dimanche 26 avril 2015

Changer le capitalisme



La pensée de gauche est fondamentalement une pensée du changement. Le slogan présidentiel de François Hollande l'illustrait : le changement, c'est maintenant. Mais l'idée est ancienne, fondatrice : face à une droite jugée conservatrice, traditionaliste ou réactionnaire, le thème du changement identifie toutes les gauches. Changer la société, c'est le projet initial, dès la Révolution française. Changer l'humanité, créer un homme nouveau, c'est le projet contestable et périlleux du communisme, de Moscou jusqu'au Cambodge. Dans les années 70, le Parti socialiste reprenait un slogan soixante-huitard : changer la vie. Les rocardiens, en leur temps, voulaient changer la politique et changer la gauche elle-même. La gauche, quelle que soit sa sensibilité, c'est le parti du mouvement, du progrès et du changement.

Mais il y a une chose que la gauche n'a jamais osé faire, parce que le projet lui semblait paradoxal et contradictoire avec son idéal : c'est de changer le capitalisme. Le socialisme traditionnel luttait contre celui-ci, voulait rompre avec lui, mais ne cherchait pas à le changer. La social-démocratie accepte le capitalisme, mais dans un rapport d'ignorance, d'indifférence, d'indépendance : elle laisse faire le marché, tout en développant de son côté les mécanismes étatiquse. C'est ce qu'on appelle la redistribution, l'Etat-Providence.

Aujourd'hui, le socialisme traditionnel est une nostalgie ou une simple figure d'opposition. La social-démocratie, toujours utile dans sa fonction de redistribution sociale, est parvenue à ses limites historiques, comme n'importe quel mode de production (après tout, c'est Marx qui nous apprend ça, que les marxistes proclamés servent très mal). Alors, quelle peut être, quelle doit être la nouvelle pensée de gauche ? C'est ce que le ministre de l'Economie essaie de définir dans Le Monde de ce samedi, dans une tribune qui me semble être, intellectuellement, l'énonciation d'un socialisme moderne. C'est un texte à lire, à relire, à garder sur soi pour le méditer.

Ce qui est exposé sous le titre "Retrouver l'esprit industriel du capitalisme", je serais tenté de le qualifier de social-libéralisme, si l'expression n'était devenue une formule de guerre, alimentant à gauche, jusqu'à l'intérieur même du PS, la stigmatisation des socialistes qui défendent cette ligne, qui est bien sûr celle du gouvernement. Que nous dit Macron ? Que le capitalisme change, qu'il n'est pas un monstre figé pour l'éternité, que la gauche doit accompagner, encourager, orienter ces changements, au profit des objectifs qui sont ceux de la gauche, au lieu de laisser le capitalisme livré à lui-même, à ses propres profits et souvent à son auto-destruction.

Après guerre, nous avons connu le capitalisme d'Etat, colbertiste, gaullien, le capitalisme glorieux des dites Trente Glorieuses. Ce capitalisme-là a pris fin dans les années 90. La droite gaulliste elle-même y a mis un terme, en procédant à une vague de privatisations. Le nouveau capitalisme que défend Emmanuel Macron tient en deux mots-clés, qui certes ne vont pas résonner agréablement aux oreilles d'une bonne partie de la gauche : financement et actionnariat. Mais est-ce qu'on fait de la politique pour le plaisir de ses propres oreilles ? Non, pour trouver des solutions aux problèmes, non pas tant des gens directement que de la société, de l'économie. Or, quel est le problème aujourd'hui ? Le plus petit projet qu'on met en place, y compris quand on est de gauche, nous le fait comprendre : c'est le problème du financement. Ca n'a pas toujours été le cas, et certains (je parle pour mon camp, la gauche, mais à droite aussi) continuent à penser que l'argent doit tomber, que son souci est secondaire, que "l'intendance suivra", comme disait le Général.

