lundi 20 juillet 2015

Un philosophe pour la République



La République est d'abord un idéal de philosophes. Au XVIIIe siècle, celui-ci a été assez bien représenté par la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Mais le siècle d'après, avec la révolution industrielle, le mouvement socialiste et l'apparition du prolétariat, un autre nom s'imposait. Il y a été très largement oublié depuis, et c'est pourtant l'inspirateur des républicains de ce XIXe siècle, par exemple Jules Ferry et Georges Clémenceau : il s'agit d'Auguste Comte, fondateur du positivisme, une philosophie pour la République (vignette 1, le portrait du maître à gauche).

Samedi dernier, en visite quasi privée, je me suis rendu dans les appartements d'Auguste Comte, 10 rue Monsieur le Prince, à Paris, là où il a passé les dernières années de son existence. Le positivisme n'est plus de mode aujourd'hui. Sait-on même encore ce que c'est ? Une pensée à l'origine de la sociologie, qui tente de donner un fondement rationnel et social à la société industrielle et démocratique, en se basant sur les connaissances scientifiques. Sa devise résume l'idée : "Ordre et Progrès", adoptée jusqu'à nos jours par le Brésil, puisque Auguste Comte a eu, en son temps, une influence internationale.

Pourquoi alors a-t-il été oublié, y compris par les républicains eux-mêmes ? D'abord parce qu'un autre géant a éclipsé ce géant : Karl Marx, dont la philosophie plus prometteuse (en théorie du moins) a supplanté Auguste Comte dans les milieux progressistes. Et puis, le positivisme a étrangement tourné à la religion, lui qui affirmait que la religion était le passé (et l'enfance) de l'humanité. Comte a inventé une nouvelle religion, avec ses temples, ses sacrements, ses saints laïques, mais sans dieu, sans miracles, ni immortalité de l'âme : la religion de l'humanité, sans doute peu convaincante pour des esprits modernes.

La personnalité d'Auguste Comte n'a pas aidé au maintien de sa pensée. Cet homme de science et de raison avait un côté un peu fou, sinon inquiétant. Il pesait ses aliments avant de les consommer (vignette 2, la balance qu'il utilisait) et surtout il vénérait sa platonique amante, Clotilde de Vaux, à laquelle il a voué un véritable culte après sa disparition : il se recueillait devant le fauteuil de sa chère, pieusement conservé (vignette 3). Sans parler de cette religion qui avait notamment instauré, dans une ambiance très particulière, une fête des morts (vignette 4).

Un dernier élément est troublant : si ce philosophe a inspiré la plupart des grands républicains du XIXe siècle, il a aussi été, au siècle dernier, le maître à penser de Charles Maurras, le plus brillant intellectuel de l'extrême droite, fondateur de la monarchiste Action Française. Les idées essaiment parfois on ne sait trop où. Toujours est-il qu'Auguste Comte, sauf pour les spécialistes, n'est plus à l'ordre du jour.

Vous l'avez aussi compris : malgré ce petit pèlerinage respectueux, je ne suis pas du tout comtien, ni positiviste, je n'ai pas ma balance ni ma Clotilde de Vaux. Sur le fond, je ne crois pas en une disparition des religions, encore moins en une religion d'emprunt, ni que la science et la sociologie soient l'alpha et l'oméga de la société moderne. Mais la référence à Auguste Comte a au moins le mérite de nous rappeler que la République est un régime qui ne peut pas se passer d'une assise idéologique, que les philosophes sont chargés de conceptualiser. Quand on constate aujourd'hui les dérives, les contresens et les dénaturations qui frappent les principes républicains, il y a nécessité.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore une fois vous ignorez les républiques locales comme VENISE ou les communes du Moyen âge dans nos contrées ... C'est par la pratique du vivre ensemble et de règles communes que se sont développées nos nations ... Que les philosophes y aient pris une part sans doute ... Mais tout rapporter à la philosophie et à la religion , c'est bidonner la connaissance et nier le progrès technique et scientifique !! Bel exemple d’obscurantisme qui s'apparente très bien au fascisme et à l'extrémisme ..
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Anonyme a dit…

Les militaires diront c'est nous la république ..

Les instituteurs diront ; c'est nous la république ..

Les polytechniciens diront c'est nous la république ..

Les ÉNARQUES diront c'est nous la république ..

Les agriculteurs diront c'est nous la république ..

Complétez et pensez surtout à son avenir qui est menacé !!

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Emmanuel Mousset a dit…

1- Ce n'est pas moi qui rapporte tout à la philosophie et à la religion, c'est Auguste Comte. Quant à le rapprocher du fascisme, vous allez un peu loin.

2- La République n'est dans aucune des catégories que vous mentionnez, mais dans le suffrage universel des citoyens.

Anonyme a dit…

Le suffrage sera vraiment universel lorsque tout le monde pourra avoir obtenu le droit de voter, et son corollaire, le droit d'être candidat et donc obligatoirement par suite d'être élu...
Tout le monde, citoyen, c'est à dire plus de mineur ni par l'âge ni par les condamnations antérieures.
Ce serait donc ça la République !
Est-ce celle de Platon ?

Emmanuel Mousset a dit…

Il me semble normal d'exclure du suffrage universel ceux qui ne sont pas encore citoyens (parce que trop jeunes, sans responsabilités sociales) ou ceux qui ne sont plus citoyens électeurs (parce qu'ils ont violé les lois de la République).

Quant à Platon, il ne se posait même pas la question, puisqu'il détestait la démocratie.

Emmanuel a dit…

"la religion de l'humanité, sans doute peu convaincante pour des esprits modernes."

Pas pour Alain de Botton, en tous cas. Voir http://www.thebookoflife.org/secular-chapels/ et son livre Religion for Atheists

"il a aussi été, au siècle dernier, le maître à penser de Charles Maurras, le plus brillant intellectuel de l'extrême droite"

Voici ce que j'en ai écrit sur mon blog :

"l'épisode bien connu de Charles Maurras présentant Comte comme l'un de ses maîtres (à côté de l'auteur du Syllabus !) pourrait bien illustrer tout le contraire d'une ascendance de Comte – il semble plutôt indiquer qu'au tournant des XIXe et XXe siècles sa doctrine était suffisamment méconnue pour pouvoir se prêter à un détournement véritablement effarant ! (Un détournement tout aussi effarant l'avait d'ailleurs précédé : celui de Ferdinand Brunetière, directeur de l'influente Revue des deux mondes, qui pensait que Comte « n'a pu finalement s’empêcher de couronner son positivisme d'une théologie », et prétendait l'« utiliser » pour remettre ses contemporains « sur les chemins de la croyance » !)"

Curieusement, on parle moins de Comte maître à penser de Brunetière !

Emmanuel Mousset a dit…

Merci pour toutes ces précisions.