jeudi 16 juillet 2015

L'été grec de la gauche française



Les événements en Grèce ont et auront des conséquences sur la gauche française. D'abord parce que François Hollande s'est fortement impliqué, que le Parlement s'est exprimé, que les positions des partis politiques ont été très contrastées. C'est une crise qui fera date. J'en tire déjà trois leçons principales pour la gauche :

1- L'échec de la gauche antilibérale. Elle est arrivée au pouvoir en Grèce en croyant pouvoir échapper à l'austérité, établir un rapport de force favorable : elle a échoué. Cette défaite est source de pédagogie pour la gauche française : on ne peut pas échapper à la rigueur économique, même quand on fait partie de ses adversaires, à la façon d'Alexis Tsipras première manière. En France, nous avons assisté à un étrange spectacle politique : la troïka gauche de gauche (Mélenchon, socialiste tradi, Laurent, communiste toujours, Lienemann, mélenchoniste refoulée) a soutenu, contre toute attente, un accord qui augmentait la TVA, reculait le départ en retraite et procédait à des privatisations.

Ces anti-réformistes ont été réformistes quelques jours seulement. Au terme de la négo, quand il a fallu passer des compromis, ils ont dénoncé l'accord et lâché Tsipras. Cette gauche d'opposition ne saura jamais prendre ses responsabilités, avoir le sens de l'Etat et adopter une culture de gouvernement. Ce qui la condamne, ce qui fait qu'elle n'a aucun avenir en France, ce n'est pas sa prise de position, estimable comme n'importe quelle prise de position, même quand on ne la partage pas : non, ce qui la condamne, c'est qu'elle ne va pas au bout de sa logique, et que la timidité est fatale en politique.

Pour que la gauche antilibérale soit cohérente avec elle-même, il faudrait qu'elle prône la sortie de la zone euro et la dissolution de l'Union européenne (l'extrême gauche, plus structurée idéologiquement, va jusque-là) : à défaut, elle n'a aucune crédibilité, elle joue à cloche-pied, un jour pour Tsipras, le lendemain contre Tsipras. La vérité, c'est que cette gauche-là ne se sent bien que dans l'opposition, se bat pour obtenir des places mais refuse d'accéder au pouvoir (parce que son exercice est perçu comme une inévitable trahison de soi-même et une déception des siens).

2- L'extrême droite comme adversaire absolu. Faire de la politique, c'est désigner un ennemi et le combattre. Les ennemis de la gauche, ce ne sont pas les "créanciers", l'Allemagne, la Banque centrale, le FMI ou la Commission européenne, qui sont des institutions, sans doute réformables, mais pas à dénoncer ou à combattre, contrairement à ce que pense la gauche antilibérale. On lutte contre des forces politiques, pas contre des institutions.

Durant la crise grecque, la force politique la plus hostile à l'Europe, la plus hostile à toute solidarité internationale, la plus favorable à une dissolution de la zone euro, c'est, dans la plupart des pays d'Europe, l'extrême droite, qui s'appuie sur son idéologie nationaliste, xénophobe et ultra-libérale (son rejet de l'austérité n'est que tactique, ponctuel, tout comme le fascisme en son temps s'est réclamé de valeurs de gauche par pur populisme). L'adversaire absolu, c'est l'extrême droite, aujourd'hui comme hier. Dans les années 30 déjà, elle précipitait les peuples dans la crise économique pour en retirer des bénéfices électoraux. Sa politique est celle du pire, par laquelle elle espère parvenir au pouvoir, le plus légalement du monde, bien qu'elle soit antirépublicaine. Elle y est arrivée en Finlande, elle pourrait y accéder demain en France, si nous n'y prenons pas garde.

3- Réaffirmation et recomposition de la social-démocratie
. En France et en Europe, le soutien le plus fort à Alexis Tsipras est venu de la social-démocratie, notre pays en tête. Pourtant, le Premier ministre grec n'est pas social-démocrate. Mais c'est la réalité qui compte, pas l'étiquette qu'on met dessus. Tsipras a signé un accord qui n'est pas parfait, qui n'est pas idéal, qui est même discutable, parce qu'en politique rien n'est jamais parfait, rien n'est jamais idéal, tout est toujours discutable. Sauf qu'au pouvoir, à la tête d'un gouvernement (et c'est vrai de n'importe quel exécutif, y compris d'une ville), il faut faire des choix, trancher en faveur de ce qui semble être la moins mauvaise des solutions (l'avenir, lui seul, le dira). Il faut prendre des risques, avoir du courage, composer avec les partenaires, renoncer à certains points qui tiennent pourtant à cœur. Et par dessus tout, il faut assumer. La phrase la plus importante qu'aura prononcée hier Alexis Tsipras, qui fait de lui un grand politique, c'est : "j'assume".

