vendredi 24 avril 2015

Une société en état d'alerte



J'étais tranquillement hier soir en train de regarder la télévision. J'attendais un reportage tardif sur les Hauts-de-Seine, fief de la droite, quand un bandeau en bas de l'écran est venu m'importuner. Il était question d'une petite fille enlevée, d'une camionnette blanche aperçue, d'un homme d'une quarantaine d'années. Bref, un vrai film américain. L'annonce demandait de ne surtout rien faire, mais d'appeler la gendarmerie, coordonnées à la clé. Je n'avais jamais vu ça. Mais je ne suis pas tout le temps devant ma télé. Comme c'était BFM, je me suis dit que nous étions dans le sensationnalisme qui caractérise cette chaîne : la mise en scène des malheurs du monde, avec bien sûr la morale compassionnelle, les bons sentiments qui vont avec.

J'ai changé de chaîne, mais ailleurs, sur plusieurs autres, mêmes phrases qui défilent, en boucle ou plutôt en ligne, ininterrompues, continuellement, avec l'effet obsessionnel que provoque toute répétition, surtout quand son contenu est dramatique. Même quand François Hollande est intervenu en direct sur BFMTV, du Parlement européen, nous avons eu droit au message en rouge vif, pour marquer son importance. "Alerte enlèvement", qu'il s'appelle, comme un titre de film lui aussi, américain évidemment. La morale et les bons sentiments ne doivent pas nous empêcher de réfléchir. J'ai toujours entendu dire que les témoignages spontanés et intempestifs polluaient un début d'enquête, égaraient la police sur de fausses pistes, faisaient perdre le temps précieux et décisif des premières heures. D'autant que l'alerte est lancée dans le pays entier, en direction de dizaines de millions de gens qui de toute façon ne sont pas concernés et ne peuvent rien apporter, loin qu'ils sont du méfait.

Autre question qui me titille l'esprit : cette collaboration qui me semble malséante et discutable entre la gendarmerie et les grands médias, dont le modèle est, je suppose, américain. Car jusqu'où va-t-on aller comme ça ? Une opinion obsédée par sa sécurité n'attend que ça : transformer chaque citoyen en petit policier, en petit justicier. Heureusement que c'est pour la bonne cause ! Imaginez un peu que ce soit pour la mauvaise ... Mais ce qui me préoccupe surtout dans ce système d'"alerte enlèvement", ce sont les effets produits sur le public qui regarde sa télé. Autrefois, il fallait au moins qu'un président de la République meurt pour que défilent sur nos écrans des messages exceptionnels. Aujourd'hui, tout est plus ou moins exceptionnel. Une telle alerte accrédite l'idée d'une société de tous les dangers, où les gamins peuvent se faire kidnapper au coin de la rue par des "prédateurs" (selon le vocabulaire en usage). Elle contribue à augmenter la peur qu'elle prétend diminuer. Elle caresse dans les têtes la fausse solution d'une société de surveillance mutuelle.

La notion d'alerte entre d'ailleurs de plus en plus dans notre culture, dans nos moeurs. Il y a l'alerte météo, sans doute l'ancêtre, qui passe par toutes les variations du temps : canicule, grand froid, pluie, vent, orage ... Devant notre télé, nous nous régalons de tous ces détails, de cette surprotection dont nous gratifie Maman Météo. Il y a aussi l'alerte grippe, une carte qui rougit au fur et à mesure qu'avance le front de la maladie. L'alerte allergie s'occupe de nos yeux qui piquent et de nos nez qui coulent. A la télé (toujours la télé), j'ai entendu une dame, entre deux atchoum, se plaindre du "calvaire" (sic) qu'elle subissait. Comme nous étions dans la semaine pascale, elle aurait pu aussi utiliser l'image du "chemin de croix". La morale compassionnelle s'épanche autant sur nos petits que sur nos grands malheurs. N'oublions pas l'alerte pollution et ses fameuses "particules fines" : à chaque fois que je vais à Paris, j'ai l'impression d'en avaler à pleine bolée et d'en ramener à Saint-Quentin sur mon manteau.

Ce qui est rigolo, c'est qu'on ne comprend strictement rien à toutes ces cartes d'alerte, qu'elles ne nous servent généralement à rien, mais qu'elles sont esthétiquement très réussies, un peu comme de jolis dessins d'enfants. En matière d'alerte, nous pourrions en imaginer bien d'autres dans l'avenir, et mes exemples ne sont pas limitatifs. La réaction d'alerte a donc tendance à devenir un mode de vie, un comportement éthique : compassion, précaution, alerte, tout se tient. Nos ordinateurs eux aussi bénéficient de système d'alerte électronique, pour nous prévenir. Mais de quoi, au fait ? De plein de choses plus ou moins importantes. Mais l'important n'est pas de quoi nous sommes prévenus, mais le fait d'être prévenus. Car nous voilà rassurés, même quand il n'y a pas danger. Chaque civilisation a son cri de guerre ou de joie. Le nôtre, c'est alerte !

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Il ne faut pas envoyer de secours au NEPAL , c'est une alerte trop vite lancée par des moyens modernes ...

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Emmanuel Mousset a dit…

Il y a du vrai dans votre remarque, sous une apparence ironique et même bouffonne. Rappelez-vous le tsunami en Asie du sud-est il y a 10 ans : l'énormité des dons était devenue parfaitement inutile, contre-productive, juste bonne à satisfaire la bonne conscience occidentale, mais détournant les efforts qu'auraient mérités d'autres drames. Dans ce genre de situation, ce sont les secours sur place qui sont essentiellement efficaces.

Anonyme a dit…

ALERTE ORAGES dans le VERMANDOIS !

Anonyme a dit…

L'alerte enlèvement dure depuis des années.
Quant à l'alerte aux particules fines, elle ne concerne pas que Paris : la Picardie est tout autant touchée.
Sinon, vivement l'alerte "Promesses non tenues" en politique.

Emmanuel Mousset a dit…

Quant à l'alerte "conards", mieux vaut ne pas y penser : la France serait en alerte tout le temps !

Anonyme a dit…

ALERTE :

Le BILLET de DIMANCHE n'est pas arrivé , ALEX et ses dessins est beaucoup plus ponctuel ...

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Emmanuel Mousset a dit…

Je vous manque tant que ça ?