonyme a dit…

Dans tous les cas où une domination chinoise, indienne s'imposerait au monde cela ne sera jamais comme celle des USA avec laquelle nous avons des affinités. De la domination brésilienne c'est pas demain la veille ni même l'avant-veille quelque soit la sympathie que je puisse avoir pour le Brésil.