mercredi 15 juillet 2015

Pour, contre, abstention



On croit généralement qu'on fait de la politique avec la bouche : prendre la parole, s'adresser aux gens, faire un discours. Non : vous pouvez réussir en politique en restant muet, en ne disant rien, en ne sachant pas très bien parler. C'est même recommandé, parce que quelqu'un qui ne parle pas rassure et laisse parler les autres (mes remarques ne concernent bien sûr pas, ou beaucoup moins, la politique de haut niveau). On ne fait pas non plus de la politique avec ses mains, en écrivant. Si c'était le cas, je serais le roi socialiste de Saint-Quentin. Ce n'est pas le cas.

Alors, si on fait de la politique ni avec sa bouche, ni avec ses mains, avec quoi ? Avec ses pieds. Oui, en allant voter. Vous pouvez faire les plus beaux discours du monde, vous pouvez rédiger les plus belles analyses, ce qui compte, ce ne sont pas les paroles ou les phrases : c'est le nombre de voix. La vérité de la politique n'est pas dans la rhétorique ou l'écriture : elle est dans l'arithmétique la plus basique.

Combien de fois des camarades m'ont dit être d'accord avec moi, en écoutant mes interventions, en lisant mes réflexions ... et n'ont jamais voté pour moi ? Combien m'ont dit se reconnaître dans la social-démocratie ... pour finalement soutenir l'aile gauche ? Combien de Saint-Quentinois m'ont annoncé localement une possible victoire de la gauche ... qui débouchait sur une écrasante victoire de la droite ? Les mots n'ont aucune valeur en politique : ce sont les chiffres qui commandent.

Depuis plus d'une semaine, l'actualité politique française est concentrée sur ce qui se passe en Grèce. Nous entendons de multiples avis, de nombreuses analyses, des positions très différentes. Je me demande parfois comment le simple citoyen peut s'y retrouver et se faire sa propre opinion ! D'autant que les points de vue quelquefois changent d'un jour à l'autre ... Mais cet après-midi, au Parlement français (et cette nuit en Grèce), c'est l'heure de vérité, le moment de voter. Et là, fini de tergiverser : c'est oui, c'est non ou c'est ni oui ni non, c'est-à-dire abstention. La vérité des uns et des autres, la voici donc :

Deux partis soutiennent massivement l'accord que porte, assume et défend le Premier ministre grec pour sauver son pays de la faillite : le PS (267 pour, 9 contre, 2 abstentions) et l'UDI (23 pour, 1 contre). Normal, ces deux partis sont historiquement les plus européens de notre paysage politique.

Deux partis s'opposent unanimement à cet accord : le Front de gauche et le Front national. Le plus cocasse, c'est que ces deux formations, surtout la première, ont été les plus ardents défenseurs d'Alexis Tsipras. Aujourd'hui, ils se retournent contre lui et deviennent ses plus sévères opposants.

Deux partis hésitent : Les Républicains (ex-UMP) sont très partagés, entre les pour (93), les contre (41) et les abstentions (35). C'est la divergence ancienne, à droite, entre un courant gaulliste, national, et un courant européen, fédéraliste. Hésitation un peu plus surprenante chez les écologistes (EELV) : 9 pour, 3 contre, 2 abstentions ... et un député qui ne participe pas au vote, et pas n'importe lequel : Cécile Duflot ! Il y a, là aussi, une logique : l'écart entre le courant très européen et le courant très antilibéral, qui parfois ne font qu'un, mais il faut bien qu'une des deux préférences l'emporte au moment du choix.

Ma satisfaction personnelle, c'est de voir au final l'accord proposé par Alexis Tsipras adopté par une très large majorité des parlementaires français. C'est un signe de solidarité envers le peuple grec, qui sans cet accord courait à la catastrophe. C'est aussi un signe de soutien d'une grande partie de notre classe politique à l'Europe, et c'est heureux pour l'avenir. Je souhaite que ce soir le Parlement grec trouve aussi une majorité pour soutenir ce plan financier, et que les autres Parlements européens aillent dans le même sens : défense de la Grèce, défense de l'Europe.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Le vote français est un acte dans la continuité de la politique depuis des années, mais la réalité n'est pas à PARIS mais à ATHÈNES et là ça se complique , on a dans le parti de TSIPRAS du EEV puissance 10 ... Alors comment va se présenter la suite , bien malin qui peut le dire ..
.

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne suis pas plus malin qu'un autre (et même un peu moins que beaucoup), mais je vous dis que l'accord va passer.

