mardi 1 mars 2016

Atteinte à la démocratie



Mine de rien, la tournure que prend le débat autour de la réforme du droit du travail est une atteinte à la démocratie. Le jugement peut sembler sévère ; je le crois justifié. Il y a d'abord la forme : ce n'est pas un débat, c'est une confrontation, où tout semble bon pour s'opposer, inexactitudes, mensonges, dénigrements. On sent l'intention : abattre le gouvernement Valls-Hollande, ou du moins lui porter un coup irréparable. L'entrée dans la danse des organisations de jeunesse est un signe qui ne trompe pas : mettre les étudiants et les lycéens dans la rue pour disqualifier le pouvoir en place, c'est un air connu.

Mais il y a pire : une atteinte aux institutions, à l'esprit de la République. Là encore, je n'exagère pas, j'argumente. Le texte de loi n'est qu'un projet, dont l'exécutif, à travers le Conseil des ministres, n'a pas encore eu connaissance, dont le législatif, au sein du Parlement, n'a pas encore discuté. Et pourtant, le texte est déjà condamné et rejeté ! C'est un pur déni de démocratie parlementaire, dont le tempo n'est pas respecté.

C'est aussi la démocratie représentative qui est bafouée, au profit d'une incertaine démocratie directe, sauvage, irrationnelle, médiatisante, sondagière et pétitionnaire. C'est le primat de la démocratie d'opinion, qui est une fausse démocratie. Un million ou deux peuvent bien signer contre le projet de loi porté par la ministre El Khomri, qu'est-ce que ça fait, qu'est-ce que ça veut dire ? Il y en a beaucoup plus, des dizaines de millions, qui ne se prononcent pas, qui sont peut-être favorables. Il n'y a qu'une seule démocratie : c'est l'élection, pas la pétition, c'est le suffrage universel, c'est la volonté générale chère à Jean-Jacques Rousseau, c'est la loi de la majorité, pas ce que nous sommes en train de voir se développer à travers les réseaux sociaux empoisonnés par des minorités agissantes et qui relève de la manipulation et de l'imposture.

Respectons les institutions républicaines, dans leur esprit et dans leur lettre. Le gouvernement actuel et le président ont reçu un mandat du peuple pour diriger la France durant un quinquennat. Qui sont ces inquisiteurs qui voudraient les en empêcher, leur retirer toute légitimité, les rabaisser en les insultant de traîtres à leurs promesses ? L'exécutif propose, le législatif dispose : voilà le fonctionnement de la République. Les députés et les sénateurs feront leur travail d'amendement le moment venu. Les syndicats seront consultés, les salariés eux-mêmes auront leur mot à dire, puisque la loi en préparation accroit leur pouvoir au sein de l'entreprise : voilà la démocratie sociale.

Voyez le discours de guerre civile qui est utilisé. Le Premier ministre propose sagement, devant l'ampleur de la protestation, un report du texte. Ses adversaires parlent de défaite du gouvernement, hurlent à la victoire et réclament du sang : c'est le retrait pur et simple qu'ils exigent, sans concertation, sans aucune discussion, sans souci d'un compromis, sans égard pour la légitimité du pouvoir qui soumet le texte à examen. Et dire que certains responsables et élus prétendument socialistes ont ce mot à la bouche, retrait, criant comme le ferait n'importe quel leader trotskiste, coutumier du fait, c'est accablant ! Non, nous ne sommes pas ici dans une culture démocratique, dans un esprit républicain.

Dans quoi sommes-nous alors, d'où vient la présente folie ? D'une culture politique du rapport de forces, issue d'un lointain marxisme, qui pensait, au XIXe siècle, que le prolétariat allait devenir dominant, déclencher une révolution et engendrer un nouveau mode de production économique, le communisme. Je veux bien croire qu'en ce temps-là l'espoir était permis et la visée politique pertinente. Mais il faut être fou pour le croire encore aujourd'hui, surtout après la tragédie planétaire qu'a été le communisme réel.

