jeudi 3 mars 2016

Réformistes contre réformistes



Les déchirements actuels entre socialistes autour de la réforme du Code du travail laissent croire à un conflit majeur qui opposerait une majorité réformiste à une minorité frondeuse, allant se chercher des alliés à l'extérieur du Parti, principalement à la gauche de la gauche. Mais c'est largement un trompe-l'oeil. L'aile gauche du PS a toujours existé, elle ne l'a jamais emporté. Elle mène une guerre de positions qui la conduit nécessairement à la défaite. Elle demeure une minorité agissante, parfois bruyante, plus ou moins influente mais pas gagnante. Elle se partage les restes, intervient à la marge, se rallie à l'un ou à l'autre mais n'a jamais constitué l'axe central du Parti socialiste. Elle est spectatrice d'un affrontement qui se joue en dehors et qu'elle tente d'arbitrer. Elle est un renfort ou une nuisance, une éternelle opposition, pas une majorité.

Le vrai clivage passe à l'intérieur du bloc réformiste. Il commence aujourd'hui à se dessiner entre Manuel Valls et Emmanuel Macron. C'est un affrontement d'hommes, de sensibilités et d'idées, inhérent d'ailleurs à toute vie politique, dont il ne sert à rien de se désoler. Mais c'est ce combat-là qu'il faut observer, car il est décisif et structurant, et pas la guéguerre entre réformistes et traditionnalistes, parfois surjouée et dont l'aboutissement est connu d'avance. Le conflit encore larvé entre Valls et Macron est une histoire ancienne, que le Parti a toujours éprouvé. Réformistes contre réformistes, c'est un bras de fer qui a traversé toute la Ve République, dans des configurations diverses et variées :

Années 1960 : les réformistes concurrents, Gaston Deferre et François Mitterrand. On se souvient du vainqueur François, on a aujourd'hui oublié le prétendant Gaston. Et pourtant, il a été candidat socialiste à la présidentielle de 1969 et a essayé, en vain, de l'être en 1965. Son réformisme à lui était anticommuniste. A l'époque, Mitterrand n'était pas encore socialiste, mais républicain de gauche, proche du PCF par tactique.

Années 1970 : les réformistes alliés, Michel Rocard et Pierre Mauroy, qui scellent leur amitié politique au congrès de Metz, en 1979. L'un vient du PSU, l'autre de la SFIO, deux cultures différentes, mais deux sociaux-démocrates assumés, du genre raisonnable, au moment où Mitterrand devient à la fois socialiste et marxiste, pour rattraper le temps où il n'a été ni l'un ni l'autre. Alors, le fondateur du parti d'Epinay court après les communistes, signe le Programme commun et s'allie avec l'aile gauche que représente le CERES de Chevènement. On sait comment tout cela s'est terminé.

Années 1980 : c'est la décennie Mitterrand, la gauche au pouvoir, le gouvernement qui se convertit à la rigueur. La bataille idéologique entre les réformistes passe au second plan.

Années 1990 : les réformistes adversaires, Laurent Fabius et Lionel Jospin, qui entrent progressivement dans l'après-Mitterrand, s'en disputent l'héritage, l'un proclamant son devoir de fidélité et l'autre son droit d'inventaire. Au congrès de Rennes, jamais l'affrontement entre réformistes n'aura été aussi saignant.

Années 2000 : les réformistes rivaux, Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn, qui s'affrontent lors de la primaire de 2006 pour désigner le candidat à la présidentielle. Elle est atypique, il est moderniste, tous les deux échoueront. C'est un troisième larron caché dans le bois, tirant les marrons du feu sans que personne ne le voit venir, qui s'imposera quelques années plus tard à la tête des réformistes, jusqu'à s'imposer à la tête du pays : François Hollande. Lionel Jospin, depuis 2002, a pris sa retraite politique et Laurent Fabius s'est discrédité en ralliant les adversaires du Traité constitutionnel européen en 2005, que tout bon réformiste ne pouvait que soutenir.

Années 2010 : les réformistes complémentaires, Manuel Valls et Emmanuel Macron. C'est en tout cas ce que je souhaite, sur le modèle de l'union entre Rocard et Mauroy autrefois. Leur tâche historique sera d'installer définitivement le Parti socialiste dans la social-démocratie, comme la tâche historique de François Mitterrand aura été d'en faire un parti d'alternance.

