samedi 11 juillet 2015

La politique a besoin de réflexion



La lecture de l'excellent hebdomadaire "Le un" est cette semaine particulièrement passionnante, parce que c'est une espèce rare en politique qui est sollicitée : un intellectuel, au sens premier de généraliste des idées. Les spécialistes sont nombreux dans la classe politique, technocrates, économistes, hauts fonctionnaires, mais il y a peu d'intellectuels, de penseurs à proprement parler. Sans doute parce que le système politique exige une discipline, une allégeance, un suivisme qui s'accordent mal avec la liberté de penser propre à l'intellectuel, qui le conduit à émettre des idées novatrices, originales, décalées. Quoi qu'on dise, la politique sécrète une forme de conformisme qui décourage la réflexion novatrice. Emmanuel Macron, puisque c'est de lui dont il s'agit, est "un philosophe en politique", comme le titre "Le un" (couverture en vignette).

Ce qui m'a intéressé dans ce long entretien, où tout retient l'attention et est à méditer, c'est surtout la pensée proprement politique, institutionnelle du ministre. Ce qui est assez surprenant, puisqu'on l'attend plutôt sur la philosophie économique, qui est son domaine. Emmanuel Macron vise juste, en repérant un problème récurrent et latent de notre démocratie : elle manque de représentation, elle souffre d'un déficit d'imaginaire, elle rencontre des difficultés dans l'ordre du symbolique. Bien des événements politiques le confirment. La montée de mouvements identitaires de toute sorte sont les symptômes douloureux et dangereux de cette crise de la représentation démocratique : ils s'engouffrent violemment dans un vide, sans régler quoi que ce soit, puisque ces mouvements ne sont pas de nature démocratique.

Emmanuel Macron fait remonter, et il n'est ni le seul, ni le premier, cette faiblesse de la démocratie française à la mort du roi, figure tutélaire et séculaire, que rien n'a vraiment remplacé. Or, une société est en quête d'images, de repères, de héros : nous avons eu, depuis, Napoléon ou De Gaulle, qui ont imparfaitement suppléé à ce manque au sommet de l'Etat. C'est qu'une société ne vit pas seulement de procédures électives ou administratives : il lui faut aussi de grands mythes rassembleurs. La République, c'est le règne de la Raison, du citoyen éclairé : c'est très bien, mais c'est insuffisant ; l'humanité est faite aussi d'émotions, de sentiments, de passions. Le collectif est une réalité abstraite, qui n'existe ou qu'on ne fait exister qu'en l'incarnant.

Voilà donc la riche et indispensable réflexion que nous propose Emmanuel Macron, qui se situe plus dans l'analyse que dans la proposition. Car comment remédier à cette crise symbolique de la démocratie ? Une piste est tout de même esquissée : "une République plus contractuelle et plus européenne, inscrite dans la mondialisation ...". Je crois en effet que le grand mythe mobilisateur de notre époque et des décennies à venir, c'est l'idéal européen, avec toutes les promesses qu'il contient : une civilisation nouvelle et à la fois très ancienne, un rapport inédit au monde, un dépassement de l'Etat-nation. La révolution de notre temps, c'est celle-là, je n'en vois pas d'autres. Ce qui se passe en ce moment en Grèce en est une illustration. Et pour les socialistes que nous sommes, le rejet du nationalisme, la construction d'un fédéralisme européen, la réflexion sur les nouvelles formes d'internationalisme sont des objectifs enthousiasmants, qui nous vont droit au cœur.

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