Nous assistons, à travers bien des mouvements sociaux, comme on les appelle, à un mauvais revival, en grande partie inconscient, d'une idéologie obsolète et délétère. C'est le fond de l'actuelle affaire, qui porte en elle la haine de la social-démocratie et du réformisme. Pour le dire trivialement : on veut la peau de Hollande, Valls, Macron et des autres, à travers une logique du tout ou rien, qui ne laisse aucun espace à la négociation. Déjà, Marx et Lénine ne croyaient pas à la démocratie parlementaire, qui était pour eux un régime bourgeois, à abattre. Il n'est pas dit, aujourd'hui, que le pouvoir et les socialistes authentiques se laisseront faire. Nous sommes encore nombreux à vouloir la revanche de Kerenski.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Emmanuel,
N'Est-ce pas un déni de démocratie quand l'exécutif est le seul à définir les ordres du jour législatifs ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie d'adopter un traité européen alors que la souveraineté populaire l'avait rejeté (congrès de Versailles).
N'Est-ce pas un déni de démocratie de dégainer la menace du 49.3 à chaque contestation de l'assemblée nationale qui a, pour elle, la légitimité du vote du peuple ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie de vouloir faire adopter, sans débat de fond", la déchéance de nationalité parce que l'opinion y serait favorable ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie d'insulter (n'Est-ce pas Monsieur Le Foll) les "frondeurs" et les partis situés à gauche du PS (comme le MRC), de tocards ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie de privilégier les "accords" privés (accords entreprises" au détriment de la Loi ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie de maintenir, sans contrepartie, une aide aux grandes entreprises qui sont dans les bonnes grâces du Medef et de laisser mourir les agriculteurs, les TPE et les artisans ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie d'avoir saccagé et sacrifié les fleurons économiques français sur l'autel de la commission européenne sans contrepartie ?
N'Est-ce pas un déni de démocratie d'avoir refusé la séparation stricte des activités bancaires de dépôts et des activités bancaires de spéculation au risque de pouvoir autoriser à terme la ponction des comptes de dépôts au profit du renflouement bancaire et donc de fragiliser les petits épargnants ?

J'arrête là ma litanie. Je ne voudrai pas non plus être attaqué pour avoir copié la litote de Monsieur le Président de la République

Je pense, cher camarade, que tu donnes dans la mauvaise foi et l'aveuglement. Peut-être serait-il temps que tu te poses un instant et de réfléchir à ton engagement politique.

J'espère pouvoir en débattre un jour. 2017 arrive à grands pas, peut-être serait-ce là, l'occasion parfaite.

Laurent ELIE

Emmanuel Mousset a dit…

Aveuglement, je ne sais pas, c'est une question de point de vue. Mais mauvaise foi, non : je suis toujours sincère et convaincu dans ce que je dis, qui ne varie pas depuis une quinzaine d'années.

Philippe a dit…

Quelle démocratie ?
Refusé par le peuple les textes reviennent par la fenêtre … « Lisbonne »
En France : après le rejet par 55 % des Français lors du référendum de 2005 du projet de traité établissant une constitution pour l'Europe, la France n'a pas proposé de nouveau référendum à ses citoyens au motif que ce nouveau traité n'est pas une Constitution européenne. Une révision de la Constitution française, effectuée par la voie du Congrès le 4 février 2008, a permis la ratification du traité lui-même par la voie parlementaire le 8 février.
Les acteurs de la mascarade ci-dessous :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/scrutins/jo9000.asp

NB ce texte « Lisbonne » permet sans le dire tout en le disant d'en appeler à l'OTAN pour venir au secours d'un gouvernement européen qui serait en difficulté au niveau de l'ordre public.

T a dit…

"Mais mauvaise foi, non : je suis toujours sincère et convaincu dans ce que je dis, qui ne varie pas depuis une quinzaine d'années."
Faudrait-il comprendre qu'au delà de ces quinze années, vous n'étiez ni sincère ni convaincu ?
Vous deviez être mieux en ces temps-là !
Car être convaincu, de nos jours, faut le voir pour le croire...
Convaincu que l'attelage tricéphale, Hollande, Macron et Valls vont sortir la France de l'ornière ?
Pourquoi ont-ils attendu la quatrième année du quinquennat pour cela ?
Justifiez-vous si vous pouvez.

Emmanuel Mousset a dit…

Désolé, je ne me justifie jamais devant un inconnu. Les 15 ans correspondent à la durée de mon engagement politique à Saint-Quentin.

yvesgerin a dit…

La position de fonctionnaire,a fortiori d'enseignant,apporte moins d'acuité quand aux mutations préoccupantes du droit du travail dans l'entreprise.

Emmanuel Mousset a dit…

Mon statut personnel ne détermine pas mes convictions et analyses.