vendredi 3 juillet 2015

Adieu Guignols



Je suis surpris par tout le bruit fait autour de l'hypothétique disparition de l'émission de Canal+, Les Guignols de l'Info. Le sens politique qu'on cherche vainement à y mettre ne me convainc pas du tout, pour cinq raisons :

1- La formule a vieilli, s'est un peu aigrie, se répète. C'est normal, après presque trente ans d'existence. Peu d'émissions atteignent un tel record de longévité. Qu'elle puisse s'arrêter n'est donc pas choquant, mais dans l'ordre des choses. Pour ma part, j'ai regardé les Guignols dans les premières années, ils m'ont bien fait rire, et puis beaucoup moins, je les ai laissés, sans volonté particulière : l'oubli s'est installé petit à petit. De leur fin, je ne vois pas motif à en faire une affaire nationale.

2- Plusieurs hommes politiques, y compris de très haut niveau, se sont levés pour protester contre cette disparition. C'est assez étonnant. D'abord, je ne crois pas que ce soit le rôle d'un personnage public, surtout d'un rang élevé, de se prononcer sur le maintien ou non, sur la qualité ou pas d'une émission de divertissement. Mais le plus étonnant, c'est de prendre la défense d'une émission qui vous attaque, vous ridiculise, vous rabaisse. J'en viens à me demander si les hommes politiques, de tout bord, ne vont pas chercher dans les Guignols de l'Info le peu de popularité qu'il leur reste. Les plus malheureux sont ceux, finalement, qui n'ont pas leur marionnette. En arriver là pour assurer sa promotion et sa notoriété est quand même un peu triste.

3- On présente la possible disparition des Guignols comme une quasi atteinte à la République, qui se verrait ainsi privée d'un indispensable espace de liberté, de dérision, d'insolence. Mais c'est l'ensemble des médias qui sont aujourd'hui, et depuis déjà longtemps, occupés, cannibalisés par ce genre d'émissions, très diverses. A l'intérieur même des sérieux journaux d'actualités, il y a des tribunes offertes à des comiques, des billets d'humeur et d'humour. Nous vivons dans une société qui rit et ricane énormément, où le sarcasme, la moquerie sont érigés en règle. Moi-même, j'y participe, en assurant la chronique de l'actualité "décalée" dans un journal local gratuit, alors que ce n'était vraiment pas ma destination initiale ... Ce n'est pas la fin des Guignols qui va mettre un terme à cet état d'esprit, à cette tendance lourde. Pour une bouffonnerie de perdue, on en retrouvera au moins dix. La mort du Muppet Show, qui lui aussi nous a bien fait rire, n'a pas été en son temps la mort du rire, encore moins la mort de la démocratie.

4- Certains, plus finauds, théorisent sur la place de "bouffons du roi", qui serait impartie à nos Guignols, et déplorent donc qu'on leur coupe la tête. Cette fonction d'amuseurs publics, d'iconoclastes, de brocardeurs des puissants serait inhérente à la démocratie. Je n'adhère pas à cette théorie, qui se contredit. En effet, le "bouffon du roi", comme le nom et l'idée le suggèrent, n'a de signification que dans une monarchie absolue, où les libertés sont réduites, où souvent une religion est hégémonique, où les mœurs sont étroitement surveillées. Dans ce type de régime politique, il y a nécessité à un "bouffon du roi", pour mettre des limites, parce qu'elles n'existent pas, au pouvoir excessif. Le bouffon comme le carnaval, sous la monarchie, au Moyen Age, sont en quelque sorte des soupapes de sécurité, de très précaires manifestations de la liberté envers les grands, qui retrouvent assez vite leur autorité indiscutée. La République n'a pas besoin de bouffons ou de guignols, parce qu'elle est un régime où le citoyen est libre, où la critique est permise, où le seul souverain est la volonté du peuple.

5- Les Guignols de l'Info sont une bonne émission, dont les conséquences sont cependant souvent déplorables. Je l'ai remarqué depuis longtemps, auprès des jeunes, de mes élèves, mais aussi chez les adultes. Car cette émission, dont le seul but est de faire rire et qui y parvient efficacement, a été, par beaucoup, prise au sérieux. Elle a constitué pour certains leur unique source d'informations, alors que ce n'est pas une émission d'informations. Combien de nos concitoyens ont-ils acquis une "culture politique" rien qu'en regardant les Guignols ? C'est là où il y a maldonne, ambiguïté et même imposture (les réalisateurs n'y sont pour rien, le succès leur échappe, on n'est pas toujours maître des effets qu'on produit chez les autres).

