dimanche 13 mars 2016

Macron se libère



Pour qui douterait qu'Emmanuel Macron songe à se présenter à l'élection présidentielle, l'an prochain ou plus tard, la réponse est dans L'Express de cette semaine (couverture en vignette) : c'est oui. Le titre est sans appel : "Ce que je veux pour 2017", certes avec lui ou sans lui. Des ministres s'irritent de cet affichage médiatique, dans lequel Macron est multirécidiviste : bon signe aussi. La old school s'étrangle qu'on marche sur ses plates-bandes, le jeune ministre s'en fiche : il a des choses à dire, il les dit.

Un entretien dans un grand magazine, et hier après-midi, le lancement à Paris d'un cercle de réflexion, La Gauche Libre, où j'aurais dû aller si je n'avais été pris. L'association est indépendante, ne parle que pour elle-même, mais Emmanuel Macron est tout de même passé pour saluer l'initiative, qui compte réformer la gauche de l'extérieur, intuition que je partage depuis quelques années et que j'ai souvent défendue sur ce blog : les appareils ne sont plus représentatifs, en panne d'idées, à la façon de la SFIO dans les années 60.

Hier aussi, par coïncidence, d'autres réformistes s'étaient donnés rendez-vous. Les dirigeants sociaux-démocrates se sont retrouvés autour de François Hollande. Les syndicats critiques envers la loi El Khomri mais partisans de la négociation, pas du retrait (CFDT, UNSA, CFTC, ...) se sont mobilisés. Dans ces organisations, il y a de nombreux socialistes, et leur démarche n'est pas illégitime. Mais ceux qui ont manifesté jeudi dernier avec les syndicats les plus radicaux et les plus hostiles au gouvernement se sont disqualifiés.

Revenons à Macron et à son entretien dans L'Express, le premier du genre à être aussi complet, un article quasi programmatique. Dans les grandes lignes, ce qu'on en retient, c'est le primat que le ministre accorde aux idées, exposant une vision globale et à long terme (ce qui n'est pas toujours le cas chez les politiques). Tant sur la forme que sur le fond, le phénomène Macron me fait penser à la montée en puissance de DSK, tout au long des années 2 000, dans le débat public et les médias. Politiquement, on retrouve souvent la même inspiration et un style assez proche, au-delà de la différence de générations.

Venons-en au contenu. Le projet Macron, c'est essentiellement comment faire entrer la France dans la mondialisation avec des valeurs de gauche. Pour cela, "il faut continuer à baisser dans la durée les charges et les impôts des entreprises (...) Il faut surtout abandonner la préférence française pour la hausse des salaires et des dividendes (...) Si nous faisons le choix de la production en France et du long terme, c'est bien l'investissement et l'emploi qu'il nous faut privilégier".

Ces quelques lignes traduisent la philosophie du projet. Il est social, de gauche, parce que l'objectif est de réintégrer dans la société les premières victimes du capitalisme, qui sont aujourd'hui plusieurs millions : les chômeurs et les précaires. Le plus étonnant, c'est qu'il est aussi gaullien, avec des accents chevènementistes : "avoir une vraie souveraineté industrielle et économique" pour constituer un capital français, "récupérer notre souveraineté politique sur la régulation de l'assurance et de la banque".

Dans cette perspective, Emmanuel Macron va contre deux idées reçues. Il s'appuie sur les grands groupes industriels : "je les défends toujours contre la démagogie qui consiste à dénoncer le CAC 40". Il ne croit pas que notre avenir soit entièrement orienté vers le développement des services. Les usines, ce n'est pas fini ! Ce néo-gaullisme va jusqu'à "renouer avec cette belle idée de la participation", c'est-à-dire l'intéressement des salariés aux profit des entreprises.