A ce problème du financement, Macron répond par une réforme de l'actionnariat, une nouvelle démocratie actionnariale. Notre jeune ministre de l'Economie plaît beaucoup aux dames et à quelques messieurs, mais ses propos ne sont pas très sexy. Là encore, fait-on de la politique pour séduire ? Non, mais pour réussir. Le nouveau capitalisme voulu par Emmanuel Macron, au service d'une politique de gauche, repose sur trois objectifs :

1- Inciter les Français à investir dans les entreprises, en orientant leur épargne, en développant l'actionnariat salarié grâce à une fiscalité encourageante, faire de ces salariés et de ces épargnants les détenteurs du capital productif.

2- Remobiliser les investisseurs institutionnels en vue du financement de l'économie nationale, par exemple les caisses de retraites et les entreprises d'assurance.

3- Contre un capitalisme de court terme, purement tactique, privilégiant l'intérêt immédiat, favoriser tous ceux qui s'inscrivent dans des stratégies économiques à long terme. La décision a déjà été prise d'accorder des droits de vote doubles, en assemblée générale d'entreprise, pour les actionnaires qui conservent leurs titres durant au moins deux ans. L'Etat favorise ce dispositif dans toutes les entreprises où il participe au capital, permettant aussi des minorités de blocage.

La philosophie économique de notre philosophe ministre est résumée dans l'une de ses dernières phrases : "l'économie de marché est un rapport de forces sur lequel nous avons les moyens de peser". Le social-libéralisme (je retiens ce mot un peu par provocation, comme l'extrême gauche des années 70 a fini par se dire "gauchiste" alors que le terme au départ était disqualifiant et même injurieux), c'est le libéralisme qui se donne des fins sociales. Le rapport de forces n'est plus entre les classes sociales, à la façon du socialisme traditionnel, mais entre le politique et l'économique (contrairement au libéralisme pur, qui pense que l'économie se régule d'elle-même, en réduisant l'Etat à son minimum, en pensant que l'harmonie sociale procède du capitalisme livré à lui-même). Tout ça fait penser au socialisme de production, théorisé par Dominique Strauss-Kahn il y a une dizaine d'années.

Ce précieux texte d'Emmanuel Macron, qui pourrait devenir la nouvelle table de lois du socialisme français, a au moins le mérite de faire mentir le célèbre lapsus du Bourget sur la finance comme adversaire de la gauche, devenu lui aussi une arme de guerre contre les socialistes, utilisée par leurs adversaires dans leur propre camp.

2 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Je ne sais pas si la génération de 68 est pire ou meilleure qu'une autre. Dans mon cas c'est la génération qui a introduit une rupture radicale entre la tradition des ancêtres et la génération suivante, en ne transmettant pas sa langue maternelle, le breton, dans l'exemple de ma mère. Est-ce mieux est-ce pire, est-ce ça la modernité ? Vivre de jouissances, "rollers", "windsurf" (que je pratique), et autres voyages exotiques, voire tourisme sexuel. Pourquoi pas ? La rupture s'est faite aussi avec une certaine conception de l'éducation, avec la conception traditionnelle. Pour ma part je vois plus de ravages dans cette rupture que d'avantages, et c'est pour cela que je dis que la génération de 68 est unique en son genre, dans le cas de la langue bretonne elle rompt avec une tradition vieille de plusieurs siècles : 68 fut ainsi une vraie révolution, une révolution de la ruine, voire de l'apocalypse. Je parle évidemment comme un petit-bourgeois incapable de prendre de la hauteur, de se hisser au niveau des responsabilités, je reste coincé au niveau de la jouissance, de ma jouissance propre, de mon bien-être, pas celui de la collectivité. Effectivement parce que je suis l'ennemi de moi-même, je dis que la collectivité était régie par des contraintes traditionnelles, que le "laissez-faire" propre à l'économie de marché et au libéralisme, a fait voler en éclat. Je suis moi-même un pur produit de l'hédonisme contemporain mais plus encore du "laissez-faire" donc de la négligence comme ultime conséquence d'une vision économique du monde, et qui le déplore (en cela je suis l'ennemi de moi-même) ; je n'ai pas été "contraint" par un ensemble de règles et de traditions qui formaient le "cosmos" de nos ancêtres.

Emmanuel Mousset a dit…

Tu fais du "windsurf" ? Tu me déçois, Erwan, tu tournes mal ...