vendredi 11 mars 2016

Un amour de Delépine



Pour le dernier film de Benoît Delépine et Gustave Kervern, la grande salle du CinéQuai était hier soir pleine, en présence de l'enfant du pays, le Benoît. Pas besoin de débattre après : les rires qui ont accompagné la projection rendaient le plus juste des témoignages. Il y a quand même eu des questions sur "Saint Amour". La première, de Jean-Pierre Semblat, a demandé une deuxième salve d'applaudissements, à quoi le public a bruyamment consenti. La deuxième a suggéré qu'on repasse le film : là non, bien que les images valent mieux que les interprétations, que je vais cependant tenter.

"Saint Amour", c'est un wine movie : la route des vins, par un père et son fils, Depardieu et Poelvoorde, alias Jean et Bruno, qui se cherchent, se rapprochent et se réconcilient. Dans la lignée de ce qu'ont déjà fait Delépine et Kerviel, c'est un film incarné, de chair et de corps, bêtes et humains. Le récit débute au salon de l'agriculture, que nul cinéaste n'avait jusqu'à présent osé filmer. Etonnant, tant l'endroit est un bon sujet de cinéma. Les deux réalisateurs aiment la chair sous toutes ses formes, y compris la chair des mots, en mettant autant de soin aux dialogues qu'aux images. Ainsi, Nabuchodonosor n'est plus un roi de la Bible, mais un énorme taureau. Le coup de génie, c'est que ce nom va bien à la bête, qui ne pouvait porter que celui-là. Désormais, lorsque vous l'entendrez prononcer, vous ne penserez plus aux Saintes Ecritures, mais à une montagne de chair.

Et puis, entre Nabuchodonosor et son maître Depardieu, qui est l'homme, qui est la bête ? Delépine est un cinéaste du vivant, qui abolit la séparation entre les espèces. A la fin, une jeune femme se fait littéralement inséminer, engrosser par les trois héros du récit, elle va bientôt mettre bas, comme la vache devant eux qui vient de donner naissance à son veau. Peu importe le père, la filiation : c'est la vie qu'il faut célébrer. Moche, ce petit animal sanguinolent ? comme le pense un des héros. Non, très beau, rétorque la jeune femme qui va enfanter. C'est toute la leçon du film : ce qui est laid est beau, ce qui est triste est heureux, ce qui souffre jouit (la scène de l'orgasme douloureux). Le cinéma de Delépine et Kervern, c'est la réconciliation des contraires.

Le corps humain est filmé sous toutes les coutures, souvent abîmé, toujours assumé : énorme ou fluet, repoussant ou érotique (Ovidie, la vedette du porno), émouvant ou inquiétant (le visage et le regard de Michel Houellebecq), sobre ou alcoolisé. Delépine et Kervern sont des observateurs, leur cinéma est pointilliste : ils ont l'oeil américain et l'oreille fine, saisissent et traduisent la banalité de l'existence, ses petits travers, ses idioties, comme la jeune serveuse de restaurant qui répète mécaniquement aux clients "bonne continuation" après chaque plat, et qui continue à utiliser l'expression dans sa vie. C'est stupide et c'est charmant, amusant, humain.

Une scène formidable, parmi d'autres : Gérard Depardieu et Andrea Ferréol vivent une brève aventure d'amants vieillissants et quittent le lit en se rendant compte qu'ils ont oublié quelque chose, faire l'amour ! Trop tard, ils sont déjà rhabillés. Autre trouvaille : Depardieu prolonge l'amour pour sa femme défunte dans l'au-delà, d'où vient sa voix, enregistrée sur son répondeur téléphonique, qu'il ne cesse d'appeler et d'écouter, jusqu'à ce que la messagerie soit tragiquement pleine.

Faut-il tirer un message du film ? Non, pas de message, pas de morale : rien que la vie, l'amour, l'amitié, la beauté, la souffrance, la mort et tout le reste, c'est-à-dire l'existence. Non plus de mépris ancestral et facile envers le monde paysan, péquenots, bouseux, cul-terreux. Et puis, Jean et Bruno dans le film, n'est-ce pas un tout petit peu Jean et Benoît (Delépine) dans la vie (voir vignette) ? Notons aussi l'apparition, quelques secondes, de notre regretté Raymond Défossé.

Le prochain film des deux compères ? C'est un secret, mais Benoît Delépine nous a donné une indication : Emmaus à Pau, un endroit unique en France, parait-il. Solution à l'énigme dans deux ans, à sa sortie, au CinéQuai bien entendu, toujours aussi nombreux et heureux.

1 commentaire:

Philippe a dit…

Que dire de plus et surtout mieux ... allez le voir !