28 commentaires:

Anonyme a dit…

Une anthologie bien écrite mais utile à qui ???

Emmanuel Mousset a dit…

A vous, par exemple.

Anonyme a dit…

Je préfère Macron, l'autre a vraiment une tête désagréable.

Emmanuel Mousset a dit…

Et votre tête, elle est comment ?

Anonyme a dit…

Ou l'on voit à quel point votre article n'intéresse personne finalement.......

Erwan Blesbois a dit…

Tu me dis "restons Français" quand je te dis que les Français ont un tempérament "ironique et fataliste", non je me suis trompé, les Français sont "ironiquement lucides et légers", mais l'optimisme est pour eux une forme de stupidité, tout comme le fatalisme. Or précisément je suis moi-même fataliste à la différence de tant de nos concitoyens qui restent plutôt légers. Quel rapport avec Macron et Valls, il doit bien y en avoir une, quel est le plus Français des deux, quel est le plus ironiquement lucide et léger ? C'est celui là qui gagnera entre les deux, et je pense que c'est Macron. Valls a un côté trop lourd, pesant ; alors que Macron est comme une bulle de champagne, léger avec des yeux pétillants de malice.

Emmanuel Mousset a dit…

Votre nom est personne ?

Erwan Blesbois a dit…

On sent quelque chose de forcé, de pas naturel chez Valls, pour cet espagnol ombrageux d'origine, l'assimilation à la française a dû laisser des traces dans sa fierté ibérique. Non Valls ne ferait pas un bon Président de la République ; ni Macron d'ailleurs dont le caractère conviendrait, mais dont les options économiques sont trop libérales. Je prédis donc la mort naturelle du parti socialiste et de tous les courants qui pourraient s'en réclamer. Car ce parti n'a plus de nécessité d'être, à moins que ce ne soient les Républicains qui disparaissent. En tout cas maintenant la ligne de fracture politique, qu'on le veuille ou non, et je déplore que cela se fasse par le biais d'un part populiste, mais finalement à l'instar des Américains et de Donald Trump, est entre les tenants de l'assimilation et qui veulent défendre l'héritage de la nation, et ceux qui veulent vendre la France à Bruxelles, et à la mondialisation la plus effrénée.

Emmanuel Mousset a dit…

Depuis que je m'intéresse à la politique, j'y rencontre des croque-morts qui prédisent la disparition du PS. C'est lorsque je ne les entendrai plus que je m'inquiéterai.

Erwan Blesbois a dit…

Je ne parle pas que de la disparition du PS, c'est une monomanie chez toi de tout ramener au PS, je te parle d'une nouvelle ligne de fracture non plus gauche/droite mais nationalistes/mondialistes, il est d'ailleurs dommage que les alter mondialistes ne s'invitent pas au débat, ou seulement de façon inaudible, pour apporter une alternative au nationalisme, ce dernier risque de nous ramener plusieurs décennies en arrière. Je pèse les dangers du nationalisme, mais les dangers de la mondialisation me semblent pires encore. Ma vision profonde serait plutôt alter-mondialiste, plutôt que nationaliste, mais alter mondialiste avec la défense de l'exception culturelle française, et la défense de son héritage, que l'on bazarde désormais à tour de bras.

Emmanuel Mousset a dit…

Eh oui, mon cher Erwan, un socialiste ramène tout au PS (quand nous parlons politique, bien sûr). Je suppose qu'un frontiste ramène tout au Front national. Comme toi, tu ramènes tout à toi-même.

Si je comprends bien, tu es un altermondialiste nationaliste. Remarque que ce n'est pas plus bête qu'un socialiste anti-Hollande. Nous vivons l'époque des croisements génétiques et des contradictions jouissives. De ce point de vue, je me démarque, je suis un ascète, un janséniste, un puritain de la politique.