Non, cet accord n'est pas celui de ses rêves ; non, il n'est pas bon en tout point. Mais il fallait prendre une décision, dans le sens de l'intérêt général : choisir de sacrifier une partie des avantages des classes moyennes et mieux protéger les classes populaires. Ce choix de classe, pour parler comme les marxistes, doit aussi inspirer la social-démocratie française. Radical de tradition, Alexis Tsipras est devenu réformiste face à l'événement, confronté aux responsabilités et aux contraintes du pouvoir.

Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, ce sont pour la gauche française des exemples à suivre, des sources d'inspiration et de réflexion. Car ces mouvements incarnent une gauche qui change, qui se cherche, qu'on ne peut pas réduire à l'extrême gauche classique ni au socialisme traditionnel. Ces mouvements, libérés de leur aile gauche, de leur courant radicalement antilibéral, peuvent devenir des modèles de social-démocratie en voie de renouvellement. Ils sont profondément européens ; or, c'est autour de la question européenne qu'une recomposition de la gauche est en train de s'effectuer, depuis quelque temps déjà.

Electoralement, le PS ne peut plus guère envisager une alliance avec le Front de gauche, surtout après l'épisode grec et le vote d'hier au Parlement. C'est vers les centristes qu'il faut se tourner : PS et UDI, avec le centre gauche (PRG), sont les seules forces politiques qui ont affiché massivement leur soutien à Alexis Tsipras. Nous savons maintenant que la gauche de la gauche n'est pas soluble dans la social-démocratie. Le PS français a commencé à en tirer les leçons, surmontant de tenaces et illusoires nostalgies. Le travail de recomposition doit se poursuivre, pour que l'été grec ne se transforme pas en hiver français.

6 commentaires:

Evi a dit…

Bravo,
avec ce billet tu t'es racheté sur les inexactitudes que tu avais publié sur les grecs et la Grèce
une de tes meilleurs analyses et le titre banco!!!!!!!
Evi Ralli

pour ceux qui veulent aller plus loin sur la connaissance de la Grèce d'aujourd'hui
lire "La Grèce et les Balkans" tome I d'Olivier Delorme

Erwan Blesbois a dit…

Hier en procédant à un état de sortie des lieux, avec un "propriétaire", j'ai pu constater le degré de xénophobie d'un "Français moyen", profondément malhonnête, près à écraser tout sur son passage pour obtenir quelques misérables euros, et tenant par dessus le marché des propos absolument outranciers sur les "Arabes". Il me demande plus de 1000 euros pour des vices imaginaires sur sa maison, après m'avoir dit texto six mois plus tôt que "tous les Arabes sont des voleurs", mais je me demande jusqu'à quel point je ne vais pas porter plainte contre lui pour "injures raciales". Je sais que beaucoup de musulmans ont du ressentiment "anti-Français", mais au vue de ce personnage, je dois admettre avec Emmanuel Mousset que le pire fléau est le racisme et la xénophobie, et qu'il faut faire une place à nos compatriotes musulmans. Je ne sais pas comment on peut changer le caractère de ce type d'odieux personnage, c'est trop tard pour lui, donc c'est à l'école que doit commencer le combat contre le racisme et la xénophobie, ensuite c'est effectivement en politique que l'on doit lutter contre les idées rances et sales du FN.

Emmanuel Mousset a dit…

Méprise-le ou insulte-le.

Erwan Blesbois a dit…

Je ne me suis pas gêné pour copieusement l'insulter, il n'en revenait pas. Un type habitué toute sa vie à humilier les plus petits que lui, j'ai failli lui coller ma main à la figure, il avait un peu peur. Le seul hic, on habite dans le même village et "tout se sait".

Emmanuel Mousset a dit…

Bravo Erwan. Tu me fais penser à Jed, le héros très pacifique de Houellebecq dans "La carte et le territoire", qui gifle violemment la secrétaire qui lui annonce que son père a été euthanasié et incinéré (pp. 375-376, chez Flammarion).

Anonyme a dit…

"Faillir lui coller la main à la figure"...
Comme presque toujours sur ce blogue, on reste dans le domaine du velléitaire...
Les plus respectueux des droits humains ne font quasiment jamais le poids face aux ultras...
De gauche ou à peu près, il n'y a pas beaucoup de mains qui ont tremblé dans notre histoire au moment d'agir... Maximilien et ses compères sans doute mais qu'est devenue leur postérité ?
Encore hier, en parlant d'un jeune musulman terminant son ramadan, on m'a dit bien en face, "le p'tit marocain" et j'ai rectifié tout aussitôt bien en face et sans laisser le temps d'exposer la suite : "le jeune français, pas le p'tit marocain !" et l'autre tout surpris a concédé... "Oui, français, mais à sa majorité ?"
- A sa majorité, à tous coups si vous lui dites sans arrêt que c'est un marocain, il se positionnera pour ce pays... Mais si vous lui dites tout autant sans arrêt qu'il est français, peut-être hésitera-t-il et choisira-t-il la France !
Et l'autre, un bon français, bien pensant comme il faut, votant à dextre vraisemblablement d'en convenir...
Pas toujours besoin de foutre le poing sur la gueule pour mettre les points sur les i...