jeudi 30 juillet 2015

Obligation de résultats



Il y a deux jours, François Hollande a répété ce à quoi il s'est engagé dès le début de son mandat : il ne se représentera pas s'il échoue à faire reculer le chômage, de façon significative et durable. Voilà une attitude honorable, sur laquelle il n'y a rien à redire, qu'on soit de droite ou de gauche. On peut contester la politique de Hollande, on ne peut pas contester l'obligation de résultats qu'il s'impose à lui-même.

C'est du moins ce que je pensais, ce qui me semblait évident jusqu'à hier matin, où Xavier Bertrand, sur BFMTV, a durement critiqué sur ce point le président de la République, et encore ce matin Benoît Apparu, sur France-Inter, une critique tout aussi sévère, allant dans le même sens. J'ai noté leurs arguments, j'y ai réfléchi, les voici, et ma réponse :

François Hollande, en liant une éventuelle candidature à la réussite de sa politique de l'emploi, ne penserait qu'à lui-même, qu'à son destin, alors que les Français demandent à ce qu'on s'occupe de leurs problèmes. Un chef de l'Etat n'aurait pas à évoquer sa possible réélection, ne devant travailler que pour l'instant présent, sans autre préoccupation. On ne fait pas de la politique pour être candidat. Voilà, en substance, le point de vue de Xavier Bertrand et Benoît Apparu. Comme quoi tout comportement politique, même celui qu'on pense être le plus honorable, peut susciter la critique. Mais celle-ci est-elle tenable ? Je ne crois pas. Voilà pourquoi :

D'abord, en disant qu'il ne se représentera pas en cas d'échec, François Hollande fait acte de sincérité. Il pourrait cacher sa pensée, tergiverser, dire le contraire de ce qu'il a en tête, comme un cynisme de base, un machiavélisme élémentaire peuvent le recommander : il n'est pas dans cette perspective-là, et ça me plaît. J'ai toujours préféré en politique le "parler vrai", pour reprendre l'expression de Michel Rocard. On peut ne pas être d'accord avec la règle que François Hollande s'impose à lui-même, mais on peut lui reconnaître ne pas mentir à ce sujet (sauf à considérer que le mensonge serait une vertu en politique).

Ensuite, François Hollande fait acte d'honnêteté. Il s'est fait élire essentiellement en vue de faire reculer le chômage. S'il ne réussit pas, il est normal qu'il renonce à un second mandat. Plus que de l'honnêteté, c'est même de la logique : ce qu'on ne réussit pas en cinq ans, on ne le réussira pas mieux en dix ans. Ce faisant, Hollande ne se préoccupe-t-il que de son avenir ? Pas du tout, sinon il ne dirait rien, ne s'engagerait pas sur un point aussi sensible, laisserait planer le doute. Par sa promesse, le chef d'Etat prend des risques énormes. Ses adversaires sauront lui rappeler, le moment venu, son engagement. Un homme soucieux de préserver son avenir politique, de rester à la place éminente qui est la sienne, n'agirait absolument pas ainsi.

Pourquoi alors Xavier Bertrand et Benoît Apparu ne partagent-ils pas mes arguments raisonnables et incontestables ? D'abord pour une raison triviale : ils sont de droite et je suis de gauche. L'un et l'autre sont fidèles, malgré eux, à la formule mitterrandienne (à laquelle je n'adhère pas) : toute opposition doit être inconditionnelle. Il ne faut rien céder à l'adversaire.

Surtout, je vois une autre raison à leur réaction hostile à ce qui semble d'un honnête bon sens : la prise de position de François Hollande est inédite, en contradiction avec toute notre culture politique nationale, de droite ou de gauche. On n'a jamais vu un homme politique renoncer à se présenter parce qu'il n'avait pas atteint ses objectifs, quels qu'ils soient. Hollande introduit un principe nouveau en politique, qui n'existe aujourd'hui que dans le monde professionnel : l'obligation de résultats.

La politique est sans doute la seule activité sociale qui ne se soumet à aucune obligation de résultats : on peut s'y tromper, s'y renier, prendre des décisions désastreuses, aboutir à des conséquences catastrophiques, adopter un comportement éthique contestable et cependant ne se sentir nullement pénalisé par autant de points négatifs, ne penser avoir aucune responsabilité dans les effets d'une politique qui est pourtant la vôtre. C'est assez étonnant, c'est évidemment contre-productif.

En politique, un incompétent faisant la preuve de son incompétence ne se posera aucun problème de conscience. Au contraire, il tirera quelque fierté à échouer tout en se maintenant au pouvoir. La politique est peut-être la seule activité au monde où persévérer dans l'erreur est considéré comme une forme d'habilité, de courage, de ténacité. La valeur d'un homme ne s'y mesure pas à ce qu'il fait de bien, mais à sa capacité à se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. C'est avec cette tradition non écrite que François Hollande a décidé de rompre.

L'absence d'obligation de résultats en politique n'est pas le fruit du laxisme, de la facilité ou d'une quelconque malfaisance : non, c'est la conséquence de la démocratie ! Un élu considère, à juste titre, qu'il n'a à être jugé que par ses électeurs, et pas par ses résultats. Qu'il n'a de comptes à rendre qu'au suffrage universel. De fait, il n'est pas rare de voir des élus incapables et corrompus se faire réélire ou de mauvais candidats se présenter. A l'inverse, un bon bilan n'est pas un gage de réussite. L'exemple le plus spectaculaire est celui de Winston Churchill : il gagne la guerre ... et se fait battre, juste après, aux élections législatives !

Je ne conteste pas que la souveraineté populaire soit le seul juge, l'unique arbitre en démocratie. C'est bien l'élection et l'électeur qui ont le dernier mot. François Hollande pourrait fort bien, en toute légalité et légitimité, se représenter en 2017, alors que le chômage n'aurait pas baissé : ce sera au peuple, de toute façon, à se prononcer. Mais je trouve positif, exemplaire qu'il adopte pour lui-même cette obligation de résultats, avant toute expression de la "volonté générale", comme la nommait Jean-Jacques Rousseau.

Les faits sont les faits, un engagement est un engagement : il n'y a pas à continuer une politique qui n'aurait pas donné de résultats conséquents. A une époque où la classe politique est très décriée, souvent injustement, le principe d'obligation de résultats, qui doit rester bien sûr une règle éthique individuelle, pas une norme institutionnelle, me semble d'une grande utilité, et c'est peut-être ce sur quoi pourraient s'accorder Xavier Bertrand et Benoît Apparu.

On dit souvent qu'on ne se fait pas élire sur un bilan, mais sur un projet, que la politique n'a pas d'obligation à l'égard du passé, mais de l'avenir. Oui, bien sûr, le peuple attend un projet sur lequel se prononcer. Mais, au préalable, l'examen du bilan me semble indispensable. Et quand l'élu du peuple fait son propre examen là-dessus, avant que ne se prononce le peuple, je trouve ça très bien.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Hollande ôte au PS tout pouvoir de décision et c'est la pire des situations !
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Emmanuel Mousset a dit…

Le PS est libre de ses décisions et se donnera, le moment venu, le candidat de son choix. Le président de la République, lui aussi, est libre, de se présenter ou pas.

Anonyme a dit…

AH , il a quitté le PS ??? Et sa majorité c'est quoi ??? Un coquille vide ??
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Emmanuel Mousset a dit…

Non, il est devenu président de la République, redevable à tous les Français, et plus aux seuls socialistes. Sa majorité est à l'Assemblée nationale.