Erwan Blesbois a dit…

Un artiste ramène toujours tout à lui-même, c'est pour cela que je ne peux pas faire de politique.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est bien vu. Le sens commun réduit souvent la politique à un "bal des egos", ce qui est complètement faux. Quand on sait les couleuvres qu'il faut y avaler, les humiliations qu'il faut y subir, la patience pour y réussir et le plus souvent y échouer, la politique est une véritable ascèse. L'ego en sort laminé. La politique est une terrible épreuve de vérité, alors que l'art est une fuite solitaire dans laquelle on s'invente son propre monde.

Erwan Blesbois a dit…

L'art aussi quand il vient à aboutir, ce qui n'est pas encore ou ne sera jamais mon cas, est une épreuve de vérité bien plus terrible encore.

Emmanuel Mousset a dit…

La politique révèle ce qu'il y a de plus bas en l'homme et l'art ce qu'il y a de plus élevé en lui. C'est pourquoi l'art est toujours beau et la politique souvent laide.

Erwan Blesbois a dit…

La plupart des gens détestent secrètement le beau, ils en sont jaloux, c'est tout le drame des artistes, comment parvenir à se faire accepter par la société ?

A a dit…

"La politique révèle ce qu'il y a de plus bas en l'homme et l'art ce qu'il y a de plus élevé en lui. C'est pourquoi l'art est toujours beau et la politique souvent laide."
Ce n'est pas avec de tels propos que vous convaincrez les gens à venir régénérer votre camp.
Parce que d'abord, il faudrait savoir ce que c'est l'art...
Il n'y a pas d'art sans artiste.
Donc définir ce qu'est un artiste.
Un littérateur, un poète, un metteur en scène, un réalisateur, ne sont-ils pas artistes ?
Or les exemples foisonnent d'écrivains, de metteurs en scène et de réalisateurs de films comme d'acteurs et d'actrices engagés en politique qui n'ont pas été moches.
Et pas seulement dans notre pays...
Certains étant même parvenus à des sommets tels Havel ou Reagan par exemple.
Si l'oeuvre de l'américain laisse à penser, celle du tchécoslovaque en vaut bien d'autres de chez nous.

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne cherche pas à "régénérer" mon camp, mais à dire et à penser ce que je crois être la vérité. Je suis un réaliste, pas un idéaliste. Et tant pis s'il y a des déçus et des désespérés. Qu'ils se tournent vers la religion, pas vers la politique. Quant à l'art, je laisse Erwan vous répondre : c'est son domaine, pas le mien.

Philippe a dit…


Emmanuel dit "Depuis que je m'intéresse à la politique, j'y rencontre des croque-morts qui prédisent la disparition du PS. C'est lorsque je ne les entendrai plus que je m'inquiéterai."
On peut peut être préciser ?
Le PS se décompose pour donner autre chose, pour renaître à une autre forme de vie politique en se dirigeant vers un autre territoire.
Hélas ce territoire est déjà en grande partie occupé par ce que l'on appelle les centristes.
Ce nouveau PS risque se voir préférer le vrai centre autour des familles regroupées Juppé/Bayrou/Raffarin , l'original plutôt que la copie.
Le PS ne va pas mourir il va faire partie du "corps" du centre.
Mais les autres partis aussi vivent donc s'orientent vers la décomposition/recomposition, LR n'y échappe pas, pas plus que le FN, et le front de gauche alors là ...........
La vie des uns se nourrit de la mort des autres dans la nature et la politique c'est la nature à l'état brut.

Emmanuel Mousset a dit…

Le recentrage du PS est inévitable, comme l'union de la gauche dans les années 60 et 70. Une bonne stratégie politique ne se choisit pas : elle s'impose naturellement. Ce n'est pas la droite qui va occuper la place : l'extrême droite l'oblige à se radicaliser. Le PS n'est pas fondamentalement menacé par l'extrême gauche, qui électoralement ne monte pas.

1848 a dit…

"Le recentrage du PS est inévitable" et deviendra ce que d'aucuns ont nommé "le marais".
Qui du "marais" est à repêcher pour l'Histoire ?
La référence souhaitable, c'est 1848.
Avec un article des droits qui précisait le droit au travail...
Que propose le "recentrage du PS" sur ce sujet ?
Y en a marre des discours, ce sont des actes qu'il faut !

Emmanuel Mousset a dit…

Vous rêvez de 1848, et moi de 2048. Chacun son truc.