Z a dit…

Ce qui compte, ce n'est pas la politique, lorsque la démocratie est bien établie, c'est la vie des gens.
En l'occurrence, la vie des grecs dans la démocratie grecque...
Donc, le seul vote qui a compté, c'est celui des grecs dans la démocratie qui est la leur.
Le seul qui vaille le coup d'être observé, celui que les grecs décideront au sein de la démocratie retrouvée depuis l'ère des colonels pour entériner ou refuser l'accord concédé après un véritable marathon autour d'une table par l'exécutif grec actuel...
Ce qui ne compte que pour du beurre, c'est tout ce qu'on peut dire ici ou là, à Saint-Quentin ou à Paris.
Du moins, c'est comme ça que je vois tout ça, moi.

Erwan Blesbois a dit…

Nous n'avons pas un devoir de réparation envers la terre entière, car l'homme n'est pas bon. Si nous les Occidentaux et particulièrement les Français, qui sommes allés les plus loin dans l'art de s'auto flageller, nous couchons, d'autres sans scrupules prendront notre place et n'auront aucun remords à nous exploiter, d'autant plus qu'ils sont rendus encore plus mauvais par le désir de vengeance ; ce que Houellebecq entend par le terme de "soumission" et dont des philosophes que j'ai eu comme professeurs comme Jean Salem, trouvent l'idée odieuse, et critiquent sévèrement Houellebecq (comme faisant le jeu du FN).
Pour ce qui est de la Grèce et de l' Allemagne, l'économique qui s'exprime par le biais du libéralisme et du capitalisme, ne contient aucun principe de lien entre les peuples. Le libéralisme ne fait pas lien, au contraire le libéralisme est un principe de guerre sans combats physiques entre les peuples, puisqu'il fut au départ utilisé comme arme de guerre par les puissances maritimes, comme l'Angleterre puis les Etats-Unis, une manière de contrôler son adversaire à distance par le libre échange effréné. Bref le libéralisme est un cheval de Troie anglo-saxon qui a toujours été destiné à détruire ce qui pourrait faire lien en Europe et dans le reste du monde. La politique des Etats-Unis c'est la balkanisation du reste du monde, le morcellement en mini régions, contrôlables à distance, ce qu'ils veulent nous faire appeler (cette atomisation) "liberté". Comme le libéralisme ne fait pas lien, il n'y a pas de principes de justice qui peuvent unir les pays d'Europe. La justice entre les bêtes sauvages n'existent pas, de même la justice entre des nations différentes n'existe pas : elles se font la guerre, pire que des bêtes sauvages, et en Europe elles se font la guerre aujourd'hui par l'économie. Le libéralisme est un principe de destruction, non de construction. Ce qui se passe pour la Grèce est donc profondément injuste, mais comme l'Europe ne s'est pas construite comme un Etat de droit, fédéral, il n'y a pas de justice commune entre les différents pays d'Europe ; donc on ne peut même pas dire que c'est injuste. Trouvons-nous cela injuste lorsque nous écrasons une fourmi ? Il en va de même pour la Grèce, dans le rôle de la fourmi.
Lorsque Thatcher et Reagan complotaient derrière le dos de l'Europe pour instaurer l'ordre nouveau d'économie libérale, il s'agissait en fait d'une déclaration de guerre au reste de monde, entravant sa construction pour l'Europe vers un Europe fédérale, et Mitterrand se couchait, face à des "alliés" plus puissant que lui, et à partir de 1983, pouvait commencer la politique libérale de droite, qui continue encore aujourd'hui, et qui provoque tant de chômage, tant d'injustices : ce qui explique la désorientation de tants de nos compatriotes, qui sont aujourd'hui tentés par le vote extrême, qui nous conduira un peu plus vers le chaos. Mais nous sommes faibles et ce sont bien les Etats-Unis qui aujourd'hui dominent le monde, jusqu'à ce que peut-être un pays ou une fédération (aujourd'hui impossible à faire), retourne contre les Etats-Unis ses propres armes, le libéralisme économique, je pense à la Chine, et je suis presque pour la Chine (par esprit de vengeance ?).
Donc l'homme n'est pas bon naturellement, ce sont effectivement les institutions qui peuvent le rendre un peu meilleur, le libéralisme comme principe d'injustice, gâte un peu plus sa nature. Une fédération d'Etats au sein de l'Europe pourrait le rendre un peu meilleur ; souhaitons qu'elle se fasse.

Emmanuel Mousset a dit…

- Z, vous êtes pour, contre ou rien ?

- Ah, Jean Salem : bien sapé, chemise blanche, costard, cravate et surtout, j'en avais fait un point de fixation, des boutons de manchette dorés. Il nous parlait d'Epicure mais ne ressemblait pas à un épicurien (Macherey, au moins, ressemblait à un spinoziste).

