mercredi 29 juillet 2015

Où va Michel Onfray ?



Comme chaque été, j'écoute sur France-Culture les conférences de Michel Onfray, dans lesquelles, depuis 13 ans, il nous présente une contre-histoire de la philosophie (à 11h00, puis rediffusion à 19h00). D'année en année, je me désole de l'évolution du philosophe, dont on se demande avec inquiétude jusqu'où elle va le mener.

Cette année, Michel Onfray s'est trouvé un nouvel adversaire, puisque qu'il pense essentiellement contre, par dénonciation systématique et virulente : le gauchisme culturel (sic), l'héritage de Mai 68. Pourquoi pas, me direz-vous ? Oui, mais pas de cette façon-là. Car c'est d'abord la méthode d'Onfray qui me déplaît : elle n'est guère philosophique, elle ne construit ni ne déconstruit aucun concept, elle s'inscrit plutôt dans une histoire critique des idées, pas dans une véritable pensée argumentée.

Bien sûr, il a délibérément choisi l'angle de la contre-histoire. Mais ça ne dispense pas de règles rigoureuses, absentes de ses deux premières conférences. L'intitulé même de "gauchisme culturel" est polémique, peu scientifique. Onfray amalgame des penseurs très différents. Surtout, il les fait parler, sélectionne leurs propos, plus qu'il n'essaie de comprendre et de nous expliquer leurs pensées. Quand il entre dans leur vie privée, la démarche devient franchement scandaleuse : le postulat qu'une existence éclaire une philosophie a bon dos.

Enfin, les approximations sont nombreuses, sans compter celles qu'on ne repère pas, tant les références foisonnent. Lors de la séance d'hier, sur l'université de Vincennes (à quoi j'aurai pu consacrer tout mon billet, puisque j'y ai étudié pendant une année), Onfray, pour souligner le mal qu'il pense de cette expérience "gauchiste", a cité la mésaventure arrivée au grand intellectuel Paul Ricoeur, que des contestataires avaient coiffé d'une poubelle : sauf que cette stupide provocation a eu lieu à Nanterre, pas à Vincennes.

Michel Onfray prend régulièrement soin, durant ses interventions, de rappeler que sa perspective n'est pas réactionnaire, qu'il ne s'inspire pas de ce point de vue-là. Sauf que la conférence d'hier s'intitulait "Le cheval de Vincennes", en référence à la ministre des Universités, la giscardienne Alice Saunier-Séité, qui détestait Vincennes et prétendait que même un cheval pouvait s'y voir délivrer un diplôme. Voilà la référence dont s'autorise Michel Onfray pour intituler, ce qui n'est pas rien, sa conférence. Et je pourrais continuer ainsi, à travers beaucoup d'exemples, qui prouvent que le philosophe n'est plus dans une trajectoire philosophique, mais politique et polémique. Pourquoi pas d'ailleurs, ça n'enlève rien à l'intérêt du propos, aussi discutable soit-il : mais autant annoncer la couleur.

La thèse d'Onfray est simple : Mai 68 a produit une culture nihiliste, violente, transgressive, sectaire, qui sévit jusqu'à nos jours et rend compte de bien des malheurs dont souffre notre société, déclin de l'école, montée de la pédophilie, oubli du peuple (entre autres). Cette thèse peut se défendre, comme n'importe quelle thèse. En ce qui me concerne, je n'y adhère pas du tout, je crois au contraire que Mai 68 représente un "soulèvement de la vie", pour reprendre l'expression du philosophe et écrivain Maurice Clavel. Je pense que l'apport de Mai 68 est essentiellement positif, en changeant les rapports entre les gens. Onfray n'est pas d'accord, soit : mais qu'est-ce qui le distingue, dans cette condamnation de Mai 68, d'un homme de droite ? Absolument rien. Il reprend une critique très ancienne, aussi vieille que l'événement, que les penseurs de droite ont mené aussi bien que lui. Etrangement, l'athée Onfray rejoint le pape Jean-Paul II, lorsque celui-ci qualifiait de "culture de mort" la société contemporaine.

Le pire, c'est lorsque Michel Onfray accuse le "gauchisme culturel" de ces années-là d'avoir fait le lit du Front national d'aujourd'hui. C'est idiot et odieux. Toutes les valeurs de Mai 68, sans exception, sont en opposition complète avec la culture nationaliste, autoritaire et xénophobe de l'extrême droite. Par quelle perversion de l'esprit, par quelle bassesse de la pensée, par quel raisonnement retors peut-on affirmer que la montée de l'extrême droite politique serait causée par l'extrême gauche culturelle ? C'est un attrape-gogos bien dans l'air vicié du temps ...

Où va Michel Onfray ? C'est clair et net : vers une pensée réactionnaire et populiste, bien en peine de trouver à gauche de quoi se justifier, même si le philosophe tient encore confusément à cette référence. Réactionnaire, parce qu'elle pratique le discrédit, le rejet d'une culture de gauche, progressiste, révolutionnaire, soixante-huitarde. Populiste, parce que le seul apport positif d'Onfray est de se tourner vers "le peuple", de se référer à lui (sans aucune conceptualisation de la notion), d'en faire une vertu en soi, qu'il oppose au mal en soi, "les élites". On reconnaît là une dialectique aujourd'hui très répandue, un préjugé bien peu philosophique, qui explique que Michel Onfray fasse régulièrement la une des magazines, comme récemment du Point. Son populisme n'a donc qu'un rapport lointain avec le peuple : c'est une arme de guerre qu'on retrouve au cœur de toutes les pensées réactionnaires contemporaines.