Q a dit…

Si vous bottez en touche, comme parlent les footballeurs, c'est que votre "truc" justement, ce n'est pas le travail, le droit au travail, le droit de pouvoir s'accomplir en gagnant sa vie en travaillant, pas en bénéficiant d'aides de ceci ou de cela.
Votre "truc", ce serait plutôt la parlotte par ci par là...
Et dire "amen" dès lors que votre "chef" aura décidé de la ligne...
Un parfait petit bonapartiste qui après avoir suivi DSK puis Hollande et encore Valls s'en va se mettre au service de Macron.

Emmanuel Mousset a dit…

"Bonapartiste", oui, ça a de l'allure. Un peu comme Stendhal. Quant à la "parlotte" que seraient mes billets, ce n'est pas si facile que vous croyez. Essayez pour voir. En seriez-vous capable ?

Erwan Blesbois a dit…

à A (4/3, 11h00)
Pour Ronald Reagan, je ne dirais pas qu'il s'agit d'art, mais de peopolisation. Pour Vaclav Havel, je dirais qu'il s'agit certes d'art, mais surtout de la figure d'un intellectuel. Les intellectuels par définition sont des penseurs politiques selon moi, et Vaclav Havel était un pur intellectuel, c'est un peu comme si Alain Finkielkraut ou à un moindre degré Eric Zemmour (puisque beaucoup se disputent sur le fait de lui attribuer ou non, ce titre d'intellectuel), parvenaient au pouvoir en France.

Q a dit…

"Quant à la "parlotte"..."
Tous vos billets méritent considération incontestablement et particulièrement lorsqu'il s'agit de "culturel".
C'est lorsque vous "défendez" le pouvoir en place que ça se gâte.
Et surtout dans vos échanges "politiques" avec les intervenants.
C'est le plus souvent superficiel et sans argument.
C'est mon ressenti, et peut-être ai-je tout faux car contrairement à ce qu'on peut déduire de vos textes, vous ne doutez de rien dès lors qu'il s'agit d'approuver le président, son premier ministre et son ministre du budget alors que pour ma part, j'estime qu'il faut douter de tout.

Philippe a dit…

À Emmanuel
« Quant à la "parlotte" que seraient mes billets, ce n'est pas si facile que vous croyez. Essayez pour voir. En seriez-vous capable ? »
Entièrement d'accord avec Emmanuel, ce que font les autres est toujours facile !
À Erwan
Si un intellectuel se définit comme étant un penseur politique.
En France, quelque soient ses œuvres, ne sera considéré comme intellectuel que par la moitié des militants politiques qui connaissent son existence.
Ceux de droite considèrent qu'il ne peut y avoir d'intellectuel que de droite et la gauche que de gauche.
En résumé comment peut-on préciser ce qu'est un intellectuel ?
En termes provocateurs on pourrait oser dire que c'est un pisse-copie faire-valoir des idées courtes des politiciens de métier.
Les politiciens de métier des idée courtes ?!
À mon avis les politiciens ne peuvent manipuler que des idées parcellaires qui n'embrassent jamais la totalité d'une problématique. Embrasser la totalité d'une problématique nécessiterait toujours d'avoir les connaissances de base multidisciplinaires rendant apte à faire le lien entre les points de vue pluridisciplinaires spécialisés de cette problématique.
Les experts pointus de chaque discipline sont inaptes à faire le lien.
Cette inaptitude des politiciens conjuguée à la complexité des sociétés actuelles conduit à, comme on dit, « gérer le flou » ce qui conduit à « gérer des crises » faisant suite à toute décision d'importance qui a été forcément prise avec une beaucoup trop grande marge d'incertitude.
Exemple : la réforme du code du travail ... lister les disciplines qu'elle aurait du faire intervenir dépasse l'espace alloué sur un blog à un commentaire lisible et supportable !

Emmanuel Mousset a dit…

A Q :

1- Je suis socialiste, je défends le pouvoir socialiste. Vous ne l'êtes pas, vous ne le défendez pas. Je ne vous le reproche pas ; ne me le reprochez pas.

2- Rédiger un billet prend du temps. Les réponses argumentées aux commentaires me prendraient trop de temps.