En revanche, sur l'Europe, Macron se détache complètement de de Gaulle, en militant pour de nouveaux transferts de souveraineté. C'est un changement de cap : l'Europe ne peut plus se contenter de gérer les crises, il lui faut "un puissant investissement collectif et des solidarités financières entre pays de la zone euro". J'applaudis à l'idée de "sortir de la stratégie du référendum", qui renvoie chaque pays européen à lui-même et pas à l'Europe, qui favorise la démagogie et le nationalisme. Il faut changer les traités, faire en sorte que les affaires de l'Europe soient décidées au niveau européen, et pas au niveau national.

Ce que j'apprécie aussi, c'est que Macron ne choisit pas l'argument de la paix, juste mais insuffisant, pour caractériser le projet européen : "L'Union européenne, c'est la première tentative démocratique d'unification du continent". Au-delà des sensibilités de chacun, c'est cette tâche historique dans laquelle nous devons nous engager, contre les populistes et les nationalistes.

Emmanuel Macron rencontre, consulte, visite, écrit, s'exprime, se libère. Son bilan ministériel est déjà riche pour un récent ministre. Il ira loin, c'est certain. Il a l'envie, le charisme, les idées, un crédit de popularité et une réserve de temps devant lui. Que demander d'autres ? Ah si : les circonstances qui, elles, ne se commandent pas.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

La fondation de ce cercle de réflexion "la gauche libre" est une excellente nouvelle, le mieux serait même sa transformation en parti politique et présentant des candidats aux élections de l'an prochain. Car le PS est mort, preuve en est le résultat de la législative partielle où la candidate qui avait été battu de 222 voix en 2012 ne figure pas au second tour, devancée par le FN !

Anonyme a dit…

Au lieu de poster un long, trop log, discours sur la bulle politico-médiatique parisienne dénommée Macron vous devriez plutôt commenter les nouvelles déroutes électorales de la gauche réelle celle qui est éliminée dès le premier dans 2 élections partielles de votre "gross" région. Ce pourrait être un avant-goût de vos futures défaites nationales en 2017, celle de la gauche-Macron qui n'existe pas électoralement hormis pour la grande bourgeoisie compradore des grandes métropoles mondialisées et de la petite bourgeoisie comme vous en tant que force supplétive.

M a dit…

M Macron, accédant à la présidence ?
Ce ne pourra vraisemblablement pas être plus détériorant pour le moral national que l'accession au même poste des trois derniers titulaires du poste.
Mais (car c'est un réel danger d'aventure) une accession aussi fulgurante laisserait pantois.
Quant au responsable de ce blog, (remarquons la similitude des initiales) son suivisme envers ce politique est dans la droite ligne de son attirance passée pour l'ex-directeur du FMI.
Tout pour l'argent.

Emmanuel Mousset a dit…

Tout pour l'argent ? J'aimerais bien, parce que c'est le nerf de la guerre. Mais ce n'est pas le cas.

Anonyme a dit…

"l'argent, nerf de la guerre" une banalité pour un professeur de philosophie! Le degré zéro de la réflexion politique. Il est favorable à tous ceux qui sont hostiles aux fonctionnaires comme lui, qui ont réduit son pouvoir d'achat avec une constance de métronome. C'est son côté masochiste. Ou bien ce qui reste d'une culture chrétienne, un catholique-zombie comme dirait Todd.
Qu'il nous parle des nouvelles déroutes électorales de la gauche dans sa région; cela va, peut-être, lui donner l'occasion de voter à droite telle est la pente naturelle de ses amis politiques.

Emmanuel Mousset a dit…



Comme vous, j'aimerais que la "banalité" n'existe pas. Mais celle de l'argent est une terrible réalité. Alors, pourquoi ne pas l'évoquer ?

Anonyme a dit…

Oui mais un banquier qui fait une politique libérale est d'abord au service de l'argent mais pas du peuple c'est pourquoi il ne représente rien au sein du PS et Valls pas grand chose. Ces deux-là vont faire naufrage avec Hollande et toute la gauche comprise. Tous les politiciens chouchous des médias n'ont jamais eu un grand avenir politique comme Barre, Rocard, Delors.

D. a dit…

Tous les politiciens chouchous des médias n'ont jamais eu un grand avenir politique comme Barre, Rocard, Delors.
Et DSK...