Il ne faut pas s'étonner que Michel Onfray trouve une large audience dans toute une partie de la population, que ses ouvrages y rencontrent le succès : il épouse son époque, surfe sur le mécontentement généralisé, cultive le désenchantement ambiant, lui donne des justifications, détruit les valeurs les plus sûres, porte le soupçon sur les maîtres à penser les mieux respectés. Il a le droit de jubiler à ce jeu de massacre, j'ai le droit de m'en inquiéter.

10 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Je ne suis absolument pas d'accord sur mai 68, pour parler de ce mouvement il faut l'avoir vécu. Le but d'une société n'est pas la jouissance des parents sur le dos de leurs enfants ; mais demande des sacrifices pour élever des enfants. Mai 68 a mis la vérité la tête à l'envers, nous en paierons encore longtemps le prix.

Emmanuel Mousset a dit…

Je n'ai pas connu Jeanne d'Arc ; ça ne m'empêche pas d'en parler.

Emmanuel Mousset a dit…

Rappel à Erwan et à tout autre commentateur : je ne publie pas les messages qui contiennent des éléments polémiques de leur vie personnelle (et qui impliquent autrui). Ce n'est pas de la censure, c'est une règle de respect. Restons dans la réflexion politique générale.

Anonyme a dit…

Mon papa me donnait des fessées ; qu'en pensez - vous ??
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Emmanuel Mousset a dit…

Il avait raison.

Anonyme a dit…

Vous avez publié des éléments polémiques de ma vie privée et le brave Président HOLLANDE a pourtant dit que les problèmes de la vie privée se réglaient en privé !!
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Emmanuel Mousset a dit…

Votre propos ne renvoyait nommément à personne, pas même à vous, puisque vous restez anonyme. Le message est donc recevable.

Hollande, sur ce coup-là aussi, a raison.

Erwan Blesbois a dit…

Pourquoi y a t il un rapport entre la montée du front national et mai 68 ? Deux générations ont été fragilisées et abîmées par ce mouvement. L'une des désormais 35-50 ans qui vote peu FN, qui a été "conditionnée" par SOS racisme, et autres dans sa jeunesse à avoir "la haine" du FN ; génération festive, narcissique, peu créatrice, qui vit de plaisir et de fêtes, peu politisée à la différence de la génération 68, très politisée dans sa jeunesse mais qui a transformée des valeurs gauchistes en valeur libérales économique de droite, de réussite. On ne peut en vouloir à une génération d'avoir pris le pouvoir parce que l'occasion se présentait, notamment pour des raisons démographique, la génération 68 c'est celle du baby boom, c'est le nombre. Ensuite ce sont maintenant sous des slogans pervertis et éculés, mais dont on sent l'origine soixante-huitarde, que les grandes enseignes voire multinationales française vendent leurs produits. L'autre génération abîmée et fragilisée par mai 68 est celle des 18-35 ans, celle là vote massivement FN, car elle subit de plein fouet les conséquences de la politique économique libérale de droite, c'est-à-dire de la crise, qui est une composante nécessaire de toute politique économique ultra-libérale ; puisque l'ultralibéralisme est un cheval de Troie anglo-saxon, et que c'est une façon de se faire la guerre par la voie économique, pour affaiblir notamment les Etats continentaux, il faut qu'il y ait des victimes (les chômeurs), et des vainqueurs (les super enrichis). Les intérêt des héritiers de 68 et les valeurs économiques d'origine anglo-saxonnes se sont rencontrées, derrière le dos du général De Gaulle qui doit se retourner dans sa tombe, lui qui voulait réellement unir les Français (les hommes politiques qui aujourd'hui répètent ce leitmotiv font malheureusement pâle figure mais y croient-ils vraiment ?), et derrière le dos de leurs enfants qui aujourd'hui votent FN. Alors que le but d'une société n'est pas l'enrichissement d'une génération (celle de 68), mais demande de réels sacrifices pour élever des enfants, ce qui n'est plus le cas. Alors bravo Michel Onfray, que je n'ai ni lu ni écouté sur ce sujet, mais je pense que je suis d'accord avec lui, de s'en prendre à la génération qui a le pouvoir financier et symbolique, et ne veut le partager.

Erwan Blesbois a dit…

Toute politique économique libérale est forcément de droite, politique libérale de gauche est un oxymore, car le libéralisme économique postule l'inégalité entre les hommes, son fondement est dans le protestantisme qui postule a priori que certains hommes seront sauvés ici-bas par la réussite sociale (dont le signe est l'argent) ; tous les autres n'ont pas été élus, ils seront maudits ici-bas et dans le royaume des cieux, pour ceux qui y croient, les protestants pratiquants à l'origine de l'éthique du capitalisme y croient. Il suffit de visionner le moindre film américain, avec ses "méchants"(maudits) très prononcés, pour voir que les Américains y croient, Bill Gates est le "good guy"par excellence.

Erwan Blesbois a dit…

Pour un Français vaguement rousseauiste et existentialiste comme moi, Bill Gates est un "salaud" de patron dont le corps et "l'âme" se décomposeront après la mort sans espoir de salut, encore que je n'en soit pas complètement certain, car j'ai un fond catholique, il sera peut-être damné d'avoir exploité tant de gens pour s'enrichir. Pour ma part j'ai déjà dépensé bien plus de mille euros en licence microsoft, multipliez ça par le nombre d'habitants sur Terre, et vous aurez une idée de la fortune de Bill Gates.