dimanche 12 juillet 2015

Une question de confiance



A l'heure où j'écris, l'euro-groupe est réuni, nous ne savons pas ses conclusions, seulement que le sommet des chefs d'Etat ne se tiendra pas. Mais qu'est-ce que cela préjuge ? Rien du tout, sinon que se pose le problème de la confiance à l'égard de la Grèce et de ses dernières propositions, et c'est parfaitement compréhensible : il y a une semaine encore, Alexis Tsipras était anti-européen et refusait toute forme d'austérité, à laquelle il se plie depuis quelques jours, en renouant avec les institutions européennes.

Alors, peut-on lui faire confiance ? Je pense que oui, pour les raisons que j'ai développées durant dans cette semaine dans les billets consacrés au sujet. Et pour une raison plus fondamentale encore : on ne peut pas, en politique, faire l'économie de la confiance, à quelque niveau que ce soit. Cette activité n'est pas rationnelle, scientifique, objective : l'élément humain, subjectif, intervient forcément, et il est essentiel.

On peut demander à Tsipras autant d'engagements et de garanties qu'on voudra, aucune certitude complète n'en résultera : la politique, c'est l'école du flottement, du retournement, de la trahison, confirmée par toute notre histoire. Il faut faire avec cette donnée, sinon on ne fait rien. Ce qui compte, ce n'est pas la psychologie du partenaire, mais ses intérêts et notre projet politique : la Grèce a intérêt à rester en Europe et l'Europe a intérêt à garder la Grèce. A partir de là, on peut aller loin ensemble et conclure un accord, qui pourtant aujourd'hui parait incertain, mais auquel je crois, comme je croyais il y a une semaine à l'évolution spectaculaire d'Alexis Stipras.

Le problème permanent de l'Europe, et le problème de ce jour, ce n'est pas son déficit de démocratie, comme le prétendent les anti-européens, pour lesquels tout argument est bon, mais au contraire son inflation de démocratie : elle réclame à chaque instant de se soumettre au vote pour pouvoir avancer. Or, on n'avance pas de cette façon-là, ou très lentement (c'est sa situation). Quand vous pensez que l'accord qui est en train de se discuter en ce moment entre les dirigeants de la zone euro devra être ratifié ensuite par huit Parlements nationaux ! C'est presque mission impossible. Il faudra bien, un jour ou l'autre, le plus tôt possible, mettre en place des règles de fonctionnement fédérales, que la funeste victoire du non français en 2005 a rendu jusqu'à présent impossible.

En tout cas, l'absence d'accord, ce soir ou dans les prochains jours, serait une défaite pour l'Europe et une victoire pour les anti-européens les plus agressifs, nationalistes et extrême droite. Hier soir, Florian Philippot, du Front national, a révélé sur BFMTV le fond antirépublicain de sa pensée (sans d'ailleurs être repris par le journaliste, qui n'a manifestement rien vu passer) : selon lui, un référendum est plus légitime qu'un vote au Parlement (il disqualifiait ainsi le choix des députés grecs à rester dans la zone euro et à adopter des mesures d'austérité). Un référendum plus légitime que le Parlement ! C'est du plus pur populisme, du néofascisme, qui nie la primauté de la démocratie parlementaire et représentative. Oui, le référendum a sa valeur, secondaire, complémentaire, mais jamais il ne peut récuser le suffrage universel, qui s'exprime par l'élection et la désignation de représentants mandatés.

Autre masque qui est tombé, en écoutant Philippot : ce qui motive le FN dans cette affaire, ce n'est pas sa critique du libéralisme (un prétexte), ce n'est pas sa solidarité avec le peuple grec (un mensonge), c'est son nationalisme et sa xénophobie : pas un sou de plus pour les Grecs, qui peuvent crever la bouche ouverte, tout comme les migrants peuvent se noyer en Méditerranée, voilà la pensée indigne du Front national, qui n'applaudit Alexis Tsipras que de ses mains très sales.

A l'autre extrême de l'échiquier politique, c'est le "gauchisme" qui est embarrassé et même contredit par ce qui se passe actuellement en Grèce. Je donne au mot "gauchisme" le même sens que lui donnait Lénine, en le qualifiant de "maladie infantile du communisme", sauf que je l'étends aujourd'hui à toute la gauche. Tsipras n'a pas été, après ses propositions à Bruxelles, soutenu par son aile gauche. Comment aurait-elle pu admettre les mesures d'austérité, même en échange d'une aide nouvelle des créanciers ? C'est une leçon qu'il faut aussi tirer pour la France : Mélenchon, Laurent, Lienemann et consorts applaudissant aux privatisations, à l'augmentation de la TVA et à la retraite à 67 ans prouvent simplement que le "gauchisme" a sa propre limite, qui s'appelle l'opportunisme.

Quant à l'extrême gauche à proprement parler (qui est essentiellement trotskiste, qui ne se confond pas avec la "maladie infantile" de la simple gauche), la crise grecque la récuse sur un point : sa défense du mandat impératif, qui lui fait désormais critiquer Alexis Tsipras, sur l'air bien connu de la trahison et des promesses non tenues. Quand on est républicain, on ne défend pas le mandat impératif et révocable, qui transforme le parlementaire en administrateur, en gérant du programme pour lequel il a été désigné. Cette conception de la politique n'est pas du tout la mienne : les représentants du peuple doivent avoir les mains libres pour juger de la situation et prendre les décisions qui leur semblent bonnes. Seul le peuple, le moment venu, par l'élection, en tire le bilan et porte un jugement. Le mandat impératif et révocable, c'est la négation du suffrage universel et de la souveraineté du peuple, c'est le triomphe de l'appareil, de la bureaucratie, c'est la collectivisation du régime.

Il reste une dernière tentation, qui j'espère ne l'emportera pas : ce serait la sortie "provisoire" de la Grèce de la zone euro. Le "provisoire" est rajouté comme pour rassurer, pour dire que ça ne va pas durer. C'est un joli lapsus, qui prouve que cette sortie de l'euro ne serait pas quelque chose de normal, au vu de l'idéal européen. Sauf que le "provisoire" existe rarement en politique, où l'on revient difficilement ce qui a été fait ou défait. En 1983, Lionel Jospin explique que la politique de rigueur, tournant de la gauche au pouvoir, n'est qu'une "pause". Déjà, à l'époque, c'est la question européenne qui était en jeu dans les décisions du gouvernement. La fameuse "pause" dure toujours, la rigueur s'est même creusée, puisque la ligne du Programme commun, conclu avec les communistes dans les années 70, n'était plus tenable et que le PS est devenu un parti social-démocrate comme les autres. Si la Grèce quittait la zone euro, ce serait plus un adieu qu'un au revoir.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Et POUTINE a quoi joue - t - il ???

Emmanuel Mousset a dit…

Poutine ne joue à rien ; il fait de la politique.

Anonyme a dit…

Mais encore ??? Éclairez nous , c'est un peu juste comme explication ???
.

Emmanuel Mousset a dit…

La lumière est en vous, si intelligence il y a.