Z a dit…

Je suis assez pour ce que tout un chacun reconnaît comme fondamental dans les relations entre humains :
Si tu donnes un poisson à autrui, tu lui permets de manger une fois, s'il veut bien le prendre (voire faire plusieurs repas s'il s'agit d'une personne parcimonieuse ou de peu d'appétit). Et alors, pas question de reprendre ce poisson au moment du repas en vertu de l'adage bien connu des cours de récréation qui précise : donner, c'est donné, reprendre, c'est volé.
Si tu apprends à autrui l'art de la pêche, et qu'il veuille bien apprendre ce que tu lui enseignes, tu lui permets de pouvoir manger tout le reste de sa vie mobile (tant du moins que le poisson ne fera pas défaut). Et alors, impossible de pouvoir reprendre ce qui a été enseigné.
Avancer des fonds aux grecs, c'est leur permettre de surmonter un cap, momentanément, si leur fierté surmontée, ils acceptent le don.
Leur prêter des fonds, idem mais prêter sans proposer les méthodes qui permettront de pouvoir rembourser, c'est comme si c'était donner.
Leur proposer donc les méthodes qui permettront de s'en sortir, c'est leur offrir l'opportunité de surmonter ce cap de manière pérenne si toutefois ils acceptent de les mettre en oeuvre, ces méthodes.
Reste quand même le point crucial : comment apprendre à autrui la façon de pêcher si l'instructeur ne connaît pas lui-même la manière ou les méthodes ?
Comment la France, endettée jusqu'au cou et même plus haut,incapable de se réformer elle-même peut-elle vouloir avoir la prétention de conseiller des méthodes à un pays qui n'en a pas ?
Comment un passant des bords du canal pourrait-il sauver un désespéré de la noyade sans que ce passant ne soit lui-même capable de nager ?
Pour sauver un désespéré qui s'accroche à son sauveteur au risque de le perdre avec lui-même, tous les sauveteurs le savent, il convient d'assommer d'abord préventivement l'être à sauver avant de le ramener en toute sécurité sur la rive.
Pour essayer de sauver un coin des Balkans, l'intervention musclée a été tentée il y a quelques années. La méthode coup de poing peut choquer mais quand elle réussit, elle se justifie a posteriori.
Comment se fait-il que l'Europe n'a pas prévu des mécanismes "musclés" lorsque la règle des 3% fut adoptée pour les nations la composant, des mécanismes interventionnistes, des méthodes coups de poings ?
Si cela s'était fait, l'intégration européenne, l'unification européenne, seraient en marche. Et certains ne seraient sans doute pas entrés dans l'entité européenne ou y auraient regardé à deux fois plutôt qu'une avant de signer...
Si cela ne s'est pas fait, c'est que chacun avait derrière la tête de "jouer" avec les règles comme d'aucuns essaient de jouer avec les règles du code de la route.

Emmanuel Mousset a dit…

Résumez-moi votre point de vue en cinq lignes : l'intelligence, c'est comme l'humour, plus c'est court, plus c'est efficace.

Z a dit…

C’est assez simple mais faire court pour faire court… Vous-même, faîtes-vous toujours court ? Considérons l’Europe. ‘’On’’ la veut état. Il lui faut être organisée comme un état. Il lui faut des lois communes et uniques établies en commun d’où un parlement européen établissant toutes les lois valables pour tous les européens et ne pouvant être contredites au niveau local. Pouvoir législatif. Il lui faut une justice commune et unique pour sanctionner les contrevenants aux lois communes. Le local ne pouvant exercer d’autre justice que celle-là. Pouvoir judiciaire. Il lui faut un exécutif commun unique ne pouvant être contredit au local. Pouvoir exécutif. Il y a plus de vingt nationalités intra-européennes mais la nationalité européenne doit un être un fait patent : un italien doit pouvoir être fonctionnaire en France comme en Pologne. Etc… L’union monétaire doit être de mise obligatoirement de même que l’union militaire, l’union policière, l’union douanière, etc…
Ce qui caractérise un état, c’est son unité de commandement politique comme militaire et sa politique intérieure comme extérieure ainsi que son pouvoir de lever l’impôt et de répartir les aides sociales ainsi que d’organiser l’éducation publique, la formation professionnelle et les soins publics aux malades. Tout cela de façon identique sur la totalité du territoire. Telle qu’a été conçue l’Europe actuelle, ce n’est qu’un attelage hétéroclite tiré par plus de vingt tracteurs différents. Comment éviter qu’il y ait du ‘’jeu’’ avec un tel chariot mu par un cheval, un porc, un mouton, un bœuf, un lapin, un coq, un ours et que sais-je encore ?
Ce qui caractérise un état démocratique, c’est que tout ce qui précède est issu de processus démocratique d’où des élections régulières et une instruction civique organisée non seulement scolairement mais aussi de façon extrascolaire et totalement continue.
‘’Vaste programme’’ aurait dit quelqu’un (et pas en volapuk).

Emmanuel Mousset a dit…

La différence entre vous et moi, c'est que je fais des billets, forcément d'une certaine longueur, et pas des commentaires, qui se doivent d'être concis.