Les Guignols de l'Info ont involontairement participé au discrédit de la politique, au nihilisme contemporain, à la relativisation des valeurs. Il n'y a rien de plus terrible qu'un rire qu'on prend au sérieux. L'humour est, par définition, excessif, injuste, caricatural, salutairement mensonger. "C'est pour de rire !" comme disent les enfants, ce qui veut dire : ce n'est pas vrai. Or, bien des spectateurs des Guignols, j'ai pu le constater, prennent pour argent comptant tout ce qui sort de la bouche des marionnettes, l'assimile à une véritable analyse politique. Les Guignols de l'Info sont devenus progressivement un critère de ce qu'il faut penser, du juste et du vrai, alors qu'ils ne sont initialement qu'un exercice de dérision, grotesque et sans signification particulière.

Mine de rien, les Guignols nous assènent une forme de morale. C'est là qu'ils deviennent très contestables, quand ils sortent, malgré eux, de leur fonction de pur divertissement. C'est sans doute pourquoi tant de gens fort sérieux, occupant d'éminentes responsabilités, se sont souciés du sort des Guignols ces dernières heures. Entre gens sérieux, on se comprend et on s'inquiètent. Il n'y a pourtant pas de quoi. Il faut dire aussi que ces gens sérieux, dans la classe politique ou médiatique, avaient fini par parler le langage Guignols, comme le fameux "pile poil", dont l'usage s'est répandu dans toutes les classes de la société.

Alors, que les Guignols partent ou restent, ça n'a aucune importance : tant pis ou tant mieux, sans rancune et sans regret.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

ALEX du COURRIER PICARD et ses collègues des autres journaux sont devenus aussi au fil du temps des prolongements des GUIGNOLS trouvant l'inspiration dans les milieux politiques ... Et dans un registre très proche ...
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Anonyme a dit…

ce qui est choquant c'est que cette disparition de l'antenne ne soit pas la conséquence d'une perte d'audimat, d'une lassitude des téléspectateur mais simplement de la volonté d'un homme d'affaire agacé par l'impertinence des auteurs de ce divertissement.
A notre époque le citoyen refuse qu'on censure une émission qui dérange les puissants.
c'est inacceptable, même sur une chaine privée.

D a dit…

Vous dites : " Les Guignols de l'Info ont involontairement participé au discrédit de la politique, au nihilisme contemporain, à la relativisation des valeurs. "
Voilà qui est discutable.
Sans être expert, ma conviction profonde est tout au contraire que c'est volontairement que ces guignols ont participé au mélange des valeurs, au nihilisme, au discrédit des politiques, ces derniers donnant sans cesse aussi des verges pour se faire battre...
Regrettable tout ça !
"On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui" disait le présentateur de la minute de Monsieur Cyclopède.
Devant les écrans, justement, il y a n'importe qui.

Anonyme a dit…

Des guignols il y en a partout ; à commencer par ce MAIRE enseignant qui a fait de LALANNE le dieu de FRESNOY ; NERON en VERMANDOIS ; au point de donner de son vivant ce patronyme au stade lieu d'éducation des enfants et ados .... Soyons clair , en d'autres temps , il aurait été banni à JAMAIS du territoire sous la vindicte populaire ..La justice suit son cours à la vitesse de l'escargot; et ce cochon de contribuable paie l' addition comme d'habitude ..
Garçon l' addition si vous plait .....
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Emmanuel Mousset a dit…

Vous-mêmes, peut-être, êtes-vous un guignol ... puisque vous avez l'air de bien connaitre le sujet.

Anonyme a dit…

Je préfère le guignolet et vous ??
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Emmanuel Mousset a dit…

Je ne connais pas. Un alcool ?

Anonyme a dit…

Avec modération et en plus c'est pas loin de chez vous ....

Le guignolet est une liqueur originaire d'Anjou à base de cerises aigres et noires. Il doit son nom à la guigne, l'une des espèces de cerises qu'il utilise dans sa préparation. La griotte et la marasque peuvent aussi entrer dans la recette de fabrication qui depend de chaque fabricant. La macération des cerises donne un jus alcoolique qui sera sucré afin de neutraliser l'acidité naturelle des fruits.

Le guignolet a un volume d'alcool oscillant entre 16 et 18°, et se sert sans glaçon en apéritif, ou, selon les goûts, avec du kirsch, du gin ou encore de la vodka. Il peut aussi servir d'ingrédient dans des cocktails, notamment le « Guignolo », qui inclut Champagne et nectar de cerise1.

Le Guignolet d’Anjou fut inauguré par une religieuse de l’abbaye des Bénédictines de Saumur en 1632.

En 1834, Jean-Baptiste Combier fonde une distillerie, une première à Saumur, qui est alors le berceau du guignolet.

À partir de 1849, Adolphe Cointreau vend des liqueurs qu'il élabore lui-même dont le fameux « Guignolet d'Anjou ».

L'entreprise Giffard fabrique également un Guignolet Kirsch mais aussi le Guignolet d'Angers à partir de cerise (guigne) d'Anjou.
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Emmanuel Mousset a dit…

Délicieux ...