mercredi 22 octobre 2014

Pitié pour Filoche



Gérard Filoche va-t-il être exclu du parti socialiste ? Il se pourrait bien. Après ses propos sur Christophe de Margerie, le Premier ministre l'a souhaité et un député socialiste, François Loncle, l'a demandé. L'exclusion, c'est une mesure grave, rare, statutairement définie. Elle frappe tout adhérent qui ne respecte pas les règles du parti, essentiellement en matière d'élections. Pour le reste, la parole est libre au parti socialiste, comme dans n'importe quelle organisation démocratique. Gérard Filoche, par ses déclarations et son comportement, tombe-t-il sous le coup de l'exclusion ? La réponse est simple, sans discussion possible : c'est non.

Pourquoi alors Manuel Valls l'a-t-il souhaitée ? Parce que c'est un homme de notre temps, marqué par le moralisme. Déjà, quand un magazine avait récemment titré "L'emmerdeuse" pour qualifier Ségolène Royal, il s'en était offusqué (pourtant, de fait, Ségo est une sacrée emmerdeuse !). Mais voilà : dans le monde d'aujourd'hui, on peut penser ce qu'on veut, mais on ne peut pas dire ce qu'on veut. C'est ce qu'on appelle le "politiquement correct", que je préfère appeler le conformisme ou le moralisme (qui culminent et se conjuguent dans le juridisme). C'est l'influence américaine, puritaine, qui a ainsi façonné nos moeurs politiques depuis quelques décennies. Sous la IIIe République, on s'insultait joyeusement et personne n'avait de compte à rendre devant un tribunal. Je ne dis pas que c'était mieux : je constate que le langage se sentait plus libre. Et pour un républicain, la liberté est le premier principe (voir mon billet d'hier, sur un autre sujet, "la liberté avant tout").

Jean-Christophe Cambadélis, n°1 du PS, a annoncé que Gérard Filoche allait être traduit devant la "commission d'éthique" du parti. Le mot veut tout dire : nous sommes bien dans un débat moral, portant sur la bienséance, la politesse, et pas dans un problème politique. La morale, c'est le jeu des apparences, l'hypocrisie établie, la normalisation de la parole et des comportements. C'est une affaire strictement privée, qui n'a pas sa place en politique ou dans l'activité publique. Chaque citoyen est libre de ses mots, de ses réactions, de ses valeurs personnelles.

La morale fait toujours semblant de ne pas comprendre : elle s'indigne des intentions qu'elle prête aux individus, mais ne se soucie nullement de leur vérité. Elle surjoue un scandale qu'elle invente, pour avoir ensuite tout loisir et facilité à le condamner. Qu'a dit Filoche ? Ceci, à propos de Margerie : "un hommage à l'humain ? Oui ! Au suceur de sang ? Non". C'est clair et ça n'a rien de répréhensible. Tout le monde comprend : Filoche s'incline devant la mort d'un homme, mais il critique son rôle de grand patron, à travers une métaphore. C'est l'anticapitaliste qui s'exprime, et c'est son droit.

Les moralisateurs, en laissant croire que Filoche est un salaud qui crache sur les morts, sont malhonnêtes, ne respectent pas la vérité des faits et des propos tenus. Mais la morale, purement formelle, sociale, et l'honnêteté, affaire de coeur et de conviction, ça fait deux ! Certes, la tradition veut qu'à une disparition, l'éloge intégral soit de rigueur. Mais Filoche intervient en politique, pas à titre privé. Il n'y a franchement pas de quoi monter sur ses grands chevaux (mais telle est la morale, qui se réjouit à donner des leçons).

Je ne partage pas les idées politiques de Filoche, qui est plus proche de Mélenchon que de Hollande. Ses amis et lui vivent dans une contradiction permanente, une sorte de schizophrénie : être socialiste comme on l'était autrefois, dans un parti qui a changé, qui est devenu social-démocrate à l'épreuve du pouvoir. Le personnage même de Filoche, son style, sont aux antipodes de ce qu'on attend d'un parti de gouvernement : c'est un contestataire, qui n'est pas, pour moi, en capacité d'exercer des responsabilités d'Etat. Il me fait penser, dans chaque famille, à cet oncle lointain, qu'on voit de temps en temps, qui est bavard, qui parle fort et qui tache sa chemise en mangeant. Filoche n'est pas un type présentable, pour le parti socialiste tel qu'il est devenu depuis au moins une vingtaine d'années. Mais combien sont-ils, dans nos sections et nos fédérations, les responsables de ce genre, plus proches de Filoche que de Macron, forts en gueule mais courts sur pattes, qui crient beaucoup mais n'avancent guère ! On ne va tout de même pas les exclure tous ... Pitié pour eux, pitié pour Filoche, ce n'est pas si grave.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Etre socialiste au XXIème siècle,c'est tenir compte des réalités économiques dans le sens où le fonctionnement des échanges est basé sur la circulation des capitaux.
L'aile gauche a des difficultés à intégrer cette notion.
Mais dans un parti où l'on débat,l'exclusion est vraiment une sanction d'idées.En celà,ne serait-elle pas condamnable?

Emmanuel Mousset a dit…

D'accord avec vous.